Arthur Russell

Love Is Overtaking Me

Love Is Overtaking Me

 Label :     Rough Trade 
 Sortie :    lundi 27 octobre 2008 
 Format :  Compilation / CD  Vinyle   

[Chronique en aveugle #30] Le rédacteur ne savait rien de l'identité de l'artiste dont il a chroniqué le présent album.


Le premier titre, je l'ai déjà entendu. Je ne sais plus ni quand ni où. Sûrement à l'époque où, en pleine exploration des territoires folks, je faisais escale sur chaque étoile de la galaxie Dylan. La voix est douce et, à moins qu'elle ne soit britannique, est probablement celle d'un américain. On dirait un traditionnel. Une rengaine vieille comme le Nouveau Monde. Des accords familiers. Deux minutes mélancolico—acoustique comme je les aime. En m'envoyant ça, quelqu'un a voulu me caresser dans le sens du poil. Ce n'est pas Townes Van Zandt. Ce n'est pas Tom Rush. Ce n'est pas Blaze Foley. Ca pourrait. Mais ce serait trop facile. Ma mémoire patine dans la semoule et je tente de la mettre en veilleuse pour profiter de la beauté du morceau — ce qui est vain car c'est la mémoire qui dicte l'appréciation artistique à l'aide de repères, de souvenirs et d'émotions enfouies.

Le deuxième titre me conforte dans l'idée qu'on a affaire à de la musique américaine. Après une première moitié instrumentale orageuse, le chanteur revient avec un orchestre mariachi pour dire au revoir à Cheyenne. La ville ou l'amoureuse ? C'est poignant en tout cas. Et ça ressemble de plus en plus à la bande originale d'un western.

Le troisième titre est celui que je préfère. La sérénade sincère d'un romantique plein de doutes. Des accords aussi soignés que discrets. Et cette voix que je connais. Forcément.

Sauf que, dès le quatrième titre, je ne la (re)connais plus. C'est comme si elle avait pris un coup de vieux. Et elle est accompagnée. Comme si cet album n'était pas vraiment un album mais plutôt une collection de chansons. Un best-of ? Même la production a évolué. Il y a un écho. Celui des concerts improvisés sur la scène étroite d'un café-concert.

Je parlais de Dylan plus haut — je parle toujours de Dylan — et comme Dylan, ce type — à moins qu'il ne s'agisse de plusieurs types — a une voix caméléon. Sur le cinquième titre, elle rajeunit, se fait plus arrogante, plus malicieuse. Elle ressemble à celle de Jonathan Richman qui ressemble à celle de Lou Reed. C'est peut-être son association avec un riff gentiment crade et saccadé. C'est peut-être le texte d'adolescent rêveur. Je suis perdu. Incapable de me rattacher à un genre, une décennie ou un mouvement. Si j'apprends qu'il s'agit de la rétrospective d'un vieux songwriter, je ne serais pas surpris. Si j'apprends qu'il s'agit d'un petit génie folk égaré dans les nineties, je ne serais pas surpris. Je suis perdu et je suis surpris.

Sur le sixième titre, la voix est similaire mais elle est désormais entourée de cuivres et d'un piano. C'est Van Morrison bourré en escale à la Nouvelle-Orléans. "Nobody wants a lonely heart...". C'est superbe. C'est le titre que je préfère. Jusqu'à ce que j'entende le septième titre qui est celui que je préfère. La personne qui a choisi ça me connait intimement et sait exactement ce dont j'ai besoin. C'est flippant.

Le neuvième titre est un gospel parlé-chanté et la synthèse lo-fi de ce qu'Elvis et Dylan ont fait de mieux dans le genre. Retour du guitar-solo, des cuivres et de la batterie seventies sans que ça ne dégouline, toujours sur le fil du bon goût, toujours sincère. Pieux.

Le dixième titre ne ressemble à rien si ce n'est à la complainte d'un vieil immigrant changeant de continent. Juste au moment où je me raccroche à un semblant d'estimation spatio-temporelle, notre mystérieux inconnu redevient intemporel.

Et plus ça va, plus sa voix fait n'importe quoi. Dans le bon sens du terme : changements de tonalités impromptues, couplets graves, refrains aiguës, tentatives d'harmonies avec lui-même... De quoi faire sonner le onzième titre comme une symphonie amoureuse pop et je dis pop pour dire "compliqué à faire, facile à écouter" et Macca (en particulier McCartney II) sait de quoi je parle.

Et je cite Macca parce que, comme chez lui — et même si l'ambition, la production et la sincérité sont à des kilomètres — il y a systématiquement une trouvaille, un gimmick, un petit bonus qui n'a l'air de rien mais qui fait tout : le duel orgue/batterie sur le douzième titre, l'étrange mais savoureux mélange xylophone/synthé/pedal-steel sur les trois titres suivants, la rencontre folk des Appalaches et synth-pop eighties sur le vingtième titre.
Quel voyage beau et étrange. En vingt et un titres, le timbre de voix sera passé de Townes Van Zandt à Van Morrison en passant par Mark Kozelek. La texture musicale m'aura trimballé de vieux traditionnels folk en petits tubes faits maisons jusqu'à me laisser dans une mer de ballades proto-disco. C'est aussi étourdissant qu'un séjour accéléré dans la discographie de Neil Young. C'est une expérience à la fois très riche, très répétitive, très familière, très déconcertante. Mémorable donc.

J'ai déjà entendu ce type. Je ne sais plus ni quand ni où. Je ne sais pas s'il est mort ou vivant. En ce moment, je l'écoute en boucle.


Parfait   17/20
par Dylanesque


  En écoute : https://arthurrussell.bandcamp.com/album/love-is-overtaking-me


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