Shining
Blackjazz |
Label :
Indie |
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Le problème majeur des groupes cherchant à faire copuler les genres, c'est que bien souvent ils arrivent au mieux à réaliser un collage. D'où le manque d'unité, l'impression d'entendre une formation différente à chaque titre. Aussi, lorsque j'ai découvert, d'abord en interview, les allumés norvégiens de Shining (à ne pas confondre avec les Suédois donc) qui nous présentaient leur dernier rejeton, Blackjazz, j'étais scepticisme. En effet, je concevais difficilement l'association de ces deux styles, pas vraiment parce qu'ils sont antinomiques, mais parce que chacun a l'exigence de l'excellence et que, par conséquent, le ratage complet risque d'être au rendez-vous. J'en aurai mis ma main au feu, tant j'en ai lu de ces musiciens qui vous vendent leur musique comme le truc le plus génial qui soit actuellement et dont l'écoute ne résiste pas à plus de trois minutes. Cela suffit amplement pour comprendre qu'un groupe ment, trois minutes de son...
Néanmoins, et en dépit de cet a priori, je tente le coup. L'aspect militariste, voire dictatorial, de la couverture me séduit, de même que la durée honorable des morceaux... Et dès le premier titre, c'est la beigne, la grosse, celle qui fait moucher rouge. "The Madness and the Damage Done" est un titre totalement aliénant, hypnotique, joué à la vitesse du son et multipliant les sonorités dérangeantes, synthétiques, si bien que l'on peut aisément ajouter un troisième style prépondérant : l'indus. Entrecoupé de riffs énormes et dignes de la meilleure école electro-metal (je pense à Wumpscut, peut-être un zeste de Manson de l'époque Antichrist Supestar, ou encore Suicide Commando pour l'aspect volontairement oppressant), la chanson file, les couches de guitares se démultipliant en des partitions complexes, techniques, très audibles du fait d'une production d'excellente qualité, un peu à la manière des français de Lex Talionis. Bref, je suis conquis, ahuri, estomaqué, en deux mots : parfaitement content.
La suite de ce Blackjazz ne déçoit en rien. La pure intro EBM de "Fisheye" vous envoie direct dans une boîte de nuit bondage où l'on se fait suspendre par les tétons et les testicules, et après ça les guitares, sur un riff quasi rock'n roll ! On commence à headbanguer gentiment... Mais il y a toujours cette angoisse sourde tapie dans les coins, qui n'attend que de vous sauter à la gorge... La voix est un hurlement, maladif, démentiel, effrayant en un sens...
Néanmoins, une question se pose : et le jazz dans tout ça ? C'est vrai que je n'en parle pas beaucoup et que l'incursion très occasionnelle d'un saxo ne suffit pas à justifier l'étiquette revendiquée. Et bien, en fait de jazz, il s'agit avant tout de "free", et il ne se remarque pas du fait de passages spécifiques intercalés dans un titre black. On pourrait plutôt parler de symbiose entre deux genres, la folie créatrice et débridée du premier se greffant à la rapidité brutale du second. Le tout donne un résultat qui, s'il n'est pas foncièrement innovant (ceux qui écoutent Aborym, Arcturus, ou Anaal Nathrakh s'y retrouveront très bien), pousse la réflexion à son paroxysme dans un déluge de violence cataclysmique.
Sans jamais sombrer dans le n'importe quoi et le ridicule, Shining sait alterner les rythmiques (ambiance à la Meshuggah sur "Exit Sun"), les riffs (black, stoner, rock) avec un sens du swing assez rare, et surtout le groupe fourmille d'idées, d'arrangements surprises qui confèrent à chaque composition une grande richesse sonore. Et en dépit de la prépondérance de sonorités froides, les Norvégiens réussissent le tour de force de rendre leur album vivant... Enfin, on pense davantage aux vagues remous de la fraîche charogne causés par le mouvement de la vermine sous l'épiderme, mais qu'importe. Pulsant comme cent milles cœurs de soldats marchant au pas sur des chemins tortueux où l'on peut à chaque instant crever horriblement sur un piège bien vicieux, tout est dénaturé, déshumanisé, transfiguré par la folie et l'ivresse créatrice.
"Healter Skeleter" fout la migraine, c'est un forage crânien enragé, mené par un saxo schizophrène, hystérique, un tyran rendant l'âme dans les derniers soubresauts de son total avilissement. Et l'auditeur n'en finit plus de merdoyer dans ce cloaque innommable, cherchant des prises poisseuses d'on ne sait quel fluide corporel... La camisole n'est pas loin pour ce morceau instrumental nerveusement éprouvant qui vous envoie directement à la dépression profonde, "The Madness and the Damage Done", et ce sans espoir de guérison. Il est une gradation dans l'horreur, passant d'une ambiance claustrophobe et minimaliste à la pire des furies black indus. L'auditeur commence à fatiguer, éprouvé, la tête en compote. Et pourtant, la torture est loin d'être terminée... En effet, comment décrire les onze minutes de "Blackjazz Deathtrance" ? Acmé et chef d'œuvre total de cet album, il est la concaténation de tous les meilleurs éléments déjà cités. Agressif, technique à n'en plus pouvoir rajouter une note sur la partition, échevelé, c'est une dinguerie sauvage pour laquelle les éléments de comparaison manquent cruellement. Nous y sommes ballottés de chuchotements pervers aux hurlements hallucinés, notre cervelet fracassé par les vagues incessantes de beats electros laissant des meurtrissures profondes, le corps lacéré par ces guitares chirurgicales tranchantes comme des scalpels... L'angoisse, massive, qui fait que plus rien n'existe autour... "Omen" n'arrangera rien, poursuivant la quête de la sonorité vomitive, hémorragique, en dépit d'une envolée quasi angélique des synthétiseurs, infime lueur dans la cave où nous sommes enfermés depuis près d'une heure... Mais c'est une lueur morte, elle n'est d'aucun réconfort, rendant paradoxalement tout ce qui nous entoure plus obscur encore...
L'album s'achève sur "21st Century Schizoid Man", reprise de King Crimson, clôturant une séance de torture auditive telle que je n'en avais pas subie depuis bien longtemps... Le silence une fois revenu, on se rend alors mieux compte à quel point cet album est essentiel, propulse la musique contemporaine à un autre niveau, là où bien peu de formations risquent de pouvoir s'aventurer sans y laisser leur esprit...
Néanmoins, et en dépit de cet a priori, je tente le coup. L'aspect militariste, voire dictatorial, de la couverture me séduit, de même que la durée honorable des morceaux... Et dès le premier titre, c'est la beigne, la grosse, celle qui fait moucher rouge. "The Madness and the Damage Done" est un titre totalement aliénant, hypnotique, joué à la vitesse du son et multipliant les sonorités dérangeantes, synthétiques, si bien que l'on peut aisément ajouter un troisième style prépondérant : l'indus. Entrecoupé de riffs énormes et dignes de la meilleure école electro-metal (je pense à Wumpscut, peut-être un zeste de Manson de l'époque Antichrist Supestar, ou encore Suicide Commando pour l'aspect volontairement oppressant), la chanson file, les couches de guitares se démultipliant en des partitions complexes, techniques, très audibles du fait d'une production d'excellente qualité, un peu à la manière des français de Lex Talionis. Bref, je suis conquis, ahuri, estomaqué, en deux mots : parfaitement content.
La suite de ce Blackjazz ne déçoit en rien. La pure intro EBM de "Fisheye" vous envoie direct dans une boîte de nuit bondage où l'on se fait suspendre par les tétons et les testicules, et après ça les guitares, sur un riff quasi rock'n roll ! On commence à headbanguer gentiment... Mais il y a toujours cette angoisse sourde tapie dans les coins, qui n'attend que de vous sauter à la gorge... La voix est un hurlement, maladif, démentiel, effrayant en un sens...
Néanmoins, une question se pose : et le jazz dans tout ça ? C'est vrai que je n'en parle pas beaucoup et que l'incursion très occasionnelle d'un saxo ne suffit pas à justifier l'étiquette revendiquée. Et bien, en fait de jazz, il s'agit avant tout de "free", et il ne se remarque pas du fait de passages spécifiques intercalés dans un titre black. On pourrait plutôt parler de symbiose entre deux genres, la folie créatrice et débridée du premier se greffant à la rapidité brutale du second. Le tout donne un résultat qui, s'il n'est pas foncièrement innovant (ceux qui écoutent Aborym, Arcturus, ou Anaal Nathrakh s'y retrouveront très bien), pousse la réflexion à son paroxysme dans un déluge de violence cataclysmique.
Sans jamais sombrer dans le n'importe quoi et le ridicule, Shining sait alterner les rythmiques (ambiance à la Meshuggah sur "Exit Sun"), les riffs (black, stoner, rock) avec un sens du swing assez rare, et surtout le groupe fourmille d'idées, d'arrangements surprises qui confèrent à chaque composition une grande richesse sonore. Et en dépit de la prépondérance de sonorités froides, les Norvégiens réussissent le tour de force de rendre leur album vivant... Enfin, on pense davantage aux vagues remous de la fraîche charogne causés par le mouvement de la vermine sous l'épiderme, mais qu'importe. Pulsant comme cent milles cœurs de soldats marchant au pas sur des chemins tortueux où l'on peut à chaque instant crever horriblement sur un piège bien vicieux, tout est dénaturé, déshumanisé, transfiguré par la folie et l'ivresse créatrice.
"Healter Skeleter" fout la migraine, c'est un forage crânien enragé, mené par un saxo schizophrène, hystérique, un tyran rendant l'âme dans les derniers soubresauts de son total avilissement. Et l'auditeur n'en finit plus de merdoyer dans ce cloaque innommable, cherchant des prises poisseuses d'on ne sait quel fluide corporel... La camisole n'est pas loin pour ce morceau instrumental nerveusement éprouvant qui vous envoie directement à la dépression profonde, "The Madness and the Damage Done", et ce sans espoir de guérison. Il est une gradation dans l'horreur, passant d'une ambiance claustrophobe et minimaliste à la pire des furies black indus. L'auditeur commence à fatiguer, éprouvé, la tête en compote. Et pourtant, la torture est loin d'être terminée... En effet, comment décrire les onze minutes de "Blackjazz Deathtrance" ? Acmé et chef d'œuvre total de cet album, il est la concaténation de tous les meilleurs éléments déjà cités. Agressif, technique à n'en plus pouvoir rajouter une note sur la partition, échevelé, c'est une dinguerie sauvage pour laquelle les éléments de comparaison manquent cruellement. Nous y sommes ballottés de chuchotements pervers aux hurlements hallucinés, notre cervelet fracassé par les vagues incessantes de beats electros laissant des meurtrissures profondes, le corps lacéré par ces guitares chirurgicales tranchantes comme des scalpels... L'angoisse, massive, qui fait que plus rien n'existe autour... "Omen" n'arrangera rien, poursuivant la quête de la sonorité vomitive, hémorragique, en dépit d'une envolée quasi angélique des synthétiseurs, infime lueur dans la cave où nous sommes enfermés depuis près d'une heure... Mais c'est une lueur morte, elle n'est d'aucun réconfort, rendant paradoxalement tout ce qui nous entoure plus obscur encore...
L'album s'achève sur "21st Century Schizoid Man", reprise de King Crimson, clôturant une séance de torture auditive telle que je n'en avais pas subie depuis bien longtemps... Le silence une fois revenu, on se rend alors mieux compte à quel point cet album est essentiel, propulse la musique contemporaine à un autre niveau, là où bien peu de formations risquent de pouvoir s'aventurer sans y laisser leur esprit...
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Arno Vice |
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