Mark Kozelek
Mark Kozelek With Ben Boye & Jim White 2 |
Label :
Calde Verde |
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Je retrouve Mark après quelques années, avec l'impression de retrouver un vieil ami. Ça fait quelque temps que je n'ai pas pris de nouvelles, la vie est ainsi faite que je n'ai pas fait l'effort de suivre Mark aussi assidûment que j'ai pu le faire par le passé. Mais quelques secondes seront suffisantes pour éprouver ce confort tranquille, ce sentiment de retrouver cette vieille maison presque identique à l'état dans lequel je l'ai laissée la dernière fois. Comme un vieux pote, il aura plein de trucs à raconter, mais plus il causera (et il cause, l'animal...) plus on reconnaîtra les schémas familiers, les mêmes manières de se foutre dans la merde, toujours à s'enticher des mêmes nanas, la même obsession pour les complots... Mark c'est pareil, il s'arrête jamais de raconter ses histoires de quinqua globe-trotteur, ses connaissances sur les fusillades de masse, ses souvenirs avec les grands noms du biz', son amour pour ses proches, ses regrets de jeune chien fou, ses observations sur son âge et les changements dans son corps... Ça va faire bientôt 8 ans qu'il se forge cette routine artistique, raffinant sa formule et la laissant évoluer paisiblement au gré des collaborations. Ainsi survient l'inévitable question : qu'est-ce qui différencie un disque d'un autre dans la discographie pléthorique du Koz' des 2010s ? La réponse pourra varier selon les goûts de chacun, mais pour moi un album de Mark se distingue par le choix de ses instrus et la qualité des histoires. Par exemple un Common As Light and Love Are Red Valleys of Blooda pu m'épuiser et me lasser avec ses grooves secs et excessivement redondants, alors que le Mark Kozelek de 2018 m'avait ébloui avec son atmosphère intimiste, ses simples boucles de guitare bricolées et ses paroles sur l'errance, celle d'un sentiment de pause, d'entre deux, une petite niche confortable entre deux tournées, entre deux journées...
Aujourd'hui, pour nos retrouvailles, Mark réunit une nouvelle fois le pianiste Ben Boye et le batteur Jim White, avec lesquels il a déjà enregistré un album il y a quelques années. Mais si je garde de celui-ci un souvenir très déconcertant et expérimental, le numéro 2 m'a instantanément plu. Les morceau sont longs et à tiroir - pas vraiment de couplet/refrain chez Mark de nos jours, plutôt une suite de d'humeurs aux transitions abruptes, presque pareilles à des collages. Et ces "moods" sont habitées de boucles délicates par le trio au toucher précis, piano/guitare nylon/batterie tandis que Mark pose son flow calme et bourru. On a pu se moquer, plus ou moins gentiment, du style nouveau du Koz' en le nommant "dad rap" de la même manière qu'on nomme "dad rock" les vieux rockers de Springsteen à Dire Straits. Mais railleries mise à part, l'approche de Kozelek s'approche tout à fait du rap à sa manière, avec des instrumentations certes faites à la main mais structurées de la même manière que les loops du hip-hop, sur un rythme souvent assez lent et calme, et son flow décousu et peu articulé n'est pas non plus sans évoquer la scène dite mumble rap (mumble = marmonnement) qui s'est développée dans la dernière décennie. Mark confesse n'être vraiment plus intéressé que par le hip-hop en musiques actuelles. Avec ici une attention toute particulière qui semble avoir été portée sur des instrumentations léchées, si impeccables qu'on ne croirait pas qu'elles proviennent de séances d'improvisations - certes découpées avant que Mark ne pose sa voix dessus. En interview, il rapporte qu'au contraire du premier album, les trois musiciens se sont mis d'accord pour rester chacun au même instrument de A à Z, d'où la cohérence impressionnante qui nimbe ce deuxième volume en dépit des changements d'humeurs parfois radicaux entre les morceaux et parfois au sein d'un même morceau.
Je tenais à insister sur le son et la structure instrumentale de l'album avant même d'évoquer les paroles, pour une raison bien précise j'ai déjà un peu dégrossi plus haut ; ce sont ces instrus qui peuvent faire ou défaire un album de Mark Kozelek pour moi, pas les paroles - même s'il est impossible de leur échapper. Les instrumentations sont pour moi la porte d'entrée vers les paroles dans ce style singulier, un peu de la même manière que dans le rap ce sont les instrus qui me séduiront en premier lieu, et me donneront ou non la motivation de me dédier à la lecture des textes. De par sa manière d'écrire, je me dis qu'il n'y a pas forcément un album mieux écrit qu'un autre depuis Benji/Universal Themes, même si son style s'affine. Mais ces cascades bleues de piano, cette batterie qui frappe avec une main de fer dans un gant de velours, parfaitement rendue en stéréo, où un tom frappe dans l'oreille droite tandis qu'une cymbale tinte dans l'oreille gauche, et les arpèges calmes et chauds des cordes en nylon m'ont offert un accès limpide aux nouvelles histoires de Mark, qui parle de beaucoup de choses, encore une fois... Une longue discussion avec un chauffeur de taxi, une tuerie de plus aux States qui n'atteint personne (l'habitude...), les malheurs rénaux du frère de Mark, des discussions politiques qui exaspèrent notre protagoniste, ou encore - et peut-être surtout - cette incroyable métaphore filée de l'underdog de "Chard Enchilada", où Mark salue les efforts des aliments, animaux et musiciens peu gâtés par la vie ; un enchilada à la blette qui essaie de s'imposer dans un marché rempli des plus populaires enchiladas au poulet ou au fromage, un chien écossais errant qui doit s'habituer à se prendre la pluie sur la gueule tous les jours, et enfin un joueur de basson qui doit faire sa niche dans un milieu où l'on vante les violons, saxophones et tous les autres instruments qui vous viendront à l'esprit plus vite que le basson.
Et ça pourrait s'arrêter là, sauf que le récit de Mark se transforme en recherche d'un joueur de basson pour interpréter un solo sur ce même morceau... et lorsqu'il le trouve, un solo de basson surgit de la belle monotonie savamment installée par les trois compère et illumine les environs. Il s'agit d'un moment comme un autre dans ce riche (et long) album qui montre que Mark Kozelek, pour tout âgé qu'il soit (lui en tout cas se voit déjà comme un vieux croulant, même s'il n'est pas encore tout à fait proche des 60 ans) n'a pas fini de tenter des hold-up narratifs. Et je lui serais gré de ne pas s'arrêter de sitôt.
Aujourd'hui, pour nos retrouvailles, Mark réunit une nouvelle fois le pianiste Ben Boye et le batteur Jim White, avec lesquels il a déjà enregistré un album il y a quelques années. Mais si je garde de celui-ci un souvenir très déconcertant et expérimental, le numéro 2 m'a instantanément plu. Les morceau sont longs et à tiroir - pas vraiment de couplet/refrain chez Mark de nos jours, plutôt une suite de d'humeurs aux transitions abruptes, presque pareilles à des collages. Et ces "moods" sont habitées de boucles délicates par le trio au toucher précis, piano/guitare nylon/batterie tandis que Mark pose son flow calme et bourru. On a pu se moquer, plus ou moins gentiment, du style nouveau du Koz' en le nommant "dad rap" de la même manière qu'on nomme "dad rock" les vieux rockers de Springsteen à Dire Straits. Mais railleries mise à part, l'approche de Kozelek s'approche tout à fait du rap à sa manière, avec des instrumentations certes faites à la main mais structurées de la même manière que les loops du hip-hop, sur un rythme souvent assez lent et calme, et son flow décousu et peu articulé n'est pas non plus sans évoquer la scène dite mumble rap (mumble = marmonnement) qui s'est développée dans la dernière décennie. Mark confesse n'être vraiment plus intéressé que par le hip-hop en musiques actuelles. Avec ici une attention toute particulière qui semble avoir été portée sur des instrumentations léchées, si impeccables qu'on ne croirait pas qu'elles proviennent de séances d'improvisations - certes découpées avant que Mark ne pose sa voix dessus. En interview, il rapporte qu'au contraire du premier album, les trois musiciens se sont mis d'accord pour rester chacun au même instrument de A à Z, d'où la cohérence impressionnante qui nimbe ce deuxième volume en dépit des changements d'humeurs parfois radicaux entre les morceaux et parfois au sein d'un même morceau.
Je tenais à insister sur le son et la structure instrumentale de l'album avant même d'évoquer les paroles, pour une raison bien précise j'ai déjà un peu dégrossi plus haut ; ce sont ces instrus qui peuvent faire ou défaire un album de Mark Kozelek pour moi, pas les paroles - même s'il est impossible de leur échapper. Les instrumentations sont pour moi la porte d'entrée vers les paroles dans ce style singulier, un peu de la même manière que dans le rap ce sont les instrus qui me séduiront en premier lieu, et me donneront ou non la motivation de me dédier à la lecture des textes. De par sa manière d'écrire, je me dis qu'il n'y a pas forcément un album mieux écrit qu'un autre depuis Benji/Universal Themes, même si son style s'affine. Mais ces cascades bleues de piano, cette batterie qui frappe avec une main de fer dans un gant de velours, parfaitement rendue en stéréo, où un tom frappe dans l'oreille droite tandis qu'une cymbale tinte dans l'oreille gauche, et les arpèges calmes et chauds des cordes en nylon m'ont offert un accès limpide aux nouvelles histoires de Mark, qui parle de beaucoup de choses, encore une fois... Une longue discussion avec un chauffeur de taxi, une tuerie de plus aux States qui n'atteint personne (l'habitude...), les malheurs rénaux du frère de Mark, des discussions politiques qui exaspèrent notre protagoniste, ou encore - et peut-être surtout - cette incroyable métaphore filée de l'underdog de "Chard Enchilada", où Mark salue les efforts des aliments, animaux et musiciens peu gâtés par la vie ; un enchilada à la blette qui essaie de s'imposer dans un marché rempli des plus populaires enchiladas au poulet ou au fromage, un chien écossais errant qui doit s'habituer à se prendre la pluie sur la gueule tous les jours, et enfin un joueur de basson qui doit faire sa niche dans un milieu où l'on vante les violons, saxophones et tous les autres instruments qui vous viendront à l'esprit plus vite que le basson.
Et ça pourrait s'arrêter là, sauf que le récit de Mark se transforme en recherche d'un joueur de basson pour interpréter un solo sur ce même morceau... et lorsqu'il le trouve, un solo de basson surgit de la belle monotonie savamment installée par les trois compère et illumine les environs. Il s'agit d'un moment comme un autre dans ce riche (et long) album qui montre que Mark Kozelek, pour tout âgé qu'il soit (lui en tout cas se voit déjà comme un vieux croulant, même s'il n'est pas encore tout à fait proche des 60 ans) n'a pas fini de tenter des hold-up narratifs. Et je lui serais gré de ne pas s'arrêter de sitôt.
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
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