Saison De Rouille
J'aimerais bien te dire que l'industriel est au cœur de Saison De Rouille mais je n'en suis pas sûr. [juin 2014] |
En ce mois de juin 2014, Karl S. du groupe Saison De Rouille a accepté de répondre à quelques questions.
Interview réalisée par Arno Vice.
Interview réalisée par Arno Vice.
Avant d’évoquer Déroutes sans fin, votre nouvel album, pouvez-vous rappeler qui sont les membres de Saison De Rouille et comment votre collaboration est née ?
Saison De Rouille a lentement germé dans mon esprit quand Danishmendt agonisait lentement et a pris forme à l’été 2011. Initialement, ce devait être un projet studio autour d'un binôme : Sebastyen (guitares) d’Opium Dream Estate et moi-même (voix, machines, programmations, textes), se nourrissant de collaborations de musiciens dont je suis proche. Mais Saison De Rouille a pris une forme plus conventionnelle avec l’arrivée de Laurent B., de feu La Part du Cerveau, en tant que bassiste.
La page Danishmendt est donc définitivement tournée ou le groupe reste en suspens ?
Danishmendt n’est plus. « C'est la vie » comme le dit si bien B2O.
Quel accueil a reçu Caduta Dei Gravi, tant d’un point de vue de la couverture médiatique que du public ? Avez-vous pu capitaliser vos expériences respectives afin de vous faire davantage connaître ?
À ma grande surprise, les retours, qu'il s’agisse de chroniques comme d’auditeurs, ont été très positifs. Malheureusement il y a eu peu de promotion dans l'Hexagone malgré la distribution de la version CD de luxe assurée par Season of Mist, via le label Necrocosm. Quant à la couverture médiatique, elle est aussi ridicule que le nombre de ventes (que je ne connais pas, mais bon...). On n’a pas vraiment profité de nos expériences passées ou actuelles (pour Sebastyen), peut-être quelques contacts lors de nos recherches vaines et pathétiques de concerts. En effet, Saison De Rouille est devenu un projet scénique avec des retours fort appréciables. Malheureusement, à l'instar des labels, les lieux de concerts se réduisent à peau de chagrin et on a bien souvent l’impression d'essorer son ego, pour ne pas dire de se prostituer, pour dénicher une date, aussi modeste et DIY soit-elle. C'est une loi d'airain : si tu n'es pas dans le bon réseau de copinage avec la bonne musique que ce réseau apprécie, tu restes chez toi !
Ceux qui connaissaient vos formations précédentes vous ont-il suivi dans l’aventure Saison De Rouille ?
Tu veux parler des quelques dizaines de Danish-fans ? Haha ! Non, je ne pense pas. Peut-être davantage ceux qui connaissent Opium Dream Estate, dont la médiatisation est, toute chose égale par ailleurs, plus importante. Mais l'univers est si différent que les dark-folkeux gotho-romantiques ne doivent pas être nombreux à embarquer pour une virée avec Saison De Rouille !
Avec qui avez-vous eu l’occasion de partager l’affiche et n’est-ce pas difficile de trouver des groupes proches de votre univers musical ? À quelle scène vous affiliez-vous aujourd’hui ?
On a fait une petite dizaine de dates en un an, fruits d'une quasi-prostitution voire d'une quête déshonorante en raison des centaines de mails, relances et temps de cerveau disponible consacrés à cette tâche ingrate. Je ne vais pas faire ma pleureuse et revenir sur les raisons objectives, notamment les difficultés que rencontrent les petites structures DIY et les pressions des SMACS, mais en conséquence j’ai quasiment (car c’est peut-être la principale raison qui me donne envie de faire du son, « garçon ») fait un trait sur les concerts. Peut-être que pour la forme j'enverrai un ou deux mails par mois à des gus que je n’ai pas encore harcelés et qui ne m’ont donc pas encore placé dans la catégorie « spam ». Bref. Pour revenir à ta question, nous avons partagé l’affiche avec des groupes et projets sympathiques mais je retiendrais surtout la nano-tournée avec les yankees de Gondoliers à la Toussaint 2013, ainsi que le super festival « punk-spirit » à Marseille à l'Embobineuse le 1er juin 2013.
Bien évidemment on pâtit de l'esthétique du groupe. Combien de fois ai-je entendu, du DIY comme des SMACS, « c'est vraiment pas mal votre truc, mais alors je ne sais pas où vous foutre ; reviens vers moi dans 3-6-12 mois... ». C'est sûr qu'il y a des « styles » (ou des « niches ») qui ont davantage de public, toutes choses égales par ailleurs (on parle d'une échelle entre 1 (nous) et 100 spectateurs max). Surtout, on n’est pas vraiment des mecs qui cultivent l'esprit « de réseau », avec ses connections, ses relais... C'est avant tout du copinage, et c'est bien normal. Mais quand vous n’êtes potes avec personne, ou presque, même si t’es un mec sympa, bah tu restes dans ton coin et t’attends qu’une âme charitable te prenne en pitié.
Donc on ne se sent pas appartenir à une « scène », tu m’auras compris. J’ai toujours voulu que les affiches soient éclectiques, avec une thématique commune, façon « variations musicales autour de... », avec du « peura », de l’électro, du punk, de la folk, de la noise... Alors qu’en général on voit des affiches avec de très subtiles variations esthétiques. Mais bon je pige très bien la raison qui préside au choix des orgas. Pour toutes ces raisons, on n’est pas vraiment « dedans » en somme. On est toujours devant la porte, à attendre...
Votre premier disque laissait transparaître, selon moi, des influences telles que Proton Burst ou Kill The Thrill. Est-ce que ce sont des groupes que vous appréciez et quelles sont vos autres sources d’inspirations ? Il y a quoi dans la cédéthèque d’un membre de Saison De Rouille ?
Effectivement le premier LP, qui était davantage un « ballon d’essai », une esquisse composée dans l'urgence, afin d’y laisser transpirer mes influences « industrielles / ambiant » a pu être comparé, chose appréciable, avec ces deux projets gaulois. Je connais peu PB, que Flo de feu-Danishmendt, et responsable des parties dissonantes / BM du premier opus, m’avait fait écouter rapidement et après la sortie de « Caduta ». Par contre KTT, c’est peut-être le groupe underground hexagonal qui m’a le plus marqué jusqu’à aujourd'hui. Une découverte tardive, avec la sortie de leur dernier bijou, en 2005, mais vite rattrapée. L’un de mes rêves c’est justement de partager l’affiche avec les Marseillais et même de faire une petite tournée-four.
Pour autant, on ne peut pas dire que KTT m’ait « inspiré ». Question de date et d’esthétique. Ce n’est pas parce qu’il y a une boîte à rythmes dans nos deux projets qu’il y a une filiation. D’ailleurs en parlant de cela, la comparaison de Saison De Rouille avec Godflesh m’horripile au plus haut point. Je trouve cela d’une facilité crasse et surtout : c’est bien le projet de JB qui m’a le moins parlé, j’ai même trouvé cela chiant quels que soient les différents skeuds. C’est très subjectif, j’en conviens, je sais d’expérience que les fans de JB ne sont pas très ouverts à la critique. Alors que God et Ice me sont plus chers. Bref fin de la digression. Je ne peux pas parler pour mes deux camarades rouillés mais niveau discothèque ce n’est pas la folie doomy/métallo/sludgy/BM/noise qui sort de mes enceintes. Je suis même pas mal éloigné du « Rock » au sens instrumental du terme. Depuis plusieurs mois, c’est très hip-hop à la maison : LMNO, Dopplegangaz, El-P, Killer-Mike, mais aussi du céfran comme B20 (j’assume, mais pas les rééditions dégueulasses de Futur) ou le Rennais Psyckick Lyrikah et plein d’autres trucs qui ne me reviennent pas. J'ai une mémoire de poisson-rouge. Pas mal de blues actuel (Black Keys, Left Lane Cruiser ou encore l’incroyable « Sweat tea » de Buddy Guy qui tourne régulièrement), mais aussi de la chanson française comme Bashung ou Dominique A.
Les textes de Déroutes sans fin sont toujours aussi sombres, utilisant une sémantique post-apocalyptique d’abandon et de solitude et il y a pour ma part une forte homogénéité entre le nom, les illustrations, l’ambiance et les paroles. Là encore, qu’est-ce qui vous inspire ? Quels sont vos thèmes de prédilection et quel est le concept général de ce nouvel album ?
Mon propos va sembler cliché mais Saison De Rouille c’est une forme d’expérience cathartique, un « vide angoisses existentielles » qu’on se refuse d’évoquer. Mais c’est aussi un moyen « global », pour ne pas dire « total » pour mettre en forme et en scène certains fantasmes, une créativité sombre et moralement contestable. Et tout simplement laisser aller son esprit prendre des chemins qu'on n’envisagerait pas consciemment. C’est un peu ces trois raisons à la fois. Je ne peux pas faire moins clair, non ? Je suis inspiré par mes lectures, par mes opinions philosophiques comme politiques, mes expériences sociales, comme tout un chacun ! Déroutes sans fin n’a pas été pensé comme un « concept » mais je me suis retrouvé avec des approches musicales et esquisses textuelles assez proches et complémentaires. L’idée était une bande son un peu « Mad Maxienne » mais inscrite dans notre époque ou alors au seuil d’un monde nouveau entrain d’éclore sur les braises fumantes du précédent. J'en sais trop rien, en fait ! Certains y ont vu / entendu une écriture crue et hyperréaliste. Bizarrement ce n’est pas vraiment mon ressenti ni même mon objectif. J’ai tenté quelque chose de « poétique », telles des nouvelles musicales qui ont un début et une fin, illustrant la musique d’images littéraires : la violence des rêves, le désir d’une célébrité enfermée, les émeutes jusqu’au-boutistes, un combat routier entre deux pervers...
Je trouve que la langue française convient parfaitement à la diction quasi narrative qui caractérise Saison De Rouille mais pourquoi avoir abandonné le chant en anglais plus proche de l’univers Métal qui caractérisait Danishmendt ?
En fait il n’y a jamais eu réellement de chant en français en ce qui me concerne, hormis deux titres qui figurent sur le premier EP de Danishmendt. Et c’est tout ! Je n’ai jamais été à l’aise avec la langue impériale, non pas pour des raisons de maîtrise mais plutôt pour des questions « de sens ». Je suis Français et pense / ressens au travers de ma langue et de ce qu’elle véhicule. Quand je dis « je te désire », ça n’est pas la même chose en français ou en anglais. Et puis, au-delà de l’éternel non-débat quant au « français qui n’est pas fait pour être chanté avec des guitares par ce que c’est moche et on comprend (ou pas) les paroles », j’ai envie de raconter des histoires musicales, pas de me contenter de puiser dans les 50 mots de mon « petit dictionnaire du chanteur anglophone » pour des questions de « sonorités ».
Pour autant, ça reste un challenge. Tout comme je ne suis pas musicien, je ne suis pas chanteur. Donc mes faibles capacités techniques font que mon chant se rapproche d'une certaine forme de diction narrative, qu’on dirait loud spoken-word, pour faire « swagy » !
Même si l’industriel reste un des fondements de votre musique, il y a désormais des relents de blues qui ne sont pas sans m’évoquer Blue Bob, le groupe de David Lynch, comme sur le titre « Le carnaval (lande 3) » par exemple. Comment composez-vous et pourquoi cette évolution ?
J’aimerais bien te dire que l’industriel est au cœur de Saison De Rouille mais je n’en suis pas sûr. En fait je n’ai aucune certitude concernant ce projet. Pour la suite, le 3e en cours de composition, j’aurais voulu m’orienter vers quelque chose de plus hip-hop-dub minimaliste, avec une base Scornienne. Mais en fait ça ne me plaît pas et je laisse faire la chose. Cela ne s’écartera pas beaucoup de Déroutes, ça va même plutôt creuser le sillon « bluesy-rock urbain sombre et sale » mais de manière moins « routière » pour ce qui est du rythme. D’avantage une balade pédestre ou une course-poursuite, un entre-deux quoi ! Effectivement Saison De Rouille a connu une évolution notable avec un jeu de guitares plus « bluesy ». Cela peut s’expliquer par le fait que Sebastyen est un excellent guitariste, très inspiré et branché sur cette scène, et qu’il disposait de plus de marge de manœuvre, étant seul à triturer ses cordes. Mais aussi par le fait que les morceaux que je propose aux camarades sont plus « directs », plus « rock » que le premier. Enfin, on est revenu, de manière subie hein car personne d'autre n’a voulu embarquer, à une formule plus « classique » un « power-trio », sans batteur (ça existe ?)
La sortie de Déroutes sans fin s’apparente à un véritable parcours du combattant. Avez-vous pensé à un moment donné que cet album ne verrait jamais le jour ? Quel fut le moment le plus difficile au cours de sa genèse ?
Déroutes a été ma croix au court des six derniers mois passés. On a tout fait par nos propres moyens, grâce à des âmes charitables, notamment Benoît Courribet et Flo. L l'éclusier ; à la limite en « famille , si si », avec la proximité bienveillante des feu-Danishmendt. J’ai cru naïvement que nous trouverions « rapidement » un ou des labels pour nous produire (enfin faire presser) ce nouvel opus. Je me fondais sur la première expérience, celle de Caduta, dont la coprod et les retours avaient été au-delà de mes attentes. Situation inverse : on proposait un album bien mieux mixé, plus accrocheur, dont nous étions bien plus fiers. Et au final : whalou ! Du coup, après trois mois de recherche de labels (c’est comme les concerts), on s’est dit : et s’il y avait que les « vrais gars », celles et ceux qui apprécieraient autant que nous cet album, qui l’achèteraient et le financeraient. On a profité d’un site de « financement grégaire », ULULE, pour reprendre le principe de la « pré-commande ». Cette dernière étape terminée, tel un accouchement long et difficile sans péridurale, il a fallu attendre que le LP sorte de sa couveuse et arrive à la maison. C’est arrivé la première semaine de juin. Et le bébé est magnifique !
Si vous deviez retenir un seul moment fort de votre parcours, quel serait-il ? De quoi êtes-vous le plus fiers à ce jour ?
Je n’ai pas vraiment de fierté à tirer de Saison De Rouille et de la musique en particulier. Quand j’ai des passages créatifs à vide, j’ai tendance à croire que faire de la musique est d’une vanité sans borne. Qu’il y a des centaines d’activités où je pourrais m’épanouir davantage, donner du sens, être utile à la communauté. Et puis le lendemain, je me dis que c’est agréable de pouvoir écouter la musique qu’on compose, d’essayer de créer un univers personnel qu’on partage, de rencontrer de chouettes types.
Quels sont vos projets pour les mois qui viennent ? Et si un rêve devait se concrétiser, ce serait lequel ?
Comme je te l’ai dit, on prépare doucement le 3e album. Bien évidemment j'adorerais qu’on me propose un maximum de dates, si possibles consécutives et avec plus de dix personnes devant nous. Mais non, peau de zeub. Par la suite, si Saison De Rouille devait continuer, je voudrais que le texte prenne une place première, la matrice originelle des morceaux, que ce ne soit plus la musique. En gros de se rapprocher de la chanson « à texte », même si je déteste cette expression, en essayant vainement de s’inspirer d’un Bashung que j’apprécie tant...
J’ai envie de finir cet entretien par un portrait chinois. Si Saison De Rouille était :
Un film ? ROVER !
Un livre ? L'Homme Vertical (un prélude italien à la Route ?)
Une peinture ? Les Romains de la décadence de Couture.
Un matériau ? Le Verre.
Un lieu ? Berlin.
Un animal ? La Pie.
En raison de ma mémoire de poisson-rouge, je dois évoquer des éléments chronologiquement très proches, désolé !
Je vous laisse le mot de la fin :
Merci encore pour ton intérêt ! Que des lecteurs intéressés par notre univers n’hésitent pas à partager cette interview, à en parler autour d'eux et surtout aux orgas de concerts !
Saison De Rouille a lentement germé dans mon esprit quand Danishmendt agonisait lentement et a pris forme à l’été 2011. Initialement, ce devait être un projet studio autour d'un binôme : Sebastyen (guitares) d’Opium Dream Estate et moi-même (voix, machines, programmations, textes), se nourrissant de collaborations de musiciens dont je suis proche. Mais Saison De Rouille a pris une forme plus conventionnelle avec l’arrivée de Laurent B., de feu La Part du Cerveau, en tant que bassiste.
La page Danishmendt est donc définitivement tournée ou le groupe reste en suspens ?
Danishmendt n’est plus. « C'est la vie » comme le dit si bien B2O.
Quel accueil a reçu Caduta Dei Gravi, tant d’un point de vue de la couverture médiatique que du public ? Avez-vous pu capitaliser vos expériences respectives afin de vous faire davantage connaître ?
À ma grande surprise, les retours, qu'il s’agisse de chroniques comme d’auditeurs, ont été très positifs. Malheureusement il y a eu peu de promotion dans l'Hexagone malgré la distribution de la version CD de luxe assurée par Season of Mist, via le label Necrocosm. Quant à la couverture médiatique, elle est aussi ridicule que le nombre de ventes (que je ne connais pas, mais bon...). On n’a pas vraiment profité de nos expériences passées ou actuelles (pour Sebastyen), peut-être quelques contacts lors de nos recherches vaines et pathétiques de concerts. En effet, Saison De Rouille est devenu un projet scénique avec des retours fort appréciables. Malheureusement, à l'instar des labels, les lieux de concerts se réduisent à peau de chagrin et on a bien souvent l’impression d'essorer son ego, pour ne pas dire de se prostituer, pour dénicher une date, aussi modeste et DIY soit-elle. C'est une loi d'airain : si tu n'es pas dans le bon réseau de copinage avec la bonne musique que ce réseau apprécie, tu restes chez toi !
Ceux qui connaissaient vos formations précédentes vous ont-il suivi dans l’aventure Saison De Rouille ?
Tu veux parler des quelques dizaines de Danish-fans ? Haha ! Non, je ne pense pas. Peut-être davantage ceux qui connaissent Opium Dream Estate, dont la médiatisation est, toute chose égale par ailleurs, plus importante. Mais l'univers est si différent que les dark-folkeux gotho-romantiques ne doivent pas être nombreux à embarquer pour une virée avec Saison De Rouille !
Avec qui avez-vous eu l’occasion de partager l’affiche et n’est-ce pas difficile de trouver des groupes proches de votre univers musical ? À quelle scène vous affiliez-vous aujourd’hui ?
On a fait une petite dizaine de dates en un an, fruits d'une quasi-prostitution voire d'une quête déshonorante en raison des centaines de mails, relances et temps de cerveau disponible consacrés à cette tâche ingrate. Je ne vais pas faire ma pleureuse et revenir sur les raisons objectives, notamment les difficultés que rencontrent les petites structures DIY et les pressions des SMACS, mais en conséquence j’ai quasiment (car c’est peut-être la principale raison qui me donne envie de faire du son, « garçon ») fait un trait sur les concerts. Peut-être que pour la forme j'enverrai un ou deux mails par mois à des gus que je n’ai pas encore harcelés et qui ne m’ont donc pas encore placé dans la catégorie « spam ». Bref. Pour revenir à ta question, nous avons partagé l’affiche avec des groupes et projets sympathiques mais je retiendrais surtout la nano-tournée avec les yankees de Gondoliers à la Toussaint 2013, ainsi que le super festival « punk-spirit » à Marseille à l'Embobineuse le 1er juin 2013.
Bien évidemment on pâtit de l'esthétique du groupe. Combien de fois ai-je entendu, du DIY comme des SMACS, « c'est vraiment pas mal votre truc, mais alors je ne sais pas où vous foutre ; reviens vers moi dans 3-6-12 mois... ». C'est sûr qu'il y a des « styles » (ou des « niches ») qui ont davantage de public, toutes choses égales par ailleurs (on parle d'une échelle entre 1 (nous) et 100 spectateurs max). Surtout, on n’est pas vraiment des mecs qui cultivent l'esprit « de réseau », avec ses connections, ses relais... C'est avant tout du copinage, et c'est bien normal. Mais quand vous n’êtes potes avec personne, ou presque, même si t’es un mec sympa, bah tu restes dans ton coin et t’attends qu’une âme charitable te prenne en pitié.
Donc on ne se sent pas appartenir à une « scène », tu m’auras compris. J’ai toujours voulu que les affiches soient éclectiques, avec une thématique commune, façon « variations musicales autour de... », avec du « peura », de l’électro, du punk, de la folk, de la noise... Alors qu’en général on voit des affiches avec de très subtiles variations esthétiques. Mais bon je pige très bien la raison qui préside au choix des orgas. Pour toutes ces raisons, on n’est pas vraiment « dedans » en somme. On est toujours devant la porte, à attendre...
Votre premier disque laissait transparaître, selon moi, des influences telles que Proton Burst ou Kill The Thrill. Est-ce que ce sont des groupes que vous appréciez et quelles sont vos autres sources d’inspirations ? Il y a quoi dans la cédéthèque d’un membre de Saison De Rouille ?
Effectivement le premier LP, qui était davantage un « ballon d’essai », une esquisse composée dans l'urgence, afin d’y laisser transpirer mes influences « industrielles / ambiant » a pu être comparé, chose appréciable, avec ces deux projets gaulois. Je connais peu PB, que Flo de feu-Danishmendt, et responsable des parties dissonantes / BM du premier opus, m’avait fait écouter rapidement et après la sortie de « Caduta ». Par contre KTT, c’est peut-être le groupe underground hexagonal qui m’a le plus marqué jusqu’à aujourd'hui. Une découverte tardive, avec la sortie de leur dernier bijou, en 2005, mais vite rattrapée. L’un de mes rêves c’est justement de partager l’affiche avec les Marseillais et même de faire une petite tournée-four.
Pour autant, on ne peut pas dire que KTT m’ait « inspiré ». Question de date et d’esthétique. Ce n’est pas parce qu’il y a une boîte à rythmes dans nos deux projets qu’il y a une filiation. D’ailleurs en parlant de cela, la comparaison de Saison De Rouille avec Godflesh m’horripile au plus haut point. Je trouve cela d’une facilité crasse et surtout : c’est bien le projet de JB qui m’a le moins parlé, j’ai même trouvé cela chiant quels que soient les différents skeuds. C’est très subjectif, j’en conviens, je sais d’expérience que les fans de JB ne sont pas très ouverts à la critique. Alors que God et Ice me sont plus chers. Bref fin de la digression. Je ne peux pas parler pour mes deux camarades rouillés mais niveau discothèque ce n’est pas la folie doomy/métallo/sludgy/BM/noise qui sort de mes enceintes. Je suis même pas mal éloigné du « Rock » au sens instrumental du terme. Depuis plusieurs mois, c’est très hip-hop à la maison : LMNO, Dopplegangaz, El-P, Killer-Mike, mais aussi du céfran comme B20 (j’assume, mais pas les rééditions dégueulasses de Futur) ou le Rennais Psyckick Lyrikah et plein d’autres trucs qui ne me reviennent pas. J'ai une mémoire de poisson-rouge. Pas mal de blues actuel (Black Keys, Left Lane Cruiser ou encore l’incroyable « Sweat tea » de Buddy Guy qui tourne régulièrement), mais aussi de la chanson française comme Bashung ou Dominique A.
Les textes de Déroutes sans fin sont toujours aussi sombres, utilisant une sémantique post-apocalyptique d’abandon et de solitude et il y a pour ma part une forte homogénéité entre le nom, les illustrations, l’ambiance et les paroles. Là encore, qu’est-ce qui vous inspire ? Quels sont vos thèmes de prédilection et quel est le concept général de ce nouvel album ?
Mon propos va sembler cliché mais Saison De Rouille c’est une forme d’expérience cathartique, un « vide angoisses existentielles » qu’on se refuse d’évoquer. Mais c’est aussi un moyen « global », pour ne pas dire « total » pour mettre en forme et en scène certains fantasmes, une créativité sombre et moralement contestable. Et tout simplement laisser aller son esprit prendre des chemins qu'on n’envisagerait pas consciemment. C’est un peu ces trois raisons à la fois. Je ne peux pas faire moins clair, non ? Je suis inspiré par mes lectures, par mes opinions philosophiques comme politiques, mes expériences sociales, comme tout un chacun ! Déroutes sans fin n’a pas été pensé comme un « concept » mais je me suis retrouvé avec des approches musicales et esquisses textuelles assez proches et complémentaires. L’idée était une bande son un peu « Mad Maxienne » mais inscrite dans notre époque ou alors au seuil d’un monde nouveau entrain d’éclore sur les braises fumantes du précédent. J'en sais trop rien, en fait ! Certains y ont vu / entendu une écriture crue et hyperréaliste. Bizarrement ce n’est pas vraiment mon ressenti ni même mon objectif. J’ai tenté quelque chose de « poétique », telles des nouvelles musicales qui ont un début et une fin, illustrant la musique d’images littéraires : la violence des rêves, le désir d’une célébrité enfermée, les émeutes jusqu’au-boutistes, un combat routier entre deux pervers...
Je trouve que la langue française convient parfaitement à la diction quasi narrative qui caractérise Saison De Rouille mais pourquoi avoir abandonné le chant en anglais plus proche de l’univers Métal qui caractérisait Danishmendt ?
En fait il n’y a jamais eu réellement de chant en français en ce qui me concerne, hormis deux titres qui figurent sur le premier EP de Danishmendt. Et c’est tout ! Je n’ai jamais été à l’aise avec la langue impériale, non pas pour des raisons de maîtrise mais plutôt pour des questions « de sens ». Je suis Français et pense / ressens au travers de ma langue et de ce qu’elle véhicule. Quand je dis « je te désire », ça n’est pas la même chose en français ou en anglais. Et puis, au-delà de l’éternel non-débat quant au « français qui n’est pas fait pour être chanté avec des guitares par ce que c’est moche et on comprend (ou pas) les paroles », j’ai envie de raconter des histoires musicales, pas de me contenter de puiser dans les 50 mots de mon « petit dictionnaire du chanteur anglophone » pour des questions de « sonorités ».
Pour autant, ça reste un challenge. Tout comme je ne suis pas musicien, je ne suis pas chanteur. Donc mes faibles capacités techniques font que mon chant se rapproche d'une certaine forme de diction narrative, qu’on dirait loud spoken-word, pour faire « swagy » !
Même si l’industriel reste un des fondements de votre musique, il y a désormais des relents de blues qui ne sont pas sans m’évoquer Blue Bob, le groupe de David Lynch, comme sur le titre « Le carnaval (lande 3) » par exemple. Comment composez-vous et pourquoi cette évolution ?
J’aimerais bien te dire que l’industriel est au cœur de Saison De Rouille mais je n’en suis pas sûr. En fait je n’ai aucune certitude concernant ce projet. Pour la suite, le 3e en cours de composition, j’aurais voulu m’orienter vers quelque chose de plus hip-hop-dub minimaliste, avec une base Scornienne. Mais en fait ça ne me plaît pas et je laisse faire la chose. Cela ne s’écartera pas beaucoup de Déroutes, ça va même plutôt creuser le sillon « bluesy-rock urbain sombre et sale » mais de manière moins « routière » pour ce qui est du rythme. D’avantage une balade pédestre ou une course-poursuite, un entre-deux quoi ! Effectivement Saison De Rouille a connu une évolution notable avec un jeu de guitares plus « bluesy ». Cela peut s’expliquer par le fait que Sebastyen est un excellent guitariste, très inspiré et branché sur cette scène, et qu’il disposait de plus de marge de manœuvre, étant seul à triturer ses cordes. Mais aussi par le fait que les morceaux que je propose aux camarades sont plus « directs », plus « rock » que le premier. Enfin, on est revenu, de manière subie hein car personne d'autre n’a voulu embarquer, à une formule plus « classique » un « power-trio », sans batteur (ça existe ?)
La sortie de Déroutes sans fin s’apparente à un véritable parcours du combattant. Avez-vous pensé à un moment donné que cet album ne verrait jamais le jour ? Quel fut le moment le plus difficile au cours de sa genèse ?
Déroutes a été ma croix au court des six derniers mois passés. On a tout fait par nos propres moyens, grâce à des âmes charitables, notamment Benoît Courribet et Flo. L l'éclusier ; à la limite en « famille , si si », avec la proximité bienveillante des feu-Danishmendt. J’ai cru naïvement que nous trouverions « rapidement » un ou des labels pour nous produire (enfin faire presser) ce nouvel opus. Je me fondais sur la première expérience, celle de Caduta, dont la coprod et les retours avaient été au-delà de mes attentes. Situation inverse : on proposait un album bien mieux mixé, plus accrocheur, dont nous étions bien plus fiers. Et au final : whalou ! Du coup, après trois mois de recherche de labels (c’est comme les concerts), on s’est dit : et s’il y avait que les « vrais gars », celles et ceux qui apprécieraient autant que nous cet album, qui l’achèteraient et le financeraient. On a profité d’un site de « financement grégaire », ULULE, pour reprendre le principe de la « pré-commande ». Cette dernière étape terminée, tel un accouchement long et difficile sans péridurale, il a fallu attendre que le LP sorte de sa couveuse et arrive à la maison. C’est arrivé la première semaine de juin. Et le bébé est magnifique !
Si vous deviez retenir un seul moment fort de votre parcours, quel serait-il ? De quoi êtes-vous le plus fiers à ce jour ?
Je n’ai pas vraiment de fierté à tirer de Saison De Rouille et de la musique en particulier. Quand j’ai des passages créatifs à vide, j’ai tendance à croire que faire de la musique est d’une vanité sans borne. Qu’il y a des centaines d’activités où je pourrais m’épanouir davantage, donner du sens, être utile à la communauté. Et puis le lendemain, je me dis que c’est agréable de pouvoir écouter la musique qu’on compose, d’essayer de créer un univers personnel qu’on partage, de rencontrer de chouettes types.
Quels sont vos projets pour les mois qui viennent ? Et si un rêve devait se concrétiser, ce serait lequel ?
Comme je te l’ai dit, on prépare doucement le 3e album. Bien évidemment j'adorerais qu’on me propose un maximum de dates, si possibles consécutives et avec plus de dix personnes devant nous. Mais non, peau de zeub. Par la suite, si Saison De Rouille devait continuer, je voudrais que le texte prenne une place première, la matrice originelle des morceaux, que ce ne soit plus la musique. En gros de se rapprocher de la chanson « à texte », même si je déteste cette expression, en essayant vainement de s’inspirer d’un Bashung que j’apprécie tant...
J’ai envie de finir cet entretien par un portrait chinois. Si Saison De Rouille était :
Un film ? ROVER !
Un livre ? L'Homme Vertical (un prélude italien à la Route ?)
Une peinture ? Les Romains de la décadence de Couture.
Un matériau ? Le Verre.
Un lieu ? Berlin.
Un animal ? La Pie.
En raison de ma mémoire de poisson-rouge, je dois évoquer des éléments chronologiquement très proches, désolé !
Je vous laisse le mot de la fin :
Merci encore pour ton intérêt ! Que des lecteurs intéressés par notre univers n’hésitent pas à partager cette interview, à en parler autour d'eux et surtout aux orgas de concerts !
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