2Kilos &More
Meeting Séverine et Hugues... [lundi 26 octobre 2009] |
D’abord, parlons du processus de création: l'album a été crée sur 3 villes (d’où le titre de l’album, entre3villes) : Paris, Berlin, et Essen en Allemagne. N'était-ce pas un peu compliqué ? Quels sont vos rôles respectifs dans la composition ?
Séverine : Ce n’était pas si compliqué car nous étions ensemble à Berlin pour la composition des morceaux. La partie que nous avons faite à distance concernait plus les arrangements. Et nous communiquions nos travaux via le net où alors nous nous retrouvions occasionnellement sur des week-ends. La composition se fait comme une impro de groupe: nous arrivons avec nos sons respectifs dans les ordis et improvisons ensemble (avec chacun son ordinateur). Pour "l'habillage", les parties de guitare et de basse sont plus de mon fait tandis que Hugues est plus axé sur les rythmiques.
Hugues : En fait on a commencé toute l'ossature, la composition, à Berlin ensemble l’été 2006. Puis de retour à Paris, on s'est finalement moins vu et on a continué doucement à avancer. Quelques mois après je déménageais pour Essen et là, Séverine me rendait de temps en temps visite pour finaliser certaines choses. De mon côté il y eut à nouveau des passages par Paris, un an plus tard, pour les voix de Black Sifichi et Flore Magnet entre autres...
Pour le processus de création je rejoins Séverine : on vient avec nos banques de sons, d’idées, sans rien composer, ni penser à l'avance. On ne crée qu’ensemble, une fois en studio.
Séverine, tu dis t’occuper des instruments « acoustiques ». Ils sont plus présents sur ce deuxième album, est-ce qu'on peut donc dire que tu t'es plus investie dans la compo que sur 8 Floors Lower (premier album de 2Kilos&More, NDLA) ?
S : Non, rien à voir. Les compositions se font vraiment à deux ! C'est peut être mon "jeu de guitare" qui fait qu'elle ressemble plus à une guitare sur cet album et ressort donc plus en tant qu'instrument acoustique. A vrai dire il y en avait déjà pas mal sur le premier album, mais elle n'était pas forcément reconnaissable en tant que telle. En fait je jouais avec un ebow, ou une baguette. La plupart des gens pensaient qu’il s’agissait de samples avant de nous voir en concert !
H : Oui, on se complète vraiment bien, car même si je ne sais pas jouer d'instruments à cordes, je peux moi aussi lui chantonner à l'oreille ce que j'ai en tête, la mélodie qu'elle pourrait jouer.
Qu’est- ce qui vous a fait choisir Berlin pour composer ?
H : La mode !!! On est très branchouilles nous. Berlin c'est "the place to be" en ce moment ! (rires) Même si plus pour très longtemps : la ville se transforme à une vitesse folle, les investisseurs ont déjà bien repris le dessus et des endroits comme Friedrischshain ou Kreuzberg, où pour une bouchée de pain, tu pouvais t'installer et avoir une vraie vie de quartier en pleine capitale européenne, ont déjà bien étaient repoussés vers la périphérie. Enfin, plus sérieusement, une attirance, des amis, une envie depuis un moment et surtout du temps de libre en commun pour se retrouver à deux dans une ville vraiment incroyable sur beaucoup de plans, et notamment la possibilité de jouer en étant inconnus super facilement un peu partout. Mais aussi de pouvoir rencontrer d'autres "artistes" tout en gardant une « vie normale » sans ce côté musique. Les bas loyers, la bonne bière et le vélo dans le froid contribuent aussi beaucoup au charme de la ville !
S : Je me souviens qu’on est parti en week-end à Berlin chez un ami commun qui s'est "expatrié là bas" en 2004. Et on a adoré ! L'idée de venir passer du temps dans cette ville s’est donc vite imposée.
Pour revenir à la composition… Tout semble donc partir de sons plutôt que de mélodies ?
H : Oui en très grande majorité. On commence quoi qu'il arrive à amasser des sons, bidouiller des tas de trucs. Les structures se construisent peu à peu puis arrivent les guitares et autres instruments acoustiques. Enfin, bizarrement, viennent les rythmes et basses en dernier. C’est un vrai casse tête parfois vu que l'on aime les samples crades, irréguliers, qui sont très difficiles à mettre dans une grille rythmique ou à adapter à la batterie. La mélodie peut être là dès le départ si elle se trouve dans le sample de base du morceau, mais peut aussi disparaitre plus tard avec l'arrivée des autres éléments.
Séverine a soulevé un truc important tout à l’heure : des fois j'aimerais conceptualiser plus ce qu'on va faire, essayer de prévoir, d'arriver à un résultat, disons imaginé, fantasmé. Mais quoi qu'il arrive, on finit toujours par improviser.
Votre musique, quasiment exclusivement instrumentale, invite immédiatement aux images et donc d'une certaine manière au cinéma. Etes vous passionnés du 7ème art et si oui quels sont vos films de référence ?
S : Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis passionnée de cinéma. En tout cas, pas au point de m'estimer cinéphile. Mais je suis une grande fan de science fiction : Alien, Blade Runner, Star Wars (un reste de mon enfance). Sinon je citerais David Lynch et Tim Burton en tant que réalisateurs...
H : Oui pareil, pas autant passionné que par les différents courants souterrains musicaux. Mais ce qui me vient à l'esprit, ce sont les films pervers de Bertrand Blier, la filmographie de Patrick Dewaere, Lynch, ainsi que Wim Wenders. Braindead aussi ! Et d'autres essentiels dont je me rappellerai demain…
Mais sinon, bien sûr, je pense que le cinéma peut être une source d’inspiration inconsciente. A l'écoute de notre musique, ce sont effectivement plus des images ou des ambiances qui me viennent à l'esprit.
Quels artistes (tous types d'art confondus) citeriez-vous comme influences de 2Kilos ?
H : Pas facile de répondre ! Pour ma part, c'est surtout la musique qui m'a complètement bouleversé dans ma vie. A tel point que j'ai un peu écarté involontairement les autres courants artistiques. Pendant des années, je n'ai même vécu que pour aller voir des concerts ou acheter des disques. Mais bien sûr je reste sensible à la peinture abstraite, ainsi qu’aux performances extra musicales mêlant danse, installations et expérimentations de tous genres... La lecture aussi bien sûr, mais je ne fais pas de lien avec notre musique ; même si une fois encore il doit y en avoir un, vu que toutes les expériences que l'on a au fil de la vie se mêlent et influencent tes goûts et envies. Les voyages aussi, même s’ils ne sont pas au bout du monde, me permettent de m'évader, d'avoir des images et des envies de son.
S : Bien sûr que l'on est influencé par tout ce qui nous touche ou ce que l'on aime ! Mais je ne vois pas quel artiste citer comme influence à notre musique en dehors d'autres groupes et je ne pense pas que ce soit ta question… A vrai dire, on a beau faire de la musique "contemporaine, électronique, ambiante…", on n'a pas une approche intellectuelle!! On est des rockers à ordinateur !! On joue, et il sort ce qui sort…
Quelques noms tout de même pour donner des repères aux gens qui nous lisent… ?
H : Pour les livres, au hasard, j'aime bien Calaferte, Boris Vian, certains Paul Auster aussi. Pour la peinture, je n’y connais malheureusement pas grand chose: Bacon, Rothko, notamment. Et tout ce qui est design : les Designers Republic, Vaughan Oliver, les designs de Factory Records et les différents labels industriels qui ont toujours soigné leurs design/objets.
S : Difficile de donner un nom qui ne soit pas dans la musique, et qui m'ait vraiment marqué. Je veux dire par là que beaucoup de choses me plaisent. Mais pour en trouver un hors du lot, c’est compliqué ! Enfin certainement mon grand amour pour des groupes tels que Slowdive ou Mogwaï a du influencer mon jeu ! Pour donner un autre exemple, j'ai été pas mal intéressée par le travail d'Escher car j'aime beaucoup les maths ! Oui, je suis plus fascinée par certaines découvertes ou énigmes mathématiques, qui rejoignent souvent la philosophie, que par un artiste en particulier.
Hugues, tu parles de beaux objets, de design. Ce nouveau disque en est un, de bel objet: format DVD et surtout cette reprise de l'artwork du premier. Vous pouvez éclairer notre lanterne sur ce choix de postérieurs qui s'offrent à l'auditeur ?
S : Encore une fois, je pense que c'est une volonté de s'éloigner des clichés de la scène électro-expérimentale. Et on en a remis une couche pour mettre un peu d'humour et de légèreté, en faisant cette parodie de la première pochette. D’ailleurs, on pense sincèrement à une trilogie de ce côté-là !
H : En fait, au départ, cela vient d'une proposition de Marius le graphiste de Jeans Records pour le 1er album. Ca n'a pas de signification particulière, c’est juste quelque chose qui nous a plu. Pour la 2ème pochette, par contre, je voulais absolument un rapport marqué avec la 1ère (et donc la 3è devra également être proche des deux premières). J'aime l'idée de série, d'un graphisme fort, où le groupe (ou label) peut-être reconnaissable rapidement, qu'il affirme aussi son identité sur le plan visuel. Le format dvd nous a été proposé par Pierre d'Optical Sound. On en est content même si le résultat final, au sortir de l'impression, n'est pas exactement ce qu'on attendait, et que les photos sont malheureusement trop cachées Je trouve l'idée de nos postérieurs amusante et décalée par rapport à notre musique assez introspective et calme.
Et pour revenir sur une de tes questions, vraiment, le monde du visuel nous intéresse très fortement malgré nos réponses un peu évasives. On cherche d'ailleurs pour bientôt à collaborer vraiment plus profondément avec des vidéastes, surtout pour la scène. Pas seulement pour faire une simple diffusion de visuels sur drap blanc en fond de scène, mais pour inclure véritablement l'image dans nos performances et dans un vrai décor, comme un 3ème élément.
En parlant de la scène électro expérimentale, que pensez vous de gens comme Fuck Buttons, Recoil ou plus anciennement Labradford ?
S : Ahhh... Je suis une grande admiratrice de Labradford... Tu crois que ça s'entend ? (rires)
H : Fuck Buttons je ne connais pas (encore), Recoil, je n'aime pas. C'est très sophistiqué mais ça ne me parle pas. Quant à Labradford, Séverine a dit ce qu’elle en pense ! Sinon, je reste encore aujourd'hui passionné par tous ces groupes comme Autechre, Oval, Pan sonic, Main... Plus anciennement, Zoviet France, Coil ou les projets industriels, expérimentaux et noise qui ont fortement influencés l'électro contemporaine.
Parlons des intervenants voix, Black Sifichi et Flore Magnet.
S : Pour Black Sifichi, je laisse Hugues t’en parler. Quant à Flore, on l'a invitée à chanter sur le disque sans l'avoir rencontrée ! On aimait juste sa voix dans Von Magnet. Norscq, qui mixe notre son en album, est aussi l'ingénieur du son studio de Von Magnet et c’est lui qui nous a mis en contact.
H : Pour Black c'est simple, on a fondé un groupe éphémère il y a quelques années, [1] Kilo Of Black Bondage (cf. chronique sur Xsilence, NDLA), et plus tard, par l'intermédiaire de Norscq qui a produit les 2k&M, on a contacté Flore. Encore après Séverine est devenue l'ingé son de Von Magnet. Et puis j'ai rejoint le groupe à la batterie/percussions.
On les a donc invités à improviser sur des morceaux qu'ils ne connaissaient pas, et en 2 après midi au local, on a fait des prises de voix... Ensuite il y a eu un gros travail de découpage, assemblage, transformation des lignes de chants.
L'album semble scindé en deux. Une première partie plus optimiste, plus acoustique, et une seconde plus sombre, plus électronique. Est -ce volontaire, et si oui pourquoi ?
H : Ca c'est dessiné au fur à mesure. Au début je croyais même que la 2ème partie de entre 3villes était en fait la continuité du premier album et que donc la première partie pouvait représenter une nouvelle orientation, plus post rock... Mais en ce moment, j'ai envie de choses un peu plus dures, peut-être moins mélodiques. D'autres fois, j'ai aussi envie de faire des collaborations au chant… Pourquoi pas un 3eme album qui serait un double avec uniquement des featuring sur le cd 1, donc en format plus chansons, et un 2eme disque vraiment très ambiant, une plage évolutive de 60 mn passant du silence au noise... A voir tout ça plus tard !
S : Volontaire… Peut-être dans le sens où l’on aime que les albums soient homogènes. On essaie donc toujours d'avoir une progression logique de morceaux. Par contre, il ne s'agissait pas d'un choix d'aller vers quelque chose de plus sombre. C’est simplement une histoire de cohérence.
Hugues, tu as un projet techno qui s’appelle voiceOver. Peux-tu nous en dire plus sur son évolution, sur le stade de création ?
Oui, j'ai une douzaine de morceaux finis, très orientés "dancefloor". J'ai toujours aimé les montées, la tension et la frénésie mentale et physique que peut apporter cette musique. Mais je suis obligé de mettre ce projet de côté pour le moment par manque de temps. Mais aussi parce que je n'ai pas encore de label ! J’ai seulement quelques dates à droite à gauche... En fait, la concurrence est très rude dans ce milieu aujourd'hui, et l'entraide quasi inexistante. Au risque de paraître pour un vieux de la vieille, c'est plus ce que c'était ce milieu et l'esprit rave du début à disparu... Et toute cette pseudo nouveauté actuelle de "scène minimale" me fatigue vraiment.
C’est dans l’air du temps actuellement: que pensez-vous des mesures prises contre le piratage, vous qui attachez visiblement encore beaucoup d’importance à l’objet CD ?
H : Pour tout t'avouer, je ne suis plus trop toutes ces histoires, je ne sais pas où ils en sont dans leur lutte, qui ne sert pas à grand chose à priori. Faudrait que je sorte de ma bulle et aille voir les actualités alors, mais à notre niveau commercial ça ne nous concerne pas vraiment. Au contraire, le piratage doit sûrement nous aider à diffuser plus largement nos compos. Mais c'est vrai que j'attache encore beaucoup d'importance à l'objet, au support qu'il soit vinyle ou cd, et à son emballage. J'ai toujours un grand plaisir à acheter un disque même si je n'ai plus trop les moyens et le temps de suivre l'actualité malheureusement…
S : Je ne pense pas qu’il faille interdire l’échange de médias via internet. L’idée que la culture soit accessible à tous, et, en ce qui nous concerne, que notre musique touche un maximum de gens, me plait assez. Il faut déplacer le problème : comment rémunérer les artistes (car il faut du budget pour créer) et où sont les réels abus et profiteurs du circuit culturel ?