Mark Kozelek
Mark Kozelek |
Label :
Caldo Verde |
||||
"Tough these words may need refining
Though I much prefer reclining
Backstage and out front autograph signing
Though I prefer infrequent flying
Though for perfection, I've stopped trying
My love for you is undying."
Mark Kozelek, le grincheux, la grande-gueule, le pourvoyeur, le quinquagénaire, le rappeur (?!), bref le Koz' m'avait perdu. Je l'avais pourtant suivi avec enthousiasme le long de cette nouvelle route qu'il s'était tracée depuis Benji, celle d'un narrateur de sa propre vie se débarrassant petit à petit de toute autocensure. Mais la logorrhée de ses mots avait fini par s'étendre à sa production discographique : rien qu'en 2017 l'homme a sorti 4 albums, un sous le nom Sun Kil Moon, et trois collaborations (dont une avec Justin Broderick de Jesu, la seconde). Ce qui, si on prend en compte la durée desdits albums, bat soit-dit-en-passant à plate couture la performance de King Gizzard la même année. Or le Sun Kil Moon, Common As Light and Love Are Red Valleys of Blood, m'avait tant épuisé par son inégalité et sa longueur, par son verbiage aussi excessif que monotone fourni avec les instrumentations les moins convaincantes de sa carrière, tant et si bien que c'est à peine si j'avais posé l'oreille sur ses autres sorties de l'année (la collab avec Jesu relevait le niveau Dieu merci). Je me disais que le Koz avait finalement atteint la limite de ce style, ou en tout cas il allait désormais trop loin pour que je puisse le suivre. Mais l'hiver dernier, Mark a voulu faire une pause. Plus de tournée, de déplacements en continu, de studio d'enregistrement, de collaborations et même d'interactions sociales soutenues. Mark est entré dans un hôtel de San Francisco, a loué une chambre et y est resté un moment, pour méditer sur l'état de sa vie. Et bien sûr, plus incorrigible qu'un fumeur repentant, il n'a pas pu s'empêcher d'en faire un album.
Dans sa chambre il a installé son matos, on imagine simplement quelques guitares et de quoi faire des boucles. On l'imagine aussi jammer avec lui-même, à essayer des mélodies de guitare jusqu'à tomber sur les motifs incongrus qui parsèment des morceaux construits comme des patchworks dans lesquels Kozelek passe d'une anecdote à l'autre avec à chaque fois un "shift" d'une boucle de guitare à la suivante. Là les attentifs pourront légitimement se gratter le menton : Quoi de neuf sous le soleil ? Rien de bien différent à ce qu'on pouvait déjà trouver sur un Universal Themes ou un Common As Light, a priori. Pourtant cet humble disque me touche plus que ces deux derniers, à vrai dire je n'avais plus été aussi ému par un projet de Kozelek depuis le difficilement dépassable Benji. Cela me semble dû à deux choses :
- Mark est seul.
Si on excepte une partie de batterie interprétée par le fidèle Steve Shelley sur le morceau "Sublime", il tricote tout de ses doigts. Aussi bien les parties de guitares qui font l'effet de haïkus répétés en boucle, que sa voix même, qu'il utilise comme un instrument pour tapisser le fond de ses chansons. On a ainsi droit à des "hmmhmm" graves et profonds (sur "This Is My Town" par exemple), des imitations de boîte à rythme "boom boom boom boom...", des.... onomatopées d'animaux (oui oui, sur "666 post" ça arrive). Mark s'en donne à cœur joie, peu importe l'excentricité, sur des morceaux qui sont tout à la fois hilarants et émouvants (même si parfois on rit jaune).
- Mark s'est posé.
Et dans cet état d'entre-deux - entre deux avions, entre deux albums de SKM - loin des bras de sa compagne, du contact avec son public ou avec des musiciens ou autres personnalités qu'il namedrop à tort et à travers ces dernières années ; entre tout ça, face à lui-même, Mark Kozelek semble s'être trouvé dans cet album qui ne porte pas son nom sans raison. Tout mène à penser que l'on a ici la plus pure émulation (à ce jour) de ce que ça fait d'être dans la peau de Mark Kozelek. Dans cette antichambre franciscaine qu'il s'est choisi, Mark se confesse plus que jamais... et si je devais prendre une image qui appartient à la cure psychanalytique, au cours de laquelle on est amené à parler de ce qui nous vient à l'esprit en libre association (analogie facile pour parler du style du Koz, mais non moins pertinente), je dirais qu'on a l'impression d'être dans cet album en plein récit de rêve. Mark comme à son habitude passe d'un sujet à l'autre, avec toujours néanmoins une idée générale qui ressort, à chaque nouvelle anecdote l'instrumentation bascule un peu avec une nouvelle boucle de guitare, et ses "vocaux-tapisserie" s'accordent au diapason.
Je vis cet album comme une véritable expérience qui me transporte en un lieu étrangement confortable, où je flotte, où Mark est partout, sa voix omniprésente se dédouble, les mots se mélangent, ne reste que le ton parfois fiévreux ("666 post" où il raconte littéralement un rêve, ou "Banjo Song" qui partage ses pensées insomniaques). Et cette émotion indescriptible qui se dégage, la même depuis le début des Red House Painters, et dans laquelle on entend du détachement, une certaine lassitude dans sa façon pâteuse d'articuler ses mots, mais aussi une profonde affection, un ton mi-plaintif mi-plein d'espoir, comme s'il appelait de ses vœux une sorte de délivrance, ce qu'il nomme sa mélancolie, et qui ne l'a jamais quitté. Il y a aussi ses saillies comiques, d'autant plus savoureuses qu'elles sont servies avec cette conscience de lui-même et de sa curieuse légende (quoi de plus délicieux que d'entendre Mark scander "diarrhea, diarrhea, diarrhea..." dans "The Mark Kozelek Museum").
Mark, assis sur son lit d'hôtel, se regarde vieillir. Et si le poids de l'inexorable se ressent dans la pesanteur de certains des morceaux, ce qui prévaut c'est une certaine tendresse et une relative quiétude. Ses interactions sociales sont de plus en plus vaines et douloureuses, mais il se surprend à trouver du bonheur dans le simple fait d'essayer. Son corps prend cher, il paye son tribut en douleurs diverses et en prise de poids ("I need a bra"), mais il mesure d'autant mieux sa chance d'avoir sa Caroline pour l'accueillir à la maison. Sur ce thème, on atteint des sommets ici, dont le plus haut doit être le morceau "My Love For You Is Undying" et ses 13 minutes de rimes en -ing, ses constats résignés, ses rencontre amères comme innocentes, ses interludes onirico-planants, ses observations méta où il commente son propre style de composition, et surtout son optimisme forcené.
Pour finir sur du concret ; ce self-titled est mon album préféré du Koz depuis longtemps, un véritable regain d'intérêt à l'égard de ce style qui a bien plus d'avenir que j'ai pu lui en prêter récemment. Mark m'émeut de plus en plus, et son orfèvrerie à la guitare ne cesse de se magnifier d'année en année. Il parait qu'à l'heure où j'écris ces lignes un autre Sun Kil Moon est déjà prêt à paraître. Je ne suis pas plus surpris qu'à la sortie de Mark Kozelek, mais en revanche je suis bien plus confiant qu'avant. Ta crise de la cinquantaine est passionnante, Mark.
"Though some may find my specifying agonizing and trying
Long-winded and unsatisfying
Others may find it hypnotizing, comforting, and inspiring
Relatable and consoling
My love for you is undying"
Though I much prefer reclining
Backstage and out front autograph signing
Though I prefer infrequent flying
Though for perfection, I've stopped trying
My love for you is undying."
Mark Kozelek, le grincheux, la grande-gueule, le pourvoyeur, le quinquagénaire, le rappeur (?!), bref le Koz' m'avait perdu. Je l'avais pourtant suivi avec enthousiasme le long de cette nouvelle route qu'il s'était tracée depuis Benji, celle d'un narrateur de sa propre vie se débarrassant petit à petit de toute autocensure. Mais la logorrhée de ses mots avait fini par s'étendre à sa production discographique : rien qu'en 2017 l'homme a sorti 4 albums, un sous le nom Sun Kil Moon, et trois collaborations (dont une avec Justin Broderick de Jesu, la seconde). Ce qui, si on prend en compte la durée desdits albums, bat soit-dit-en-passant à plate couture la performance de King Gizzard la même année. Or le Sun Kil Moon, Common As Light and Love Are Red Valleys of Blood, m'avait tant épuisé par son inégalité et sa longueur, par son verbiage aussi excessif que monotone fourni avec les instrumentations les moins convaincantes de sa carrière, tant et si bien que c'est à peine si j'avais posé l'oreille sur ses autres sorties de l'année (la collab avec Jesu relevait le niveau Dieu merci). Je me disais que le Koz avait finalement atteint la limite de ce style, ou en tout cas il allait désormais trop loin pour que je puisse le suivre. Mais l'hiver dernier, Mark a voulu faire une pause. Plus de tournée, de déplacements en continu, de studio d'enregistrement, de collaborations et même d'interactions sociales soutenues. Mark est entré dans un hôtel de San Francisco, a loué une chambre et y est resté un moment, pour méditer sur l'état de sa vie. Et bien sûr, plus incorrigible qu'un fumeur repentant, il n'a pas pu s'empêcher d'en faire un album.
Dans sa chambre il a installé son matos, on imagine simplement quelques guitares et de quoi faire des boucles. On l'imagine aussi jammer avec lui-même, à essayer des mélodies de guitare jusqu'à tomber sur les motifs incongrus qui parsèment des morceaux construits comme des patchworks dans lesquels Kozelek passe d'une anecdote à l'autre avec à chaque fois un "shift" d'une boucle de guitare à la suivante. Là les attentifs pourront légitimement se gratter le menton : Quoi de neuf sous le soleil ? Rien de bien différent à ce qu'on pouvait déjà trouver sur un Universal Themes ou un Common As Light, a priori. Pourtant cet humble disque me touche plus que ces deux derniers, à vrai dire je n'avais plus été aussi ému par un projet de Kozelek depuis le difficilement dépassable Benji. Cela me semble dû à deux choses :
- Mark est seul.
Si on excepte une partie de batterie interprétée par le fidèle Steve Shelley sur le morceau "Sublime", il tricote tout de ses doigts. Aussi bien les parties de guitares qui font l'effet de haïkus répétés en boucle, que sa voix même, qu'il utilise comme un instrument pour tapisser le fond de ses chansons. On a ainsi droit à des "hmmhmm" graves et profonds (sur "This Is My Town" par exemple), des imitations de boîte à rythme "boom boom boom boom...", des.... onomatopées d'animaux (oui oui, sur "666 post" ça arrive). Mark s'en donne à cœur joie, peu importe l'excentricité, sur des morceaux qui sont tout à la fois hilarants et émouvants (même si parfois on rit jaune).
- Mark s'est posé.
Et dans cet état d'entre-deux - entre deux avions, entre deux albums de SKM - loin des bras de sa compagne, du contact avec son public ou avec des musiciens ou autres personnalités qu'il namedrop à tort et à travers ces dernières années ; entre tout ça, face à lui-même, Mark Kozelek semble s'être trouvé dans cet album qui ne porte pas son nom sans raison. Tout mène à penser que l'on a ici la plus pure émulation (à ce jour) de ce que ça fait d'être dans la peau de Mark Kozelek. Dans cette antichambre franciscaine qu'il s'est choisi, Mark se confesse plus que jamais... et si je devais prendre une image qui appartient à la cure psychanalytique, au cours de laquelle on est amené à parler de ce qui nous vient à l'esprit en libre association (analogie facile pour parler du style du Koz, mais non moins pertinente), je dirais qu'on a l'impression d'être dans cet album en plein récit de rêve. Mark comme à son habitude passe d'un sujet à l'autre, avec toujours néanmoins une idée générale qui ressort, à chaque nouvelle anecdote l'instrumentation bascule un peu avec une nouvelle boucle de guitare, et ses "vocaux-tapisserie" s'accordent au diapason.
Je vis cet album comme une véritable expérience qui me transporte en un lieu étrangement confortable, où je flotte, où Mark est partout, sa voix omniprésente se dédouble, les mots se mélangent, ne reste que le ton parfois fiévreux ("666 post" où il raconte littéralement un rêve, ou "Banjo Song" qui partage ses pensées insomniaques). Et cette émotion indescriptible qui se dégage, la même depuis le début des Red House Painters, et dans laquelle on entend du détachement, une certaine lassitude dans sa façon pâteuse d'articuler ses mots, mais aussi une profonde affection, un ton mi-plaintif mi-plein d'espoir, comme s'il appelait de ses vœux une sorte de délivrance, ce qu'il nomme sa mélancolie, et qui ne l'a jamais quitté. Il y a aussi ses saillies comiques, d'autant plus savoureuses qu'elles sont servies avec cette conscience de lui-même et de sa curieuse légende (quoi de plus délicieux que d'entendre Mark scander "diarrhea, diarrhea, diarrhea..." dans "The Mark Kozelek Museum").
Mark, assis sur son lit d'hôtel, se regarde vieillir. Et si le poids de l'inexorable se ressent dans la pesanteur de certains des morceaux, ce qui prévaut c'est une certaine tendresse et une relative quiétude. Ses interactions sociales sont de plus en plus vaines et douloureuses, mais il se surprend à trouver du bonheur dans le simple fait d'essayer. Son corps prend cher, il paye son tribut en douleurs diverses et en prise de poids ("I need a bra"), mais il mesure d'autant mieux sa chance d'avoir sa Caroline pour l'accueillir à la maison. Sur ce thème, on atteint des sommets ici, dont le plus haut doit être le morceau "My Love For You Is Undying" et ses 13 minutes de rimes en -ing, ses constats résignés, ses rencontre amères comme innocentes, ses interludes onirico-planants, ses observations méta où il commente son propre style de composition, et surtout son optimisme forcené.
Pour finir sur du concret ; ce self-titled est mon album préféré du Koz depuis longtemps, un véritable regain d'intérêt à l'égard de ce style qui a bien plus d'avenir que j'ai pu lui en prêter récemment. Mark m'émeut de plus en plus, et son orfèvrerie à la guitare ne cesse de se magnifier d'année en année. Il parait qu'à l'heure où j'écris ces lignes un autre Sun Kil Moon est déjà prêt à paraître. Je ne suis pas plus surpris qu'à la sortie de Mark Kozelek, mais en revanche je suis bien plus confiant qu'avant. Ta crise de la cinquantaine est passionnante, Mark.
"Though some may find my specifying agonizing and trying
Long-winded and unsatisfying
Others may find it hypnotizing, comforting, and inspiring
Relatable and consoling
My love for you is undying"
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
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