The Residents
The Third Reich'n'Roll |
Label :
Ralph |
||||
La dérision monstrueuse, telle est la marque de fabrique de The Residents, groupe obscur dans tous les sens du terme. Il suffit de voir la pochette de ce Third Reich'n'Roll intronisant Dick Clark en grand Furhër du rock'n'roll pour s'en rendre compte...
L'album commence par une reprise de "Let's Twist Again" pour laisser place à une danse tribale, une farandole meurtrière qui évolue en une musique dadaïste où les sons et les voix s'amplifient, s'imprègnent dans votre cerveau pour mieux le détruire. Le premier titre, "Swastikas On Parade", vous propulse dans un monde parallèle qui fait passer les Cramps pour des Bisounours, tant le degré d'horreur ambiante est élevé. En effet, ici, la musique agresse, explose vos neurones dans un horrible marasme schizophrène où les rythmes et autres bruitages s'enchaînent sans répit, créant une bouillie noire et intense dont se repaissent sans doute les vampires alcooliques à la nuit tombée ...
Mais l'apogée de ce triste chef-d'œuvre est bien entendu la seconde et dernière piste de l'album, l'effroyable " Hitler Was A Vegetarian", où le groupe décuple pendant plus de 18 minutes la folie du nazisme pour le ridiculiser dans un charabia de voix féminines évoquant les Shangri-la's, avant de se transformer en hurlements porcins dignes de Beefheart.
Peu à peu, l'ombre de la déchéance recouvre tout espoir de sortir indemne de cette messe noire en honneur au néant.
Le rythme s'accélère, s'aiguise en une myriade de sons saccadés et décomposés où le rock, aussi bien des 60's que des 50's, n'est pas épargné.
Malgré la fin de l'album marquée par une touche de lumière et saupoudrée d'un espoir fébrile, The Third Reich'n'Roll est bien, après la Seconde Guerre Mondiale, le plus grand monument à la gloire de Nyarlathotep, l'Éternel Chaos Rampant ...
L'album commence par une reprise de "Let's Twist Again" pour laisser place à une danse tribale, une farandole meurtrière qui évolue en une musique dadaïste où les sons et les voix s'amplifient, s'imprègnent dans votre cerveau pour mieux le détruire. Le premier titre, "Swastikas On Parade", vous propulse dans un monde parallèle qui fait passer les Cramps pour des Bisounours, tant le degré d'horreur ambiante est élevé. En effet, ici, la musique agresse, explose vos neurones dans un horrible marasme schizophrène où les rythmes et autres bruitages s'enchaînent sans répit, créant une bouillie noire et intense dont se repaissent sans doute les vampires alcooliques à la nuit tombée ...
Mais l'apogée de ce triste chef-d'œuvre est bien entendu la seconde et dernière piste de l'album, l'effroyable " Hitler Was A Vegetarian", où le groupe décuple pendant plus de 18 minutes la folie du nazisme pour le ridiculiser dans un charabia de voix féminines évoquant les Shangri-la's, avant de se transformer en hurlements porcins dignes de Beefheart.
Peu à peu, l'ombre de la déchéance recouvre tout espoir de sortir indemne de cette messe noire en honneur au néant.
Le rythme s'accélère, s'aiguise en une myriade de sons saccadés et décomposés où le rock, aussi bien des 60's que des 50's, n'est pas épargné.
Malgré la fin de l'album marquée par une touche de lumière et saupoudrée d'un espoir fébrile, The Third Reich'n'Roll est bien, après la Seconde Guerre Mondiale, le plus grand monument à la gloire de Nyarlathotep, l'Éternel Chaos Rampant ...
Inaudible ! ! ! 0/20 | par Thrasher13 |
Rééditon CD 2005 sur Mute
Posté le 12 mai 2008 à 18 h 17 |
Cet album il est vrai difficile pose une des questions les plus délicate sur le plan musical. Qu'en est-il de la musique après que le nazisme l'ait autant utilisé? Depuis les romantiques une nature spirituelle était la donné à une composition et en découlait des jugmements de qualité et d'identité. Qu'en penser lorsque des oeuvres classiques se sont trouvées être aussi efficaces pour une propagande fasciste? Que penser de la musique de Wagner? Ne fût-elle pas altérée à tout jamais par la présence d'Hitler à Bayreuth? C'est une question tabou car glissante. C'est pourquoi j'admire ceux qu'ils l'ont abordé...
Les Residents dans cet album d'une violence certaine saccagent des standards pour nous dévoiler une part de noirceur inédite. Ce détail infra mince est surtout présent dans la musique populaire. C'est celle qui est utilisée pour la propagande. Pour leur démonstration d'une très grande gravité, Les Residents utilisent des tubes de rock'n'roll américain. Ceux-ci sont dénaturés et pourtant reconnaissables. Ce que la parodie destructive des Residents dévoile (pour notre plus grand désarroi de mélomane ou non) est l'absence de nature intrinsèque aux standards utilisés. Ceux-ci peuvent être interprétés selon un axe illimité... y compris nazi. L'hymne hippie "Light My Fire" adopte une raideur fasciste proprement effrayante. Third Reich 'n' Roll crève un abcès. Et je ne peux qu'admirer la perspicacité des Residents et de leur critique acerbe de la musique populaire. Et cette lucidité est sans doute préservée du fait qu'ils n'appartiennent pas au monde du rock. Les Residents, par leur anonymat, peuvent aborder les critiques les plus délicates à tenir sans pour autant se rétamer ou tomber dans la démagogie.
Les Residents ont eu l'idée de cet album en apprenant grâce à une photo rarissime qui montre que les Beatles, pour leur Sgt. Peppers, avaient prévu et fait fabriquer un portrait grandeur nature d'Adolf Hitler. On voit ce portrait posé sur un mur dans le studio où l'installation était préparée. Hitler ne fût finalement pas utilisé par les compositeurs les plus aimés de la planète. Les Residents eux sont allés jusqu'au bout. Heureusement pour les Beatles. Jésus leur avait déjà joué des tours.
Les Residents dans cet album d'une violence certaine saccagent des standards pour nous dévoiler une part de noirceur inédite. Ce détail infra mince est surtout présent dans la musique populaire. C'est celle qui est utilisée pour la propagande. Pour leur démonstration d'une très grande gravité, Les Residents utilisent des tubes de rock'n'roll américain. Ceux-ci sont dénaturés et pourtant reconnaissables. Ce que la parodie destructive des Residents dévoile (pour notre plus grand désarroi de mélomane ou non) est l'absence de nature intrinsèque aux standards utilisés. Ceux-ci peuvent être interprétés selon un axe illimité... y compris nazi. L'hymne hippie "Light My Fire" adopte une raideur fasciste proprement effrayante. Third Reich 'n' Roll crève un abcès. Et je ne peux qu'admirer la perspicacité des Residents et de leur critique acerbe de la musique populaire. Et cette lucidité est sans doute préservée du fait qu'ils n'appartiennent pas au monde du rock. Les Residents, par leur anonymat, peuvent aborder les critiques les plus délicates à tenir sans pour autant se rétamer ou tomber dans la démagogie.
Les Residents ont eu l'idée de cet album en apprenant grâce à une photo rarissime qui montre que les Beatles, pour leur Sgt. Peppers, avaient prévu et fait fabriquer un portrait grandeur nature d'Adolf Hitler. On voit ce portrait posé sur un mur dans le studio où l'installation était préparée. Hitler ne fût finalement pas utilisé par les compositeurs les plus aimés de la planète. Les Residents eux sont allés jusqu'au bout. Heureusement pour les Beatles. Jésus leur avait déjà joué des tours.
Intemporel ! ! ! 20/20
Posté le 23 mai 2011 à 23 h 27 |
"L'ignorance de ta culture n'est pas considérée comme cool." The Residents (1976).
En février 1976, DADA renaît de ses cendres pour filer la plus belle fessée que la pop ait jamais subie : Third Reich'n'Roll. La musique qui compose ce pamphlet anti-pop "a été tiré sans vergogne de ce dont (Les Residents) se souvenaient du top 40 des années soixante diffusé à la radio." Le principe de base est enfantin et cruel : le groupe joue par dessus des tubes sixties (Gloria, Light My Fire, Papa's Got A Brand New Bag, 96 Tears), échelonnant peu à peu les prises, puis effacent l'original pour ne laisser que leur interprétation. Interprétation qui s'apparente davantage un jeu de massacre qu'à une volonté de se rapprocher du modèle. Mais commençons par le commencement.
Déjà sur le plan visuel, les provocations à venir de Throbbing Gristle & consort peuvent mouiller leurs couches. La pochette des Residents nous montre un Dick Clark osant une pose décontractée dans un uniforme SS tandis que de petits Fürhers dansent en duo sur des nuages toxiques s'évaporant dans une nuit de cristal. Cette mise en scène s'inspire d'American Bandstand, une émission sur le rock'n'roll que Dick Clark anime alors depuis les années 50. On y voit des "foules solitaires" d'adolescents se dandinant sur une série de tubes fraîchement moulés. Ca a un succès dingue. Chaque samedi, plusieurs millions de téléspectateurs matent les jeunes remuant du croupion sur le dernier beat à la mode.
Lester Bangs tentera de tirer les vers du pif de Dick, un Dick pas né d'hier faut dire : c'est un business man. La qualité de la musique ? Il s'en branle. Pour lui, la musique populaire est populaire parce les gens l'aiment. Point. Y'a pas à tortiller au delà. Et pourquoi Dick s'intéresse t-il autant aux jeunes ? "Pure cupidité" sort-il sans se démonter. Dick Clark est le symbole de la musique devenue marchandise. Son job c'est quoi? Quand les rayons sont vides, c'est à lui de les remplir. Ils ratissent les tubes éventuels. Un procès lui a été intenté pour avoir fait des magouilles avec les maisons de disques. Il a accepté des cadeaux. Quant on sait que la télévision, à l'époque, reste le meilleur outil de publicité, Dick, naturellement, n'est pas qu'un simple pion. "Ecoute Warner Bros, je passe ton poulain seulement si tu prends mon numéro de compte d'ac?"
Et les années soixante ? Les hippies ? La révolution psychédélique ? Merde, c'était quelque chose ! Pourquoi vouloir bousiller les œuvres de cette époque ? Les Residents ont été témoins de la déconfiture sixties. Son basculement dans la défonce aux drogues dures, dans la violence et la récupération par le marché. Ils peuvent se permettre maintenant de donner une image du Summer of Love à travers ce qu'il a généré. De toute façon le ver était déjà dans le trip. Les types des maisons de disque, à l'époque, ce sont mis illico à fumer des joints et à porter des pattes d'eph' tant le nouveau marché était juteux. Dick Clark ne s'est jamais laissé pousser les cheveux, mais les Doors sont passés chez lui pousser la chansonnette. Quant au Grateful Dead, leurs chansons durant plusieurs dizaines de minutes, ils ont négocié un contrat pour toucher des royalties toutes les trois minutes et trente secondes et non à chaque chansons comme le veut la tradition. Jefferson Airplane avait une baraque de luxe avec grooms et stand de tir. Les hippies ont cru qu'il pouvait changer le monde sans s'attaquer aux règles. Il en est né la pire désillusion. Le rôle que jouent les Residents avec "Third Reich'n'Roll", c'est d'émettre le message punk bien avant le boys band de Mc Laren nommé Sex Pistols.
Les Residents sont plus que punks. Ils ne sont pas musiciens. Johnny Rotten à côté c'est la Callas. Les Residents sont avant tout des amoureux des manipulations sonores, des sons bizarres, des ambiances inhabituelles voire morbides. Ils "ont senti qu'utiliser le studio d'enregistrement comme un instrument leur permettrait de créer une musique qu'ils auraient été incapables de jouer de façon traditionnelle, et qu'il serait beaucoup plus intrigant pour eux d'agir ainsi plutôt que de prendre de vrais instruments de musique et d'apprendre à en jouer patiemment." Les membres du groupe font de leur amateurisme un puissant vecteur de créativité. Au lieu d'imiter les modèles (comme tout musicien pendant son apprentissage), ils s'amusent "à prendre la musique des autres pour la faire sonner comme de la musique que personne n'a jamais entendu auparavant." C'est vrai que l'appropriation des Residents est proprement monstrueuse, ahurissante, et drôle ! L'écart le plus extraordinaire reste la reprise du titre bubble-gum "Yummy Yummy Yummy" ("Miam Miam Miam") d'Ohio Express, devenu une imprécation de messe noire aux airs de rites cannibales, portée par un orgue sauvage qui n'aurait pas à pâlir devant les colères délirantes de Xenakis.
Third Reich'n'roll se divise en deux suites : "Svastikas On Parade" (enregistré en octobre 1974) et "Hitler Was A Vegetarian" (enregistré un an plus tard). Ces suites s'apparentent à de long medley de reprises de tubes des sixties. La première face démarre par un sampling de "Let's Twist Again" interprété Chubby Checker dans sa version allemande ("Der Twist Beginnt"). Chubby s'égosille avec énergie dans la langue du Fürher : "Ich sing meinen Song, denn du hörst den Gong! Wir tanzen den Twist, bis du müde biiiist" ("Je chante ma chanson, parce que vous entendez le gong, on danse le twist jusqu'à ce que vous soyez fatiguééés!"). Le changement de langue provoque un troublant décalage. On a le sentiment que le chanteur motive plus une troupe militaire qu'un groupe d'adolescents désireux de se remuer: Le titre n'ayant pas été modifié mais simplement changé de contexte, la puissance du détournement n'en est que plus remarquable.
Chubby se voit rapidement couper la chique par un rythme tribal noyé d'écho. Des chants nasillards reprennent en chœur le refrain accrocheur de "Land Of A Thousand Dances", carton de 1965 pour les Cannibal and the Headhunters : "Naaa ! Nanananaaa ! Nanananaaa Nanana Nanana ! Nanananaaaa !" Une voix d'outre tombe entonne alors un chant martial ponctué de clusters dissonants: "Tu dois savoir comment danser le poney / Comme Bonie Maronie / Danse le mashed potato / Fais l'alligator ..." En résonance avec Chubby Checker transformé en Himmler, l'inventaire de danses fabriquées lors des années 60 (pony, mashed potatoes, alligator...) prend des allures de discours autoritaire. "Tu dois danser ce putain de truc!" Le chanteur hurlant les paroles sur un rythme évoquant plus les travaux forcés qu'un dance contest, l'usage outrancier de l'écho, tout cela rappelle les discours haineux d'Adolf Hitler. Bowie n'avait-il pas dit qu'Hitler était aussi bon que Jagger ?
Sur la seconde suite, "Hitler Was A Vegetarian", "Pushin Too Hard" des Seeds est réduit à une simple répétition mécanique : "Pushin pushin pushin pushin pushin too hard". Le solo de guitare de la version originale est même samplé pour parfaire le massacre. Les Residents s'amusent aussi à superposer diverses compositions (mash-up). Contrairement à Zappa ou Charles Ives, les Residents ne s'amusent pas de l'inadéquation, de la surprise véhiculée par un rapprochement surréaliste. Ils veulent au contraire montrer que c'est tout le temps la même chose. "In-A-Gadda-Da-Vida" (1968) du groupe psychédélique américain Iron Butterfly est mélangé avec "Sunshine Of Your Love" (1968) des anglais Cream. Ils s'avèrent que les mélodies des deux titres sont pratiquement identiques. Pour les mêler, les Residents reprennent les riffs de manière à ce que les deux chromatismes soient interprétés simultanément. "In-A-Gadda-Da-Vida" est ensuite stoppé pour laisser place à la seule répétition hypnotique du riff des Cream, joué douze fois dans un ralentissement progressif comme pour insister sur la vacuité d'une telle musique, mais aussi de son insistance presque obsédante à vouloir persévérer. Puis on passe à "Hey Jude" (1968) des Beatles et sa coda épique de quatre minutes. Deux claviers jouent le thème, mais sur deux tonalités différentes, ce qui donne une ambiance angoissante de thriller. Les paroles sont absentes. Seule une guitare interprète sans emphase la partie vocale. Par un revirement des plus surprenant, le "wooh-wooh" qui ponctue le rythme samba de "Sympathy For The Devil" des Stones est intégré à cette ambiance de mort, par dessus "Hey Jude". On a le sentiment d'une apothéose morbide, d'un mariage indigeste. Les Residents brisent leurs idoles dans une ambiance tendue, à l'air raréfié, qui communique un malaise certain.
Le message est clair (jusque dans l'estomac) : Les Residents assimilent l'efficacité d'un tube à une forme de propagande. Quel est le but d'une chanson pop ? Qu'on l'écoute et qu'on l'achète pour l'écouter encore. La société crée du spectacle qui ne cherche... qu'à se faire entendre encore et encore, à monter les charts, à se relancer dans de nouvelles productions. Et quand il n'y a plus de tubes ? C'est Dick Clark qui relance la machine! L'industrie du disque est du même acabit que n'importe quelle autre industrie : elle sert une économie qui se développe pour elle-même. Et la musique qu'elle produit chante cette veine narcissique d'une société qui se repaît de son propre développement. Cette musique que l'on entend partout, qu'on martèle à travers les médias, ces tubes qui, comme l'a fait remarquer Peter Szendy, se commentent aux mêmes dans un délire narcissique: "écoute cette chanson..." Ce qui fera dire à Debord que la Société du spectacle "baigne indéfiniment dans sa propre gloire".
Dans un aveu indirect, les Residents précise au dos de l'album : "Les gens se demandaient déjà si les Residents laissaient entendre que le Rock'n'roll consistait en un lavage de cerveau de la jeunesse du monde entier." A l'instar du détournement situationniste, le groupe met en valeur la part d'aliénation que contient la pop en lui faisant adopter un style opposé au sien (le nazisme), mais qui révélerait sa nature véritable.
Le groupe peut se permettre de critiquer le spectacle: grâce à leur anonymat, ils se placent en dehors de celui-ci. Ils ne sont pas des vedettes. Ce sont des spectateurs retranchés. La Cryptic Corporation (structure qui joue le rôle d'interface entre les Residents et le public) écrit : "Nous, en tant que société mère, soutenons Les Residents dans leur hommage aux milliers de petits esprits assoiffés de pouvoir de l'industrie de la musique qui nous ont aidés à être ce que nous sommes aujourd'hui, avec un Oeil ouvert sur ce que nous pouvons leur faire demain."
Pourtant nous avons le choix non ? Le choix de préférer Keiji Haino à Britney Spears. "Faux" répond Debord. Ce choix, on nous l'a déjà mâché. Tout le spectre des choix musicaux correspond toujours à ce que l'industrie nous donne à entendre. On peut bien se disputer sur des "qualités fantomatiques", quoiqu'on fasse, nos goûts sont formés en amont par les affaires, par des Dick Clark en série.
L'usage de la musique dans toute dictature consiste à la mettre au service de l'Etat. Elle est l'incarnation sensible de l'idéologie régnante. Aux Etats-Unis, c'est du "spectacle diffus" (Debord). La musique est mise au service de l'économie et non de l'Etat. Vêtir Dick Clark en SS c'est montrer l'autoritarisme qui se cache derrière la vedette. On propose des choix contradictoires (Keiji Haino/ Britney Spears), mais toute musique étant comprise dans un marché plus global, le choix n'est qu'illusoire. Les Residents, avec leurs superbes globes oculaires en guise de visage veulent nous éveiller à cette réalité et nous conseille l'adage du "Do It Yourself". Third Reich'n'roll n'a rien d'un disque conceptuel dans le sens snob du terme. C'est au contraire l'objet le plus révolutionnaire qui soit. C'est un outil d'affranchissement dont la puissance anarchique est toute aussi vive aujourd'hui.
En février 1976, DADA renaît de ses cendres pour filer la plus belle fessée que la pop ait jamais subie : Third Reich'n'Roll. La musique qui compose ce pamphlet anti-pop "a été tiré sans vergogne de ce dont (Les Residents) se souvenaient du top 40 des années soixante diffusé à la radio." Le principe de base est enfantin et cruel : le groupe joue par dessus des tubes sixties (Gloria, Light My Fire, Papa's Got A Brand New Bag, 96 Tears), échelonnant peu à peu les prises, puis effacent l'original pour ne laisser que leur interprétation. Interprétation qui s'apparente davantage un jeu de massacre qu'à une volonté de se rapprocher du modèle. Mais commençons par le commencement.
Déjà sur le plan visuel, les provocations à venir de Throbbing Gristle & consort peuvent mouiller leurs couches. La pochette des Residents nous montre un Dick Clark osant une pose décontractée dans un uniforme SS tandis que de petits Fürhers dansent en duo sur des nuages toxiques s'évaporant dans une nuit de cristal. Cette mise en scène s'inspire d'American Bandstand, une émission sur le rock'n'roll que Dick Clark anime alors depuis les années 50. On y voit des "foules solitaires" d'adolescents se dandinant sur une série de tubes fraîchement moulés. Ca a un succès dingue. Chaque samedi, plusieurs millions de téléspectateurs matent les jeunes remuant du croupion sur le dernier beat à la mode.
Lester Bangs tentera de tirer les vers du pif de Dick, un Dick pas né d'hier faut dire : c'est un business man. La qualité de la musique ? Il s'en branle. Pour lui, la musique populaire est populaire parce les gens l'aiment. Point. Y'a pas à tortiller au delà. Et pourquoi Dick s'intéresse t-il autant aux jeunes ? "Pure cupidité" sort-il sans se démonter. Dick Clark est le symbole de la musique devenue marchandise. Son job c'est quoi? Quand les rayons sont vides, c'est à lui de les remplir. Ils ratissent les tubes éventuels. Un procès lui a été intenté pour avoir fait des magouilles avec les maisons de disques. Il a accepté des cadeaux. Quant on sait que la télévision, à l'époque, reste le meilleur outil de publicité, Dick, naturellement, n'est pas qu'un simple pion. "Ecoute Warner Bros, je passe ton poulain seulement si tu prends mon numéro de compte d'ac?"
Et les années soixante ? Les hippies ? La révolution psychédélique ? Merde, c'était quelque chose ! Pourquoi vouloir bousiller les œuvres de cette époque ? Les Residents ont été témoins de la déconfiture sixties. Son basculement dans la défonce aux drogues dures, dans la violence et la récupération par le marché. Ils peuvent se permettre maintenant de donner une image du Summer of Love à travers ce qu'il a généré. De toute façon le ver était déjà dans le trip. Les types des maisons de disque, à l'époque, ce sont mis illico à fumer des joints et à porter des pattes d'eph' tant le nouveau marché était juteux. Dick Clark ne s'est jamais laissé pousser les cheveux, mais les Doors sont passés chez lui pousser la chansonnette. Quant au Grateful Dead, leurs chansons durant plusieurs dizaines de minutes, ils ont négocié un contrat pour toucher des royalties toutes les trois minutes et trente secondes et non à chaque chansons comme le veut la tradition. Jefferson Airplane avait une baraque de luxe avec grooms et stand de tir. Les hippies ont cru qu'il pouvait changer le monde sans s'attaquer aux règles. Il en est né la pire désillusion. Le rôle que jouent les Residents avec "Third Reich'n'Roll", c'est d'émettre le message punk bien avant le boys band de Mc Laren nommé Sex Pistols.
Les Residents sont plus que punks. Ils ne sont pas musiciens. Johnny Rotten à côté c'est la Callas. Les Residents sont avant tout des amoureux des manipulations sonores, des sons bizarres, des ambiances inhabituelles voire morbides. Ils "ont senti qu'utiliser le studio d'enregistrement comme un instrument leur permettrait de créer une musique qu'ils auraient été incapables de jouer de façon traditionnelle, et qu'il serait beaucoup plus intrigant pour eux d'agir ainsi plutôt que de prendre de vrais instruments de musique et d'apprendre à en jouer patiemment." Les membres du groupe font de leur amateurisme un puissant vecteur de créativité. Au lieu d'imiter les modèles (comme tout musicien pendant son apprentissage), ils s'amusent "à prendre la musique des autres pour la faire sonner comme de la musique que personne n'a jamais entendu auparavant." C'est vrai que l'appropriation des Residents est proprement monstrueuse, ahurissante, et drôle ! L'écart le plus extraordinaire reste la reprise du titre bubble-gum "Yummy Yummy Yummy" ("Miam Miam Miam") d'Ohio Express, devenu une imprécation de messe noire aux airs de rites cannibales, portée par un orgue sauvage qui n'aurait pas à pâlir devant les colères délirantes de Xenakis.
Third Reich'n'roll se divise en deux suites : "Svastikas On Parade" (enregistré en octobre 1974) et "Hitler Was A Vegetarian" (enregistré un an plus tard). Ces suites s'apparentent à de long medley de reprises de tubes des sixties. La première face démarre par un sampling de "Let's Twist Again" interprété Chubby Checker dans sa version allemande ("Der Twist Beginnt"). Chubby s'égosille avec énergie dans la langue du Fürher : "Ich sing meinen Song, denn du hörst den Gong! Wir tanzen den Twist, bis du müde biiiist" ("Je chante ma chanson, parce que vous entendez le gong, on danse le twist jusqu'à ce que vous soyez fatiguééés!"). Le changement de langue provoque un troublant décalage. On a le sentiment que le chanteur motive plus une troupe militaire qu'un groupe d'adolescents désireux de se remuer: Le titre n'ayant pas été modifié mais simplement changé de contexte, la puissance du détournement n'en est que plus remarquable.
Chubby se voit rapidement couper la chique par un rythme tribal noyé d'écho. Des chants nasillards reprennent en chœur le refrain accrocheur de "Land Of A Thousand Dances", carton de 1965 pour les Cannibal and the Headhunters : "Naaa ! Nanananaaa ! Nanananaaa Nanana Nanana ! Nanananaaaa !" Une voix d'outre tombe entonne alors un chant martial ponctué de clusters dissonants: "Tu dois savoir comment danser le poney / Comme Bonie Maronie / Danse le mashed potato / Fais l'alligator ..." En résonance avec Chubby Checker transformé en Himmler, l'inventaire de danses fabriquées lors des années 60 (pony, mashed potatoes, alligator...) prend des allures de discours autoritaire. "Tu dois danser ce putain de truc!" Le chanteur hurlant les paroles sur un rythme évoquant plus les travaux forcés qu'un dance contest, l'usage outrancier de l'écho, tout cela rappelle les discours haineux d'Adolf Hitler. Bowie n'avait-il pas dit qu'Hitler était aussi bon que Jagger ?
Sur la seconde suite, "Hitler Was A Vegetarian", "Pushin Too Hard" des Seeds est réduit à une simple répétition mécanique : "Pushin pushin pushin pushin pushin too hard". Le solo de guitare de la version originale est même samplé pour parfaire le massacre. Les Residents s'amusent aussi à superposer diverses compositions (mash-up). Contrairement à Zappa ou Charles Ives, les Residents ne s'amusent pas de l'inadéquation, de la surprise véhiculée par un rapprochement surréaliste. Ils veulent au contraire montrer que c'est tout le temps la même chose. "In-A-Gadda-Da-Vida" (1968) du groupe psychédélique américain Iron Butterfly est mélangé avec "Sunshine Of Your Love" (1968) des anglais Cream. Ils s'avèrent que les mélodies des deux titres sont pratiquement identiques. Pour les mêler, les Residents reprennent les riffs de manière à ce que les deux chromatismes soient interprétés simultanément. "In-A-Gadda-Da-Vida" est ensuite stoppé pour laisser place à la seule répétition hypnotique du riff des Cream, joué douze fois dans un ralentissement progressif comme pour insister sur la vacuité d'une telle musique, mais aussi de son insistance presque obsédante à vouloir persévérer. Puis on passe à "Hey Jude" (1968) des Beatles et sa coda épique de quatre minutes. Deux claviers jouent le thème, mais sur deux tonalités différentes, ce qui donne une ambiance angoissante de thriller. Les paroles sont absentes. Seule une guitare interprète sans emphase la partie vocale. Par un revirement des plus surprenant, le "wooh-wooh" qui ponctue le rythme samba de "Sympathy For The Devil" des Stones est intégré à cette ambiance de mort, par dessus "Hey Jude". On a le sentiment d'une apothéose morbide, d'un mariage indigeste. Les Residents brisent leurs idoles dans une ambiance tendue, à l'air raréfié, qui communique un malaise certain.
Le message est clair (jusque dans l'estomac) : Les Residents assimilent l'efficacité d'un tube à une forme de propagande. Quel est le but d'une chanson pop ? Qu'on l'écoute et qu'on l'achète pour l'écouter encore. La société crée du spectacle qui ne cherche... qu'à se faire entendre encore et encore, à monter les charts, à se relancer dans de nouvelles productions. Et quand il n'y a plus de tubes ? C'est Dick Clark qui relance la machine! L'industrie du disque est du même acabit que n'importe quelle autre industrie : elle sert une économie qui se développe pour elle-même. Et la musique qu'elle produit chante cette veine narcissique d'une société qui se repaît de son propre développement. Cette musique que l'on entend partout, qu'on martèle à travers les médias, ces tubes qui, comme l'a fait remarquer Peter Szendy, se commentent aux mêmes dans un délire narcissique: "écoute cette chanson..." Ce qui fera dire à Debord que la Société du spectacle "baigne indéfiniment dans sa propre gloire".
Dans un aveu indirect, les Residents précise au dos de l'album : "Les gens se demandaient déjà si les Residents laissaient entendre que le Rock'n'roll consistait en un lavage de cerveau de la jeunesse du monde entier." A l'instar du détournement situationniste, le groupe met en valeur la part d'aliénation que contient la pop en lui faisant adopter un style opposé au sien (le nazisme), mais qui révélerait sa nature véritable.
Le groupe peut se permettre de critiquer le spectacle: grâce à leur anonymat, ils se placent en dehors de celui-ci. Ils ne sont pas des vedettes. Ce sont des spectateurs retranchés. La Cryptic Corporation (structure qui joue le rôle d'interface entre les Residents et le public) écrit : "Nous, en tant que société mère, soutenons Les Residents dans leur hommage aux milliers de petits esprits assoiffés de pouvoir de l'industrie de la musique qui nous ont aidés à être ce que nous sommes aujourd'hui, avec un Oeil ouvert sur ce que nous pouvons leur faire demain."
Pourtant nous avons le choix non ? Le choix de préférer Keiji Haino à Britney Spears. "Faux" répond Debord. Ce choix, on nous l'a déjà mâché. Tout le spectre des choix musicaux correspond toujours à ce que l'industrie nous donne à entendre. On peut bien se disputer sur des "qualités fantomatiques", quoiqu'on fasse, nos goûts sont formés en amont par les affaires, par des Dick Clark en série.
L'usage de la musique dans toute dictature consiste à la mettre au service de l'Etat. Elle est l'incarnation sensible de l'idéologie régnante. Aux Etats-Unis, c'est du "spectacle diffus" (Debord). La musique est mise au service de l'économie et non de l'Etat. Vêtir Dick Clark en SS c'est montrer l'autoritarisme qui se cache derrière la vedette. On propose des choix contradictoires (Keiji Haino/ Britney Spears), mais toute musique étant comprise dans un marché plus global, le choix n'est qu'illusoire. Les Residents, avec leurs superbes globes oculaires en guise de visage veulent nous éveiller à cette réalité et nous conseille l'adage du "Do It Yourself". Third Reich'n'roll n'a rien d'un disque conceptuel dans le sens snob du terme. C'est au contraire l'objet le plus révolutionnaire qui soit. C'est un outil d'affranchissement dont la puissance anarchique est toute aussi vive aujourd'hui.
Exceptionnel ! ! 19/20
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