The Soulsavers
It's Not How Far You Fall, It's The Way You Land |
Label :
V2 |
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Au cœur des années 2000, Mark Lanegan n'est pas dans la forme de sa vie. Vers 2004-2005, suite à une énième rechute dans les affres de ses addictions aux substances prohibées, il tombe dans le coma pendant dix jours et vit ce qu'il décrira plus tard comme une near-death experience (une expérience de mort imminente). Grâce au Pouvoir du Rock, qui veille inlassablement sur lui depuis vingt ans malgré son style de vie peu recommandable (et surtout une bonne grosse dose de chance), il s'en sort une nouvelle fois par miracle, mais, comme si le Démon venait réclamer son dû à quelqu'un qui l'a approché d'un peu trop près un peu trop souvent, il perd subitement tout goût et intérêt dans ce qui constituait son unique et ultime raison d'être : la musique. Envolée l'envie d'en écrire, d'en jouer, de chanter et même d'en écouter. Après des années 90 épouvantables et un début de nouveau millénaire pas vraiment plus heureux, le choc est rude, presque insurmontable.
Il a fallu toute l'énergie et la persuasion de Greg Dulli, l'un de ses plus proches amis, pour le motiver et le convaincre de s'y remettre. Il repart ainsi sur la route en juin 2006 aux USA, "forcé" d'accompagner Dulli et ses Twilight Singers en tournée, eux qui promeuvent alors leur excellent Powder Burns. Il restera avec eux jusqu'à la fin de l'année, de façon plus ou moins constante, parcourant aussi bien le Vieux Continent que les States. Un peu plus tôt, en mars, était aussi sorti Ballad of the Broken Seas, enregistré l'année d'avant, son premier album en duo avec Isobel Campbell, l'ancienne violoncelliste de Belle & Sebastian (album suivi de deux autres jusqu'en 2010, pour une de ses plus belles collaborations à mes yeux). Finalement, même lors de cette période délicate et malgré son état général peu brillant et ses réticences originelles, il n'est pas resté inactif, la liste de ses différentes apparitions chez d'autres étant là pour en témoigner. Mais le nœud du problème résidait toujours dans sa situation personnelle et il ne devait relancer sa carrière solo qu'en 2012 avec Blues Funeral, soit huit ans après Bubblegum en 2004, preuve que l'envie d'écrire et de composer pour lui-même mit du temps à revenir, au terme d'un long processus d'introspection. C'est donc en tant qu'invité de luxe ou de collaborateur plus ou moins récurent qu'il traversa ces huit années, période qui se révéla extrêmement fertile en albums formidables. Et je ne me prive évidemment pas de citer à ce titre le fantastique Saturnalia (2008), commis en compagnie de l'inévitable Dulli au sein des biens nommés Gutter Twins, parce que l'on ne parlera jamais assez de ce chef-d'œuvre.
Et toujours à cette époque, au milieu de ces années 2000 incertaines, Lanegan est approché par les Soulsavers, un duo composé de Rich Machin et Ian Glover, deux musiciens britanniques, également producteurs et remixeurs, qui œuvrent dans une sorte d'electronica lente et lugubre amalgamant élégamment rock, gospel, soul, blues et country (bref, toutes ces musiques qui mettent l'âme en fusion) et lui proposent de chanter sur leur nouveau disque. La paire en a déjà sorti un premier en 2003, Tough Guys Don't Dance, et il est clair qu'eux et leur musique étaient faits pour croiser la route cahoteuse de l'Américain et de sa voix d'outre-tombe tant ils ont en commun. Et cette rencontre fortuite mais tellement évidente débouche sur la sortie, en avril 2007, de It's Not How Far You Fall, It's The Way You Land, enregistré au cours de l'année précédente. Quelque part, c'était exactement l'album qu'il "fallait" à Lanegan à ce moment précis de sa vie et de sa carrière tant il reflète alors son état, jusque dans son titre, mélange de désespérance crue, de dévastation prégnante et d'espoir timide qui peine à émerger. L'écrin sonore funèbre et désolé élaboré par Machin et Glover sied parfaitement à Mark, il n'aurait pu trouver meilleur refuge pour ruminer sa douleur et ses sentiments. Mais preuve que sa situation s'améliorait, il coécrit la moitié des dix morceaux du disque et chante sur huit d'entre eux (les deux restants étant instrumentaux et les trois qu'il n'a pas aidé à composer des reprises).
Et pour atteindre cette rédemption qu'il recherche depuis si longtemps, quel meilleur moyen que de commencer par la majestueuse ˝Revival˝ ? Au-delà d'un titre qui ne pouvait être plus littéral, les paroles convoquent péché, pardon et désir de laisser derrière soi les malheurs du passé pour mieux repartir de l'avant. Avançant presque paisiblement, dotée d'admirables et envoûtants chœurs féminins, elle restera à jamais l'une des plus belles chansons sur laquelle Lanegan aura posé sa voix. L'atmosphère se fait plus sombre et lourde sur ˝Ghosts of You and Me˝, propulsée par une rythmique sourde et un saxo agonisant, et ˝Paper Money˝ et ses voix infernales qui jaillissent lors des refrains, l'heure n'étant plus aux retrouvailles avec le Divin, bien au contraire ("Heaven's so far away" nous murmure un Lanegan redevenu le prophète du monde souterrain). ˝Ask The Dust˝, le premier morceau instrumental de l'album, ramène ensuite un peu de lumière à mesure qu'il évolue, comme pour mieux nous préparer au deuxième temps fort de ce disque, une reprise du ˝Spiritual˝ de Josh Haden, principal membre du groupe californien Spain (à noter que c'est ce même Haden que l'on retrouve au micro sur trois titres du premier album des Soulsavers). Lanegan retrouve ses habits de lumière au chant et supplie rien de moins que le Fils de Dieu pour que ce dernier lui évite une fin triste et déprimante ("Jesus / I don't wanna die alone / [...] My love was untrue / Now all I have is you"). Encore une fois, et au risque de me répéter, le Mark chant divinement bien ici (une constante sur ce disque) et parvient à nous faire ressentir tout le poids de ses failles passées dont il espère être définitivement débarrassé.
L'ambiance redevient plus pesante avec ˝Kingdoms Of Rain˝, morceau tiré de Whiskey for the Holy Ghost, le somptueux deuxième album solo de Lanegan sorti en 1994, et cette relecture à la sauce Soulsavers parvient à le rendre encore plus sinistre que l'original, ce qui n'est pas un mince exploit. Le piano remplace la guitare pour l'obsédant et envoûtant motif central, les voix sont davantage mises en avant, les paroles gardent leur sombre impact ("Without a hope, without a prayer / This rain beats down like death") et la terrifiante déclaration d'amour de Lanegan ("'Cause I loved you so long") fait toujours autant frissonner. Autre reprise à recevoir un traitement similaire, le ˝Through My Sails˝ de Neil Young (Zuma, 1975) se voit ici doté d'un piano, d'un violon et de chœurs (avec Will Odlham notamment) qui préservent bien l'esprit de l'originale. Deuxième titre instrumental de l'album, ˝Arizona Bay˝ ne relâche pas l'étreinte et passe lentement et sans effort de la nuit à la lumière grâce à une progression bien dosée et maîtrisée de bout en bout et l'apport de cuivres éclatants. ˝Jesus Of Nothing˝ n'est pas en reste et nous fait bien sentir, avec ses percussions et ses synthés mortifères, qu'il n'y a plus grand-chose à espérer ("Last go around / My trail's nearly over / [...] I turn the ocean over / See nowhere to run / I've run so far already") et que de malicieuses rencontres vont avoir lieu ("Jesus of nothing / Judas to touches / On my way"). Et pour appuyer encore davantage ce propos, et clore le disque, c'est au tour du ˝No Expectations˝ des Rolling Stones d'être repris (Beggars Banquet, 1968) et ce choix n'aurait pu être plus avisé avec ces paroles procédant en quelque sorte au bilan général de l'album qui vient d'être joué, l'histoire de la chute d'un homme puissant ayant tout perdu et qui n'attend plus rien de la vie ("Once I was a rich man / Now I am so poor / But never in my sweet short life / Have I felt like this before") et, si l'on continue à filer la métaphore un peu audacieusement, un résumé de la vie de Lanegan. Suite à cette version dépouillée ne retenant que l'essentiel, rehaussée par la voix de l'Américain, un court instrumental non mentionné sur la pochette de dos du disque (alors qu'il l'est dans celle de l'intérieur), ˝End Title Theme˝, se fait entendre et termine cette œuvre magistrale sur une note douce-amère se perdant dans le lointain.
Première collaboration entre Mark Lanegan et les Soulsavers, It's Not How Far You Fall, It's The Way You Land est entièrement consacré au parcours chaotique d'un homme à la recherche d'une paix intérieure, du repos de son âme meurtrie par les échecs de sa vie et auquel bien peu de moments de répit sont accordés. Irrigué, inondé d'une sombre spiritualité, jusque sur sa pochette qui compacte la panoplie du pécheur (les jeux de hasard avec les dés et les cartes à jouer, l'argent, l'arme à feu, à peine sauvé par un petit Jésus en plastique et des papillons pouvant symboliser une métamorphose personnelle positive à venir), cet album nous offre une perspective crue de son principal protagoniste, un Mark Lanegan alors plongé dans la plus profonde des incertitudes quant à son futur de musicien. Heureusement pour lui (et pour nous !), ses pas l'ont mené au groupe qui s'est avéré le plus indiqué pour le remettre sur le droit chemin. Je ne sais pas s'il est parvenu à sauver son âme, mais force est de constater que le remède fut efficace puisqu'il est toujours parmi nous et continue de sortir de la musique (dont un fantastique Broken en 2009, toujours avec les Soulsavers). Dieu soit loué. Ou plutôt le Diable. Ou les deux (c'est selon vos inclinations).
Il a fallu toute l'énergie et la persuasion de Greg Dulli, l'un de ses plus proches amis, pour le motiver et le convaincre de s'y remettre. Il repart ainsi sur la route en juin 2006 aux USA, "forcé" d'accompagner Dulli et ses Twilight Singers en tournée, eux qui promeuvent alors leur excellent Powder Burns. Il restera avec eux jusqu'à la fin de l'année, de façon plus ou moins constante, parcourant aussi bien le Vieux Continent que les States. Un peu plus tôt, en mars, était aussi sorti Ballad of the Broken Seas, enregistré l'année d'avant, son premier album en duo avec Isobel Campbell, l'ancienne violoncelliste de Belle & Sebastian (album suivi de deux autres jusqu'en 2010, pour une de ses plus belles collaborations à mes yeux). Finalement, même lors de cette période délicate et malgré son état général peu brillant et ses réticences originelles, il n'est pas resté inactif, la liste de ses différentes apparitions chez d'autres étant là pour en témoigner. Mais le nœud du problème résidait toujours dans sa situation personnelle et il ne devait relancer sa carrière solo qu'en 2012 avec Blues Funeral, soit huit ans après Bubblegum en 2004, preuve que l'envie d'écrire et de composer pour lui-même mit du temps à revenir, au terme d'un long processus d'introspection. C'est donc en tant qu'invité de luxe ou de collaborateur plus ou moins récurent qu'il traversa ces huit années, période qui se révéla extrêmement fertile en albums formidables. Et je ne me prive évidemment pas de citer à ce titre le fantastique Saturnalia (2008), commis en compagnie de l'inévitable Dulli au sein des biens nommés Gutter Twins, parce que l'on ne parlera jamais assez de ce chef-d'œuvre.
Et toujours à cette époque, au milieu de ces années 2000 incertaines, Lanegan est approché par les Soulsavers, un duo composé de Rich Machin et Ian Glover, deux musiciens britanniques, également producteurs et remixeurs, qui œuvrent dans une sorte d'electronica lente et lugubre amalgamant élégamment rock, gospel, soul, blues et country (bref, toutes ces musiques qui mettent l'âme en fusion) et lui proposent de chanter sur leur nouveau disque. La paire en a déjà sorti un premier en 2003, Tough Guys Don't Dance, et il est clair qu'eux et leur musique étaient faits pour croiser la route cahoteuse de l'Américain et de sa voix d'outre-tombe tant ils ont en commun. Et cette rencontre fortuite mais tellement évidente débouche sur la sortie, en avril 2007, de It's Not How Far You Fall, It's The Way You Land, enregistré au cours de l'année précédente. Quelque part, c'était exactement l'album qu'il "fallait" à Lanegan à ce moment précis de sa vie et de sa carrière tant il reflète alors son état, jusque dans son titre, mélange de désespérance crue, de dévastation prégnante et d'espoir timide qui peine à émerger. L'écrin sonore funèbre et désolé élaboré par Machin et Glover sied parfaitement à Mark, il n'aurait pu trouver meilleur refuge pour ruminer sa douleur et ses sentiments. Mais preuve que sa situation s'améliorait, il coécrit la moitié des dix morceaux du disque et chante sur huit d'entre eux (les deux restants étant instrumentaux et les trois qu'il n'a pas aidé à composer des reprises).
Et pour atteindre cette rédemption qu'il recherche depuis si longtemps, quel meilleur moyen que de commencer par la majestueuse ˝Revival˝ ? Au-delà d'un titre qui ne pouvait être plus littéral, les paroles convoquent péché, pardon et désir de laisser derrière soi les malheurs du passé pour mieux repartir de l'avant. Avançant presque paisiblement, dotée d'admirables et envoûtants chœurs féminins, elle restera à jamais l'une des plus belles chansons sur laquelle Lanegan aura posé sa voix. L'atmosphère se fait plus sombre et lourde sur ˝Ghosts of You and Me˝, propulsée par une rythmique sourde et un saxo agonisant, et ˝Paper Money˝ et ses voix infernales qui jaillissent lors des refrains, l'heure n'étant plus aux retrouvailles avec le Divin, bien au contraire ("Heaven's so far away" nous murmure un Lanegan redevenu le prophète du monde souterrain). ˝Ask The Dust˝, le premier morceau instrumental de l'album, ramène ensuite un peu de lumière à mesure qu'il évolue, comme pour mieux nous préparer au deuxième temps fort de ce disque, une reprise du ˝Spiritual˝ de Josh Haden, principal membre du groupe californien Spain (à noter que c'est ce même Haden que l'on retrouve au micro sur trois titres du premier album des Soulsavers). Lanegan retrouve ses habits de lumière au chant et supplie rien de moins que le Fils de Dieu pour que ce dernier lui évite une fin triste et déprimante ("Jesus / I don't wanna die alone / [...] My love was untrue / Now all I have is you"). Encore une fois, et au risque de me répéter, le Mark chant divinement bien ici (une constante sur ce disque) et parvient à nous faire ressentir tout le poids de ses failles passées dont il espère être définitivement débarrassé.
L'ambiance redevient plus pesante avec ˝Kingdoms Of Rain˝, morceau tiré de Whiskey for the Holy Ghost, le somptueux deuxième album solo de Lanegan sorti en 1994, et cette relecture à la sauce Soulsavers parvient à le rendre encore plus sinistre que l'original, ce qui n'est pas un mince exploit. Le piano remplace la guitare pour l'obsédant et envoûtant motif central, les voix sont davantage mises en avant, les paroles gardent leur sombre impact ("Without a hope, without a prayer / This rain beats down like death") et la terrifiante déclaration d'amour de Lanegan ("'Cause I loved you so long") fait toujours autant frissonner. Autre reprise à recevoir un traitement similaire, le ˝Through My Sails˝ de Neil Young (Zuma, 1975) se voit ici doté d'un piano, d'un violon et de chœurs (avec Will Odlham notamment) qui préservent bien l'esprit de l'originale. Deuxième titre instrumental de l'album, ˝Arizona Bay˝ ne relâche pas l'étreinte et passe lentement et sans effort de la nuit à la lumière grâce à une progression bien dosée et maîtrisée de bout en bout et l'apport de cuivres éclatants. ˝Jesus Of Nothing˝ n'est pas en reste et nous fait bien sentir, avec ses percussions et ses synthés mortifères, qu'il n'y a plus grand-chose à espérer ("Last go around / My trail's nearly over / [...] I turn the ocean over / See nowhere to run / I've run so far already") et que de malicieuses rencontres vont avoir lieu ("Jesus of nothing / Judas to touches / On my way"). Et pour appuyer encore davantage ce propos, et clore le disque, c'est au tour du ˝No Expectations˝ des Rolling Stones d'être repris (Beggars Banquet, 1968) et ce choix n'aurait pu être plus avisé avec ces paroles procédant en quelque sorte au bilan général de l'album qui vient d'être joué, l'histoire de la chute d'un homme puissant ayant tout perdu et qui n'attend plus rien de la vie ("Once I was a rich man / Now I am so poor / But never in my sweet short life / Have I felt like this before") et, si l'on continue à filer la métaphore un peu audacieusement, un résumé de la vie de Lanegan. Suite à cette version dépouillée ne retenant que l'essentiel, rehaussée par la voix de l'Américain, un court instrumental non mentionné sur la pochette de dos du disque (alors qu'il l'est dans celle de l'intérieur), ˝End Title Theme˝, se fait entendre et termine cette œuvre magistrale sur une note douce-amère se perdant dans le lointain.
Première collaboration entre Mark Lanegan et les Soulsavers, It's Not How Far You Fall, It's The Way You Land est entièrement consacré au parcours chaotique d'un homme à la recherche d'une paix intérieure, du repos de son âme meurtrie par les échecs de sa vie et auquel bien peu de moments de répit sont accordés. Irrigué, inondé d'une sombre spiritualité, jusque sur sa pochette qui compacte la panoplie du pécheur (les jeux de hasard avec les dés et les cartes à jouer, l'argent, l'arme à feu, à peine sauvé par un petit Jésus en plastique et des papillons pouvant symboliser une métamorphose personnelle positive à venir), cet album nous offre une perspective crue de son principal protagoniste, un Mark Lanegan alors plongé dans la plus profonde des incertitudes quant à son futur de musicien. Heureusement pour lui (et pour nous !), ses pas l'ont mené au groupe qui s'est avéré le plus indiqué pour le remettre sur le droit chemin. Je ne sais pas s'il est parvenu à sauver son âme, mais force est de constater que le remède fut efficace puisqu'il est toujours parmi nous et continue de sortir de la musique (dont un fantastique Broken en 2009, toujours avec les Soulsavers). Dieu soit loué. Ou plutôt le Diable. Ou les deux (c'est selon vos inclinations).
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Poukram |
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