Enablers

Parmi les labels qui sont de réels dénicheurs de talents et qui privilégient la qualité au chiffre de vente potentiel, on trouve Neurot Records, qui compte son lot de formations talentueuses et originales. Le genre de maison de disque dont on achète les productions en confiance, sûr d'être satisfait de son acquisition. C'est ainsi que j'ai découvert Enablers, grâce à une compilation, et que je me délecte aujourd'hui de Tundra.
Œuvre poignante aux fêlures apparentes, poésie de poussière, de bitume, accompagnant le clochard céleste dans ses errances, on est marqué par la grande subtilité musicale, écrin idéal à la narration aux senteurs désabusées de l'homme qui raconte.
La douceur du propos ne cède que très occasionnellement le pas à des pointes rageuses ("New Moon") et le tout forme un recueil de sémantique urbaine où les vents de la désolation poussent les portes d'un bar déserté, encore porteur des vestiges du vacarme d'antan.
Sans doute qu'une solide connaissance des auteurs de la beat generation et de la tradition du spoken word serait un plus pour appréhender ce groupe, mais Enablers n'est pas une formation élitiste. Elle se découvre à qui sait prendre le temps de prêter l'oreille à ses étranges circonvolutions, ôte un à un ses onze voiles tout en épaississant le mystère qui entoure la genèse de ses titres. Car il y a une forme de magie chez Enablers, un talent de créateur d'atmosphère avec des riens, des arpèges minimalistes et de brusques inflammations évoquant parfois Oxbow ("Kosovo" par exemple), des dérivés de jazz-rock, et toujours cette voix, immuable, de compteur mystique.
Tundra est un album qui marque. Sans artifices, sans débauche démesurée d'énergie, sans mélodies vocales et refrains entêtants, l'auditeur ne peut que se demander comment diable ces mecs parviennent pourtant à lui secouer l'âme aussi durablement...