Proton Burst
La Nuit |
Label :
Wotre |
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Le pari d'adapter l'œuvre la plus sombre de Philippe Druillet semble risqué mais Proton Burst le relève et, en créant un opéra rock indus pesant et anxiogène, propose au panorama culturel français une pièce unique de critique créative, preuve à la fois de la puissance symbolique du support écrit et du talent d'adaptation et d'écriture des musiciens.
Mon premier contact avec ce concept album eut lieu grâce à une compilation promotionnelle ("A fond qui tue", je sais, ne dites rien) offerte par un magazine. Au milieu de groupes vraiment pas dégueulasses (Elend, Parkinson Square, Fisherman, Xatrix, Rumble Militia, etc.), un titre de Proton Burst qui rendait les compositions des autres participants aussi caduques, insipides et peu bandantes qu'un slip de grand mère oublié dans un lavomatic.
En six mouvements, Proton Burst plonge l'auditeur dans un cauchemar suburbain, explore les égouts de l'âme humaine et expectore un glaviot de démence, scintillant comme la première étoile, pur comme un ruisseau de l'Eden, épais comme la mélasse qui obstrue les poumons des anti-héros défoncés que sont les protagonistes de La Nuit.
"Mouvement I" : sous l'ambiance allant crescendo de sonorités métalliques abstraites, l'ombre d'une rythmique plombée rampe et s'insinue peu à peu dans le paysage auditif. Une tension immédiate de nerfs trop longtemps malmenés ponctue ce préambule. Riff massue, batterie en acier, basse ronflante comme le meilleur d'un Killing Joke et, d'un bloc, la voix, les voix, le texte. "Au cœur de la ville morte, la nuit sortent les tribus..." Principalement construit autour d'une rythmique déclinée en plusieurs thèmes et plusieurs tempos, l'aspect martial de ce mouvement est d'autant plus marqué que la voix de R., possédé comme rarement un chanteur l'a été, scande, hurle et murmure ses textes d'une noirceur abyssale, à la fois crus et poétiques, déglingués comme une machine oubliée sur un terrain vague.
"Mouvement II" : à mi-chemin de l'ambiant et du chant religieux, les voix se délitent en distorsion, oscillent entre folie bien humaine et dégénérescence mécanique. Basse et batterie prennent peu à peu l'ascendant, raclements de cordes rouillées, roulements hypnotiques, jusqu'à l'implosion : guitares massives et voix schizophréniques. L'angoisse est palpable, mais sans remède. Les accélérations sont alors aussi brutales que les cassures vierges de tout son, l'auditeur se cramponne à ce qu'il peut mais rien ne l'empêche de se prendre cette pièce de death industriel en pleine face. Une fois lancé, Proton Burst est incontrôlable, sûr de son fait et de la justesse de son adaptation.
"Mouvement III" : "Ils pénètrent lentement dans ce que l'on pourrait dénommer l'anus de la ville." Faisant office d'accalmie, ce mouvement est vraisemblablement celui où la partie narrative est la plus développée. R. démontre tout son talent de raconteur, son timbre ample et profond s'accordant parfaitement au récit des immondices vécues par les presque morts de La Nuit. Et quand le groupe lâche les guitares, dissonantes, les chants s'envolent, opératiques, lyriques et hurlés, se font légions.
"Mouvement IV" : on évolue au centre d'une foule rendue folle par les drogues et le goût ferreux du sang. Tribalisme de scansions post-divines, dans cet univers, Dieu est bel et bien mort. La musique renoue avec des influences à la Godflesh, notamment dans son aspect répétitif et cyclique, lourde et rampante, moite.
"Mouvement V" : aucune cassure avec le mouvement précédent, l'histoire se précipite vers son achèvement et cherche à accélérer sa fin. Trop de souffrance et d'abjection. On cherche en vain le repos dans les pulsations arythmiques et sourdes d'un cœur artificiel ou les nappes de claviers mortuaires, mais ce n'est pas un sommeil réparateur. Le danger se tapit partout et les instruments sont les alertes soudaines d'une nouvelle attaque des bandes anarchiques de cette ville en ruine. Morceau labyrinthique où la chausse-trappe règne en maître, il faut en finir.
"Mouvement VI" : le son se faisant plus aéré, l'auditeur a la fausse impression de percevoir la fin du tunnel. Il ne se rend pas compte que ce qui l'attend à la sortie est sans doute bien pire que le monde qu'il quitte et que les chants qui s'élèvent vers le ciel sont autant de prières au néant de la mort nihiliste. "Dans ma tête, tout explose." Tout ralentit, traîne dans la langueur d'un hémorragie cérébrale. On croit qu'on en est sorti, et bien non : on se fait reprendre de volée, avec la violence d'un coup de pied dans le bide. L'accélération est subite, aussi inattendue qu'imprévisible, d'une violence qui n'avait pas encore été atteinte, les ultimes soubresauts du vivant.
L'album s'achève sur une "caresse de la mort", dans une ambiance typiquement industrielle. S'en suit le silence, et le sentiment d'avoir voyagé dans des contrées dont on ne revient pas, ou peut-être en bas de chez soi, un de ces soirs où rien ne va et que les gens, à force de lassitude, adoptent le masque qui ne laisse transparaître que le vide de leurs âmes consumées.
La performance que réalise Proton Burst est ici proprement phénoménale et rarement une œuvre a été aussi bien mise en valeur que dans cette boursouflure gangrenée d'une grande fidélité de retranscription. Quiconque possède la bédé La Nuit devrait la lire en écoutant cet hommage, pendant indispensable aux images...
Mon premier contact avec ce concept album eut lieu grâce à une compilation promotionnelle ("A fond qui tue", je sais, ne dites rien) offerte par un magazine. Au milieu de groupes vraiment pas dégueulasses (Elend, Parkinson Square, Fisherman, Xatrix, Rumble Militia, etc.), un titre de Proton Burst qui rendait les compositions des autres participants aussi caduques, insipides et peu bandantes qu'un slip de grand mère oublié dans un lavomatic.
En six mouvements, Proton Burst plonge l'auditeur dans un cauchemar suburbain, explore les égouts de l'âme humaine et expectore un glaviot de démence, scintillant comme la première étoile, pur comme un ruisseau de l'Eden, épais comme la mélasse qui obstrue les poumons des anti-héros défoncés que sont les protagonistes de La Nuit.
"Mouvement I" : sous l'ambiance allant crescendo de sonorités métalliques abstraites, l'ombre d'une rythmique plombée rampe et s'insinue peu à peu dans le paysage auditif. Une tension immédiate de nerfs trop longtemps malmenés ponctue ce préambule. Riff massue, batterie en acier, basse ronflante comme le meilleur d'un Killing Joke et, d'un bloc, la voix, les voix, le texte. "Au cœur de la ville morte, la nuit sortent les tribus..." Principalement construit autour d'une rythmique déclinée en plusieurs thèmes et plusieurs tempos, l'aspect martial de ce mouvement est d'autant plus marqué que la voix de R., possédé comme rarement un chanteur l'a été, scande, hurle et murmure ses textes d'une noirceur abyssale, à la fois crus et poétiques, déglingués comme une machine oubliée sur un terrain vague.
"Mouvement II" : à mi-chemin de l'ambiant et du chant religieux, les voix se délitent en distorsion, oscillent entre folie bien humaine et dégénérescence mécanique. Basse et batterie prennent peu à peu l'ascendant, raclements de cordes rouillées, roulements hypnotiques, jusqu'à l'implosion : guitares massives et voix schizophréniques. L'angoisse est palpable, mais sans remède. Les accélérations sont alors aussi brutales que les cassures vierges de tout son, l'auditeur se cramponne à ce qu'il peut mais rien ne l'empêche de se prendre cette pièce de death industriel en pleine face. Une fois lancé, Proton Burst est incontrôlable, sûr de son fait et de la justesse de son adaptation.
"Mouvement III" : "Ils pénètrent lentement dans ce que l'on pourrait dénommer l'anus de la ville." Faisant office d'accalmie, ce mouvement est vraisemblablement celui où la partie narrative est la plus développée. R. démontre tout son talent de raconteur, son timbre ample et profond s'accordant parfaitement au récit des immondices vécues par les presque morts de La Nuit. Et quand le groupe lâche les guitares, dissonantes, les chants s'envolent, opératiques, lyriques et hurlés, se font légions.
"Mouvement IV" : on évolue au centre d'une foule rendue folle par les drogues et le goût ferreux du sang. Tribalisme de scansions post-divines, dans cet univers, Dieu est bel et bien mort. La musique renoue avec des influences à la Godflesh, notamment dans son aspect répétitif et cyclique, lourde et rampante, moite.
"Mouvement V" : aucune cassure avec le mouvement précédent, l'histoire se précipite vers son achèvement et cherche à accélérer sa fin. Trop de souffrance et d'abjection. On cherche en vain le repos dans les pulsations arythmiques et sourdes d'un cœur artificiel ou les nappes de claviers mortuaires, mais ce n'est pas un sommeil réparateur. Le danger se tapit partout et les instruments sont les alertes soudaines d'une nouvelle attaque des bandes anarchiques de cette ville en ruine. Morceau labyrinthique où la chausse-trappe règne en maître, il faut en finir.
"Mouvement VI" : le son se faisant plus aéré, l'auditeur a la fausse impression de percevoir la fin du tunnel. Il ne se rend pas compte que ce qui l'attend à la sortie est sans doute bien pire que le monde qu'il quitte et que les chants qui s'élèvent vers le ciel sont autant de prières au néant de la mort nihiliste. "Dans ma tête, tout explose." Tout ralentit, traîne dans la langueur d'un hémorragie cérébrale. On croit qu'on en est sorti, et bien non : on se fait reprendre de volée, avec la violence d'un coup de pied dans le bide. L'accélération est subite, aussi inattendue qu'imprévisible, d'une violence qui n'avait pas encore été atteinte, les ultimes soubresauts du vivant.
L'album s'achève sur une "caresse de la mort", dans une ambiance typiquement industrielle. S'en suit le silence, et le sentiment d'avoir voyagé dans des contrées dont on ne revient pas, ou peut-être en bas de chez soi, un de ces soirs où rien ne va et que les gens, à force de lassitude, adoptent le masque qui ne laisse transparaître que le vide de leurs âmes consumées.
La performance que réalise Proton Burst est ici proprement phénoménale et rarement une œuvre a été aussi bien mise en valeur que dans cette boursouflure gangrenée d'une grande fidélité de retranscription. Quiconque possède la bédé La Nuit devrait la lire en écoutant cet hommage, pendant indispensable aux images...
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Arno Vice |
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