Eleven

Awake In A Dream

Awake In A Dream

 Label :     Morgan Creek 
 Sortie :    mardi 20 août 1991 
 Format :  Album / CD  K7 Audio   

Se replonger dans la folie sonore de la période charnière et culottée fin-1980/début-1990 est toujours un voyage semé de surprises. À de nombreuses années de distance, Eleven se révèle être un exemple probant du petit groupe tordu dont on aurait bien du mal à trouver un équivalent de nos jours. Sorte d'hybride power-pop improbable qu'on s'aventurerait timidement à situer entre Alice In Chains et Stevie Wonder (!?), le premier album du trio est effectivement un sacré voyage dans le temps, surprenant et pour ma part inédit. Blindé de guitare zeppelinienne et de coups de fûts puissants pour le côté rock, enrobé d'accords de piano pop et de chants soul - voire gospel - pour le côté chanson, Awake In A Dream a pour plus grande qualité de pointer du doigt l'immensité des contrées musicales inexplorées des débuts 90, que quelques courageux ont tenté de parcourir. La curiosité obtient toute notre attention.
Et la couleur qui bouleverse le plus nos perceptions est à coup sûr la bonne humeur à toute épreuve des compositions. On n'est pas très proche des Pixies, loin de Slowdive, et à des années lumières de The Jesus Lizard. Les hits "All Together" ou "Rainbow's End", "Flying", "You Are Mine", etc., ça n'en finit pas, ça transpire la vie à grandes eaux ! L'infime portion de formations potables (des noms : heu... bah...) s'étant risqué à une telle immersion dans le soleil explique l'inévitable haut-le-cœur de la première écoute. Pas habitué. New-wave, heavy metal, shoegaze, jeune pousse grunge de l'époque... Eleven fait figure de mouton noir devant les grilles de ces maisons rock bien balisées, et seul l'entrepôt gigantesque de l'alternatif peut lui faire une place... Le malheureux qui voudra stocker le groupe devra alors se bricoler un rayon dont le nom devra être tout aussi bateau mais explicite : Mélodique. On ne pourra pas faire mieux, mais bon, impec'.

L'autre arme de choc, c'est le chant. Ou plutôt le binôme vocal. Mieux encore : les deux hurluberlus débordant d'enthousiasme nous prenant par la main pour nous guider joyeusement sur toute la galette. Car même si les chansons de ce premier album ne sont pas les plus mémorables qui soit, l'exécution elle, est parfaite. La maîtrise exceptionnelle du chant soul, le charme de l'enchevêtrement des deux voix, souvent au-delà des simples harmonies vocales, en plein partage simultané, transcendent le disque d'un bout à l'autre. Johannes et Shneider sont des P*TAINS de chanteurs ! Point ! Et sans notre consentement mais avec le plus grand plaisir, le couple catapulte un amour qui nous transperce.
Les personnages sont fascinants, et pas seulement au chant. Le piano et la féminité de Shneider annonce Tori Amos voire Alanis Morissette avant l'heure. Quant à Johannes, c'est son insolence à la guitare qui fait naviguer le genre du groupe en eaux troubles, au delà d'un vulgaire pop-rock. Il la maltraite d'une manière assez rare pour le style et l'époque, comme ce solo hystérique de "Water And Power" donnant quelques sueurs froides à n'importe quel guitar hero de l'époque. Johannes est également un P*TAIN de guitariste... re-Point ! Mené par la maestria de la six-cordes, les instruments nous donnent ainsi la sensation de ne jamais être totalement à l'abri de la créativité. Exemple frappant : le pont de l'excellent "Before Your Eyes" nous offre... un solo de batterie ! C'pas souvent les copains !

A la manière du funk-rock des potes de lycée de Johannes les Red Hot Chili Peppers, dont ils s'échangeront d'ailleurs le batteur Jack Irons, les premières heures du soul-rock d'Eleven peuvent aujourd'hui paraître comme hermétiques à certains, restées coincées au tournant des années 80-90. Une production typée et une naïveté lui donnant cet aura d'objet kitsch incontestable, que l'aspect ultra-mélodique du répertoire n'arrange pas. Mais z'alors, pourquoi ne pas tout simplement appeler ça du pop-rock ? Bah parce que la gratte on t'a dit ! Et pis parce que si tu pousses la disto et le muscle du final "Message To You", t'obtiens une chanson de Seattle qu'aurait pas fait tâche chez Chris Cornell ou Layne Staley... Ils finiront potes avec l'un d'entre eux d'ailleurs, c'est pas une coïncidence... hé-hé...


Très bon   16/20
par X_YoB


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