Colin Stetson
Colin Stetson & Sarah Neufeld - Never Were The Way She Was |
Label :
Constellation |
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Colin Stetson arrive à un stade critique de sa croissance musicale. Ces dernières années, avec son système de respiration continue et sa science des microphones, l'homme s'est muté en one-man-band ; enregistrant ses disques (cf sa trilogie New History Warfare) par des prises live en studio, s'occupant à lui seul des mélodies de saxo, des percussions et du chant – capté à travers sa gorge grâce à des micros savamment placés. À faire corps avec son instrument, le saxophoniste a façonné celui-ci telle une excroissance de son propre corps, où l'on peut imaginer sans mal les lèvres qui auraient fusionné avec l'anche, n'autorisant à Stetson de ne plus s'exprimer que par circonvolutions cuivrées. C'est que – au delà de tout fantasme Cronenbergien de ma part – Colin Stetson maîtrise de mieux en mieux sa formule, son domptage de l'instrument, de ses sonorités et de l'éventail toujours plus large de ses possibilités. On peut comprendre qu'une telle exclusivité s'accompagne d'une grande solitude, et que l'angoisse grandissant Colin se soit résolu à appeler à l'aide, faisant de son dernier disque Never Were the Way She Was un disque collaboratif.
Une fois n'est pas coutume, car si Colin a pris pour habitude d'engager un ou plusieurs guest pour un album (récemment Laurie Anderson et Justin Vernon), ce n'étaient alors que des participations assez annexes, qui s'occupaient de fournir un plus humain sans s'infiltrer profondément dans la composition. Ici, c'est Sarah Neufeld qui a été choisie comme compagne d'infortune du saxophoniste surhumain ; seulement cette fois, l'album est à associer à son nom aussi bien qu'à celui de Colin. C'est que Neufeld, violoniste chez Arcade Fire, est omniprésente et s'intègre entièrement dans le processus créatif. Si bien que, plus qu'une courtoisie musicale, ce duo s'avère être une langoureuse et sinueuse partie de jambes en l'air entre les deux artistes. Il n'y a qu'à écouter la piste introductive "The Sun Roars Into View" pour s'en convaincre. Les deux instruments se mêlent l'un l'autre au long d'une composition minimaliste rappelant à s'y méprendre les arabesques hypnotiques de Philip Glass ou le Music for 18 Musicians de Steve Reich, dans laquelle c'est à peine si l'on parvient à discerner ce qui provient du saxophone ou du violon. Le ballet est solaire, chatoyant, optimiste, et son sens de la répétition semble sous-entendre une félicité infinie... Je m'emporte, mais c'est que ce morceau rentre facilement dans le palmarès du bonhomme.
Je parlais de minimalisme plus haut ; visiblement Sarah et Colin se sont pris un grand bain de Glass, Reich, Riley et compagnie avant d'aborder leur disque. Après un court intermède trainant et déprimant en après-coup de la radieuse introduction, les deux artistes se muent en de véritables machines à répétition, alternant l'un et l'autre la position de faiseur de drone et de chef mélodiste. Dès lors, Never Were the Way She Was se détache petit à petit de ses atours minimalistes bien confortables pour se risquer vers les grands espaces d'une musique bien plus cinématographique. Les notes s'allongent, les violons se distordent, le saxo gronde depuis sa caverne et ses échos se font menaçants. Jusqu'au pinacle "The Rest of Us", diamant brut de l'album, sommet dramatique qui voit Stetson enclencher son mode berserk, piétinant tout sur son passage à l'image d'une troupe de gnous mécaniques en rut, tandis que Neufeld assène ses coups de griffe mélodiques. Et la plainte fantomatique de Stetson de s'élever dans les airs, comme enfin libérée de sa cage de chair.
Il y a quelque chose de la solitude qui s'exprime dans le ton de Never Were the Way She Was, ayant trait à ces grands espaces trop vides ; depuis la désolation qu'exprime la pochette jusqu'à la tristesse abyssale du morceau titre. Cette solitude cependant se trouve constamment sublimée, magnifiée par le nouage entre les racines de ses deux auteurs, cuivres et cordes œuvrant ensemble. On ne peut qu'imaginer, alors que le disque s'achève sous un bruit de pluie battante, Sarah et Colin se tenant tous deux au fond du gouffre, main dans la main, le regard résolument pointé vers le ciel.
Une fois n'est pas coutume, car si Colin a pris pour habitude d'engager un ou plusieurs guest pour un album (récemment Laurie Anderson et Justin Vernon), ce n'étaient alors que des participations assez annexes, qui s'occupaient de fournir un plus humain sans s'infiltrer profondément dans la composition. Ici, c'est Sarah Neufeld qui a été choisie comme compagne d'infortune du saxophoniste surhumain ; seulement cette fois, l'album est à associer à son nom aussi bien qu'à celui de Colin. C'est que Neufeld, violoniste chez Arcade Fire, est omniprésente et s'intègre entièrement dans le processus créatif. Si bien que, plus qu'une courtoisie musicale, ce duo s'avère être une langoureuse et sinueuse partie de jambes en l'air entre les deux artistes. Il n'y a qu'à écouter la piste introductive "The Sun Roars Into View" pour s'en convaincre. Les deux instruments se mêlent l'un l'autre au long d'une composition minimaliste rappelant à s'y méprendre les arabesques hypnotiques de Philip Glass ou le Music for 18 Musicians de Steve Reich, dans laquelle c'est à peine si l'on parvient à discerner ce qui provient du saxophone ou du violon. Le ballet est solaire, chatoyant, optimiste, et son sens de la répétition semble sous-entendre une félicité infinie... Je m'emporte, mais c'est que ce morceau rentre facilement dans le palmarès du bonhomme.
Je parlais de minimalisme plus haut ; visiblement Sarah et Colin se sont pris un grand bain de Glass, Reich, Riley et compagnie avant d'aborder leur disque. Après un court intermède trainant et déprimant en après-coup de la radieuse introduction, les deux artistes se muent en de véritables machines à répétition, alternant l'un et l'autre la position de faiseur de drone et de chef mélodiste. Dès lors, Never Were the Way She Was se détache petit à petit de ses atours minimalistes bien confortables pour se risquer vers les grands espaces d'une musique bien plus cinématographique. Les notes s'allongent, les violons se distordent, le saxo gronde depuis sa caverne et ses échos se font menaçants. Jusqu'au pinacle "The Rest of Us", diamant brut de l'album, sommet dramatique qui voit Stetson enclencher son mode berserk, piétinant tout sur son passage à l'image d'une troupe de gnous mécaniques en rut, tandis que Neufeld assène ses coups de griffe mélodiques. Et la plainte fantomatique de Stetson de s'élever dans les airs, comme enfin libérée de sa cage de chair.
Il y a quelque chose de la solitude qui s'exprime dans le ton de Never Were the Way She Was, ayant trait à ces grands espaces trop vides ; depuis la désolation qu'exprime la pochette jusqu'à la tristesse abyssale du morceau titre. Cette solitude cependant se trouve constamment sublimée, magnifiée par le nouage entre les racines de ses deux auteurs, cuivres et cordes œuvrant ensemble. On ne peut qu'imaginer, alors que le disque s'achève sous un bruit de pluie battante, Sarah et Colin se tenant tous deux au fond du gouffre, main dans la main, le regard résolument pointé vers le ciel.
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
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