Built To Spill
Paris [Le Trabendo] - lundi 12 juin 2023 |
Mine de rien, c'est déjà la cinquième fois que je vois Built to Spill en concert. Au début, j'y allais pour me faire bien voir du chanteur de polarbird, grand fan devant l'éternel et qui m'a fait découvrir ce groupe, et puis j'ai fini par y prendre goût, par explorer les vieux albums et suivre la sortie des nouveaux. Et si le précédent, Untethered Moon, m'avait lassé assez vite, le dernier a fini par m'accrocher l'oreille au fil des écoutes. Car rien n'est jamais offert avec ce groupe : il faut se les coltiner, ces morceaux faussement pop aux structures tarabiscotées, ce rock californien à la sauce grunge avec trois couches de guitare tantôt délicates, tantôt brutales. Mais ce soir, c'est la version minimaliste qui s'annonce : le backing band de Doug Martsch est réduit à une guitariste et une bassiste.
En première partie, un curieux groupe brésilien, Ozua, formé par les deux musiciens qui ont œuvré sur le dernier album de... Built to Spill. Des morceaux à consonance jazzy et latino mélangées à des sons à la Sonic Youth. De très loin, on dirait qu'ils font à la musique brésilienne ce que Lankum fait à la musique irlandaise. Insuffisamment attirant toutefois pour que je continue à subir la chaleur étouffante de la fosse alors qu'il y a plein de gens cools sur la terrasse du Trabendo.
Lorsque je reviens dans la salle, la porte de la sortie de secours à l'opposé de l'entrée est ouverte, ce qui rend la chaleur beaucoup plus supportable. Le concert n'est pas complet, et si c'est désolant que ce groupe soit méconnu en France, ce n'est pas pour me déplaire en termes de confort. Doug Martsch arrive sur scène avec ses deux acolytes, sans fioritures. Impassible, il commence par s'accorder, ce qu'il fera avant chaque morceau, sans se laisser perturber par les marques d'impatience du public. Très vite, le talent de sa bassiste Melanie Radford nous explose à la figure : le son rond et légèrement crunchy de sa Musicman met en valeur son aisance et son sens du groove. La batteuse Teresa Esguerra n'est pas en reste, tandis que Doug, surfant en toute sécurité sur cette planche rythmique de compétition, s'en donne à coeur joie : arpèges, gross riffs, solos avec ce qu'il faut de wahwah, passages planants... Le répertoire est un best of, et l'absence des deux guitares supplémentaires se fait à peine sentir : un peu moins de richesse mélodique sur certains morceaux, notamment sur le début de mon préféré, "Conventional Wisdom", mais rien de choquant. La communication avec un public certes peu nombreux mais réactif est minimaliste, elle aussi.
Après une heure et quart à écouter de la bonne musique jouée avec jubilation, arrive l'apothéose : une version dantesque de "Going Against Your Mind" en rappel, l'occasion de mesurer l'accord parfait entre les trois musiciens : sur l'intro, c'est Mélanie qui reprend sur sa basse le thème de la guitare lead, avant de retomber sur le riff de basse de trois notes saccadées jouées en boucle. Et lorsque Doug met en suspend le morceau pour bidouiller ses sons, Teresa s'arrête de jouer, et Melanie se retrouve seule à tenir le morceau, répétant inlassablement ses trois notes en apesanteur, telle une funambule, sans un accroc ni une baisse de tempo. Puis la machine se remet en route vers un final en feu d'artifice, et je comprends tout à coup l'intérêt de ces structures complexes : en concert, elles agissent comme des tyroliennes permettant aux musiciens de se jeter dans le vide en toute sécurité, sans perdre ni la rythmique ni la ligne mélodique, et de donner de l'ampleur à leur musique. Tout un art que ce groupe maîtrise à la perfection au bout de trente ans de carrière.
En première partie, un curieux groupe brésilien, Ozua, formé par les deux musiciens qui ont œuvré sur le dernier album de... Built to Spill. Des morceaux à consonance jazzy et latino mélangées à des sons à la Sonic Youth. De très loin, on dirait qu'ils font à la musique brésilienne ce que Lankum fait à la musique irlandaise. Insuffisamment attirant toutefois pour que je continue à subir la chaleur étouffante de la fosse alors qu'il y a plein de gens cools sur la terrasse du Trabendo.
Lorsque je reviens dans la salle, la porte de la sortie de secours à l'opposé de l'entrée est ouverte, ce qui rend la chaleur beaucoup plus supportable. Le concert n'est pas complet, et si c'est désolant que ce groupe soit méconnu en France, ce n'est pas pour me déplaire en termes de confort. Doug Martsch arrive sur scène avec ses deux acolytes, sans fioritures. Impassible, il commence par s'accorder, ce qu'il fera avant chaque morceau, sans se laisser perturber par les marques d'impatience du public. Très vite, le talent de sa bassiste Melanie Radford nous explose à la figure : le son rond et légèrement crunchy de sa Musicman met en valeur son aisance et son sens du groove. La batteuse Teresa Esguerra n'est pas en reste, tandis que Doug, surfant en toute sécurité sur cette planche rythmique de compétition, s'en donne à coeur joie : arpèges, gross riffs, solos avec ce qu'il faut de wahwah, passages planants... Le répertoire est un best of, et l'absence des deux guitares supplémentaires se fait à peine sentir : un peu moins de richesse mélodique sur certains morceaux, notamment sur le début de mon préféré, "Conventional Wisdom", mais rien de choquant. La communication avec un public certes peu nombreux mais réactif est minimaliste, elle aussi.
Après une heure et quart à écouter de la bonne musique jouée avec jubilation, arrive l'apothéose : une version dantesque de "Going Against Your Mind" en rappel, l'occasion de mesurer l'accord parfait entre les trois musiciens : sur l'intro, c'est Mélanie qui reprend sur sa basse le thème de la guitare lead, avant de retomber sur le riff de basse de trois notes saccadées jouées en boucle. Et lorsque Doug met en suspend le morceau pour bidouiller ses sons, Teresa s'arrête de jouer, et Melanie se retrouve seule à tenir le morceau, répétant inlassablement ses trois notes en apesanteur, telle une funambule, sans un accroc ni une baisse de tempo. Puis la machine se remet en route vers un final en feu d'artifice, et je comprends tout à coup l'intérêt de ces structures complexes : en concert, elles agissent comme des tyroliennes permettant aux musiciens de se jeter dans le vide en toute sécurité, sans perdre ni la rythmique ni la ligne mélodique, et de donner de l'ampleur à leur musique. Tout un art que ce groupe maîtrise à la perfection au bout de trente ans de carrière.
Excellent ! 18/20 | par Myfriendgoo |
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