Saison De Rouille

Caduta Dei Gravi

Caduta Dei Gravi

 Label :     Cold Void Emanations 
 Sortie :    lundi 24 septembre 2012 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Saison De Rouille est un projet collaboratif formé autour d'un noyau double : Karl S., ancien vocaliste de Danishmendt, et Sebastyen d'Opium Dream Estate, dont l'album Funeral In Narrgonia n'est pas sans me rappeler un certain Death In June, en plus chaleureux.
Avec Caduta Dei Gravi, nous sommes en revanche très loin d'un quelconque néo-folk et ce disque n'a pas fini de faire mal à la tête. En effet, Saison De Rouille s'inscrit dans une mouvance brutale proche de Godflesh, Proton Burst (qui reste pour moi le rapprochement le plus évident, tant aux niveaux des ambiances qui me font penser à La Nuit que des vocaux), voire d'un Kill The Thrill très énervé et mon sentiment est que les penchants métalliques de Danishmendt ont été évincés au bénéfice d'une approche beaucoup plus urbaine. Le groupe n'a pas à pâlir de ces comparaisons et autant dire que les amateurs de fleurs sauvages et de pandas épris de liberté risquent de tourner de l'œil : chacun des sept morceaux est une bouffée de gaz d'échappement, une immersion dans les bas-fonds et les souillures.
Dès les premières mesures du surpuissant et totalement hypnotique "Sur La Chaire Des Gueules Noires", l'auditeur est happé par des rythmiques industrielles particulièrement brutes et épurées. L'humeur n'est pas vraiment à la gaudriole, c'est le monde ouvrier dans ce qu'il a de plus dur et répétitif, tel qu'Upton Sinclair a pu le décrire dans son roman La Jungle.
Après une entame aussi brutale et abrasive, on se dit qu'il va être difficile de maintenir un tel niveau de densité. Et pourtant, l'expérience des deux musiciens, admirablement secondés par des compères de passage (Christian de Valborg qui assure le chant en allemand sur "Korperfall", le titre de clôture, ou encore PH dont le violon apporte l'oxymore au sein de la froideur de l'ensemble) assure déjà à Saison De Rouille une solide maturité musicale. Les morceaux s'enchaînent dans une atmosphère crépusculaire, l'unité thématique donnant l'impression d'écouter un album conceptuel où les climats les plus tordus (l'instrumental "Lumière Irradieuse") mais néanmoins lumineux côtoient la pesanteur extrême d'un doom-core écrasant ("Hypercephalee").
Un des points forts de Saison De Rouille, que j'avais déjà noté pour Danishmendt, est l'attention particulière qui est accordée aux textes. La voix, profonde et à la frontière de l'inhumanité, déclame à en vomir une sémantique d'abandon et de misère où la forme porte le sens, c'est-à-dire que l'effort poétique s'attache au symbole plutôt qu'au réalisme. Dans un genre où l'anglais a la faveur des musiciens, souvent pour masquer l'absence de profondeur des mots, Karl persiste dans son choix et, grâce à un habile maniement des sonorités, confère une véritable puissance à la langue. Le français n'est peut-être pas idéal pour chanter le rock, mais en matière d'indus martial, cela fonctionne parfaitement. Certaines paroles m'évoquent même le Zola de Germinal : "Des vies entières à creuser le trou sans fond de leur avenir" ("Sur La Chaire Des Gueules Noires"), ou encore "Mes mains calleuses souffrent et refusent d'attaquer encore cette terre crayeuse" ("Abri D'Infortune"). Je relève également la production, qui met bien en exergue les basses, les percussions et la subtilité soyeuse du violon, sobre mais parfaitement adaptée au genre. Le groupe ne fait pas dans la surenchère et, sans jouer à l'économie, sait frapper au bon moment pour faire mal, avec la bonne dose de violence.
Caduta Dei Gravi s'achève sur un "Korperfall" soutenu par une atmosphère ritualiste étouffante de noirceur qui rapproche le groupe de l'écurie de Cold Meat Industry. C'est à la fois lourd et poignant, foncièrement maladif, idéal pour achever les dernières illusions de l'auditeur. Le monde est délabrement mais Saison De Rouille parvient encore à en extraire de la beauté.


Bon   15/20
par Arno Vice


  P.S. : l'album est en écoute intégrale sur Bandcamp et la sortie physique de ce premier cycle a été rendue possible grâce à la collaboration des six labels suivants : Cold Void Emanations, Le Crépuscule d'un Soir, Heart & Crossbone, OPN, Kaosthetik Konspiration et Ocinatas Industries.


Proposez votre chronique !







Recherche avancée
En ligne
155 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages
Dans l'idée d'une playlist thématique mais néanmoins hebdomadaire, vous préférez :