Lost Girls
Feeling |
Label :
Smalltown Supersound |
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La relation entre Jenny Hval et l'expérimentation est celle d'un va et vient constant dans une équation dont l'un des termes clés a toujours été (et restera toujours, je l'espère) la Pop. Si son tout premier album, le très folk-pop To Sing You Apple Trees, à l'époque où elle se faisait encore appeler Rockettothesky, ne lui avait pas laissé l'occasion de montrer toute l'étendue de son audace, la suite s'en sera chargée. Mais le point essentiel là dedans c'est que Jenny ne semble pas traiter ces deux mots comme distincts... ce n'est pas d'un côté l'un, d'un autre l'autre, mais plutôt l'un au service de l'autre ; la pop et l'expérimentation ne sont nullement divisés, ils semblent fusionner très naturellement dans le savoir faire instinctif de la norvégienne qui fait émerger sa matière de l'improvisation. Feeling n'est pas tout à fait un disque dépourvu de pop, même si ses deux pistes de plus de dix minutes et ses errances diverses pourraient le laisser croire, simplement celle-ci semble avoir été grandement assimilée par l'appétit dévorant de la déesse Improvisation.
Ce n'est ni la première fois que la place de la pop est questionnée chez Jenny, il y a même plusieurs travaux antérieurs qui s'en privent totalement - son duo d'impro acoustique Nude on Sand avec Havard Volden qu'on retrouve à nouveau ici, ainsi que sa collaboration avec le guitariste Kim Myhr et le Trondheim Jazz Orchestra. Mais Lost Girls, duo avec Havard donc (âme damnée de Jenny et éternel compagnon de scène), vient interroger les choses d'une manière inédite. Le projet (le concept pourrait-on même dire, tant Melle Hval n'est pas avare en matière de conceptualisation) ; deux artistes qui seraient fatigués chacun dans leur domaine : Havard est agacé par l'idée que l'improvisation doit être nécessairement un "document live", avec une sacralisation du réel qui interdit tout montage. Jenny, elle, râle volontiers contre la tendance de la pop à exiger de l'artiste une représentation de soi. Alors avec Lost Girls, les deux décident de se perdre, volontairement, en des eaux plus troubles, Feeling faisant office de brève respiration (ou récréation) dans laquelle Havard peut s'adonner au plaisir de couper et bidouiller ses impros en post-prod autant qu'il le souhaite, et où Jenny démultiplie et brouille volontiers les visages qu'elle offre à voir.
Concrètement, l'EP se divise en deux parties bien distinctes. "Drive" se propose de nous conduire dans une route nocturne pareille à celle qui ouvre Lost Highway, on y voit goutte, le seul élément palpable et constant y est la narration éclatée de Jenny, qui comme à son habitude parle comme en écriture automatique, avec un art des intonations mystérieuses et sensuelles qui nous suspend à ses lèvres. Tandis que son spoken word se mue doucement en chant, l'environnement autour d'elle change... les percussions sont d'abord uniquement organiques, puis petit à petit un beat électronique s'installe, et autour de sa frappe binaire les petits détails de l'environnement sonore se font une petite place éphémère tandis que les protagonistes assoient leur présence ; des feedbacks, des drones graves, des nappes analogiques tristes mais intenses qui viennent et s'en vont comme la houle sur le sable... et pendant ce temps là Jenny sanglote. Pour ainsi dire, "Drive" ne va nulle part, mais il n'a pas besoin d'une destination, je rappelle que le but ici est de se perdre. Et je suis perdu. Tellement que lorsque la face B "Accept" vient me percuter je ne comprends pas ce qui m'arrive. Car "Accept" a une direction précise : le climax. Et son mouvement ne saurait être dévié. Les feedbacks entêtants plantent l'atmosphère et se déroulent paisiblement au milieu des criquets et autres interventions concrètes et noise disruptives. La guitare se cherche, twing-twoing... À côté de là, Jenny renonce pour de bon à la parole : son chant ici sera quasiment dépourvu de mots, à la place on a des cris, des hululements, des gémissements, une incantation ("Accept the Risk"). La sauce monte tandis que la guitare a trouvé son mojo ; entre deux échos de feedbacks une mélodie se joue sur deux cordes, petit à petit la béatitude vient... et s'achève dans une glorieuse sauvagerie où Jenny torture son organe comme jamais elle ne l'avait fait (en tout cas en studio), où une batterie saturée cogne férocement et frénétiquement toms et cymbales.
Accepterez-vous de prendre ce risque ?
Ce n'est ni la première fois que la place de la pop est questionnée chez Jenny, il y a même plusieurs travaux antérieurs qui s'en privent totalement - son duo d'impro acoustique Nude on Sand avec Havard Volden qu'on retrouve à nouveau ici, ainsi que sa collaboration avec le guitariste Kim Myhr et le Trondheim Jazz Orchestra. Mais Lost Girls, duo avec Havard donc (âme damnée de Jenny et éternel compagnon de scène), vient interroger les choses d'une manière inédite. Le projet (le concept pourrait-on même dire, tant Melle Hval n'est pas avare en matière de conceptualisation) ; deux artistes qui seraient fatigués chacun dans leur domaine : Havard est agacé par l'idée que l'improvisation doit être nécessairement un "document live", avec une sacralisation du réel qui interdit tout montage. Jenny, elle, râle volontiers contre la tendance de la pop à exiger de l'artiste une représentation de soi. Alors avec Lost Girls, les deux décident de se perdre, volontairement, en des eaux plus troubles, Feeling faisant office de brève respiration (ou récréation) dans laquelle Havard peut s'adonner au plaisir de couper et bidouiller ses impros en post-prod autant qu'il le souhaite, et où Jenny démultiplie et brouille volontiers les visages qu'elle offre à voir.
Concrètement, l'EP se divise en deux parties bien distinctes. "Drive" se propose de nous conduire dans une route nocturne pareille à celle qui ouvre Lost Highway, on y voit goutte, le seul élément palpable et constant y est la narration éclatée de Jenny, qui comme à son habitude parle comme en écriture automatique, avec un art des intonations mystérieuses et sensuelles qui nous suspend à ses lèvres. Tandis que son spoken word se mue doucement en chant, l'environnement autour d'elle change... les percussions sont d'abord uniquement organiques, puis petit à petit un beat électronique s'installe, et autour de sa frappe binaire les petits détails de l'environnement sonore se font une petite place éphémère tandis que les protagonistes assoient leur présence ; des feedbacks, des drones graves, des nappes analogiques tristes mais intenses qui viennent et s'en vont comme la houle sur le sable... et pendant ce temps là Jenny sanglote. Pour ainsi dire, "Drive" ne va nulle part, mais il n'a pas besoin d'une destination, je rappelle que le but ici est de se perdre. Et je suis perdu. Tellement que lorsque la face B "Accept" vient me percuter je ne comprends pas ce qui m'arrive. Car "Accept" a une direction précise : le climax. Et son mouvement ne saurait être dévié. Les feedbacks entêtants plantent l'atmosphère et se déroulent paisiblement au milieu des criquets et autres interventions concrètes et noise disruptives. La guitare se cherche, twing-twoing... À côté de là, Jenny renonce pour de bon à la parole : son chant ici sera quasiment dépourvu de mots, à la place on a des cris, des hululements, des gémissements, une incantation ("Accept the Risk"). La sauce monte tandis que la guitare a trouvé son mojo ; entre deux échos de feedbacks une mélodie se joue sur deux cordes, petit à petit la béatitude vient... et s'achève dans une glorieuse sauvagerie où Jenny torture son organe comme jamais elle ne l'avait fait (en tout cas en studio), où une batterie saturée cogne férocement et frénétiquement toms et cymbales.
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Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
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