Fiery Furnaces
Remember |
Label :
Thrill Jockey |
||||
"Please do not attempt to listen to all at once"
Je prends cette inscription au dos comme une vantardise mais pigerai à l'écoute que c'était amical. En ouvrant le boîtier un petit bout de papier rose s'échappe. Je le ramasse et lit:
"REMEMBER TREASURE HUNT
Why not guess what's on this album ?"
Un double live des Fiery ça promettait d'avance (mes ongles rongés), mais je ne m'attendais pas à tant d'ornements. Pour le coup j'ai le droit à six titres énigmatiques inscrit au dos en guise d'indices. "A Special Commission Of Navajo Basketball Coaches And Blonde Ladies" ou "Waiting In The Lobby At 665 1/2 Frontage Road". Ca annonce la couleur. Ca fait un tantinet génie. J'ai envie de l'hurler à une mémé qui prend son courrier mais je préfère m'engouffrer dans l'ascenseur, exploser ma serrure et lancer le premier cd comme un disque olympique. Mais mon petit cinoche de mélomane fait pale allure à côté de la suite. Pendant que j'atterrissais en fosbury sur le canapé, un gros riff à double grosse caisse typiquement grind éclate puis s'estompe aussitôt pour laisser place à un brouhaha de public qui tourne en boucle jusqu'à ce qu'un orgue émerge, puis une batterie, pour qu'à peine apparu un bidouillis de synthé schizo détruise ma fibre capillaire et qu'un gong sonne le glas sur on ne sait quoi de terrible. La chasse est annoncée, le tout en quarante secondes, tandis que je mords mon canapé de terreur.
Ce que je viens de décrire était l'introduction. Je le rappelle. Elle annonçait rien de moins qu'un medley géant de deux bonnes heures où défilent cinquante et un thèmes rendus méconnaissables par des arrangements sauvages. Un vrai Quetzacoalt qui entre par une oreille et ressort par l'autre tout en ayant bien malaxé la matière grise. Pas le temps de faire des schémas bien évidemment. Tout y passe. De "Bitter Tea" passé en revue en vingt-cinq minutes, "Widow City" totalement fragmenté, "Rehearsing My Choir" corrigé en dix minutes... Le cerveau même connaisseur ne peut se greffer tant les points de repères voltigent en tous sens selon une diabolique logique encore sous-jacente. On a l'impression d'écouter à travers un caléidoscope, laissant l'identité au placard pour s'amuser à faire des jeux de points de vue. Car tout est affaire de point de vue chez les Fiery Furnaces... L'esprit de chaque chanson a complètement dévié, vampirisé par on ne sait quel hémisphère de Matthew Friedberger (combien en a t-il ce diable pour pouvoir jouer tous ces thèmes sans se perdre ?). Des chansons à la base lexomilées, ( "Little Tchatched Hut" ) deviennent des funk irrésistibles, "Black-Hearted Boy" est réinterprété en cha-cha-cha, "Bitter Tea" en reggae, "My Dog Was Lost But Now He's Found" est devenu un titre punk dégueulasse. En somme Remember, qui porte bien son nom, est un brouillage de piste redoutable, une articulation savamment pensée de tout le répertoire. On reprend le damier, on découpe les pions et avec les morceaux on fait un nouveau jeu dont les règles sont pour le moins microscopiques. C'est comme essayer de faire echec et mat avec des miettes de pain.
Mais ne désespérons pas (que diable!)...
Car les paroles, quant à elles, demeurent identiques. Avec ses mots, sa diction dylanienne, ses histoires, Eleanor empêche le monde de se perdre à tout jamais dans la folle réécriture de son frangin. On l'adore pour le coup cette si belle Arianne brune aux ongles vernis rouge (quelle classe cela écrit en passant). Son frère Matthew s'en donne à cœur joie, se vautre dans la satyre de sa propre matière, puisque grâce à la discipline de sa sœur, il peut broder et/ou détruire le long de ce fil vocal. Eleanor se trompe rarement, malgré la complexité des paroles, le débit effarant qu'elles demandent lorsque son frère (un brin sadique) a décidé de doubler le tempo ( "Automatic Husband", "I'm in no mood" ), ou de simplement tout changer, rythme et compagnie ("1917" , "Quay Cur"). Mais elle perd le nord quand même. Et lorsqu'elle lapsus on entend son frère apostropher en geignant, le temps qu'elle reprenne sur l'hilarité environnante.
On l'aura compris chaque concert a des allures de défi. Les Fiery Furnaces dans l'arène demandent au public les chansons qu'il désire entendre (la seule chose regrettable est peut-être l'absence de ces moments où l'on entend un public meugler des titres) pour les emporter ailleurs, défier ses attentes par une déconstruction radicale, un jeux de renvois, de miroirs en miettes qui défragmente la musique pour en faire un nouveau monstre à l'articulation terrifiante. C'est ce que Zappa d'ailleurs avait compris. Les tournées sont l'occasion inespérée de fondre la musique dans un moule différent chaque soir, se nourrissant du contexte pour aller plus loin, d'où l'importance vitale de jouer live. La musique gonfle, revit, se transforme et s'enrichit à mesure qu'elle revient sur le plateau, toujours plus différente chaque nuit, plus monstrueuse. Et c'est cette différence qui provoque cette joie spéciale, celle qui pointe lorsque l'on constate que le point de départ n'est pas du tout un point, mais une étoile explorant dans tous les sens... et nous avec.
Juste au moment où le dernier morceau se faisait sentir, un gros riff à double grosse caisse typiquement grind éclate pour qu'à peine apparu un bidouillis de synthé schizo redétruise ma fibre capillaire. La chasse est terminée, tandis que je remords mon canapé de terreur. Le disque se termine par son début, cette intro qui m'avait tant effrayé. Le début est la fin de la fin, comme "Finnegans Wake" de Joyce où la dernière phrase ne se termine pas car sa suite se trouve être les mots du début. Le serpent se mord la queue et nous sommes pris dans son cercle, un éternel retour qui peut être soit pris comme du cauchemard (retour du même) ou un jeu de points de vue infinis sur un même évènement qui gagne en intensité au fur et à mesure que nous l'entendons revenir.
Je prends cette inscription au dos comme une vantardise mais pigerai à l'écoute que c'était amical. En ouvrant le boîtier un petit bout de papier rose s'échappe. Je le ramasse et lit:
"REMEMBER TREASURE HUNT
Why not guess what's on this album ?"
Un double live des Fiery ça promettait d'avance (mes ongles rongés), mais je ne m'attendais pas à tant d'ornements. Pour le coup j'ai le droit à six titres énigmatiques inscrit au dos en guise d'indices. "A Special Commission Of Navajo Basketball Coaches And Blonde Ladies" ou "Waiting In The Lobby At 665 1/2 Frontage Road". Ca annonce la couleur. Ca fait un tantinet génie. J'ai envie de l'hurler à une mémé qui prend son courrier mais je préfère m'engouffrer dans l'ascenseur, exploser ma serrure et lancer le premier cd comme un disque olympique. Mais mon petit cinoche de mélomane fait pale allure à côté de la suite. Pendant que j'atterrissais en fosbury sur le canapé, un gros riff à double grosse caisse typiquement grind éclate puis s'estompe aussitôt pour laisser place à un brouhaha de public qui tourne en boucle jusqu'à ce qu'un orgue émerge, puis une batterie, pour qu'à peine apparu un bidouillis de synthé schizo détruise ma fibre capillaire et qu'un gong sonne le glas sur on ne sait quoi de terrible. La chasse est annoncée, le tout en quarante secondes, tandis que je mords mon canapé de terreur.
Ce que je viens de décrire était l'introduction. Je le rappelle. Elle annonçait rien de moins qu'un medley géant de deux bonnes heures où défilent cinquante et un thèmes rendus méconnaissables par des arrangements sauvages. Un vrai Quetzacoalt qui entre par une oreille et ressort par l'autre tout en ayant bien malaxé la matière grise. Pas le temps de faire des schémas bien évidemment. Tout y passe. De "Bitter Tea" passé en revue en vingt-cinq minutes, "Widow City" totalement fragmenté, "Rehearsing My Choir" corrigé en dix minutes... Le cerveau même connaisseur ne peut se greffer tant les points de repères voltigent en tous sens selon une diabolique logique encore sous-jacente. On a l'impression d'écouter à travers un caléidoscope, laissant l'identité au placard pour s'amuser à faire des jeux de points de vue. Car tout est affaire de point de vue chez les Fiery Furnaces... L'esprit de chaque chanson a complètement dévié, vampirisé par on ne sait quel hémisphère de Matthew Friedberger (combien en a t-il ce diable pour pouvoir jouer tous ces thèmes sans se perdre ?). Des chansons à la base lexomilées, ( "Little Tchatched Hut" ) deviennent des funk irrésistibles, "Black-Hearted Boy" est réinterprété en cha-cha-cha, "Bitter Tea" en reggae, "My Dog Was Lost But Now He's Found" est devenu un titre punk dégueulasse. En somme Remember, qui porte bien son nom, est un brouillage de piste redoutable, une articulation savamment pensée de tout le répertoire. On reprend le damier, on découpe les pions et avec les morceaux on fait un nouveau jeu dont les règles sont pour le moins microscopiques. C'est comme essayer de faire echec et mat avec des miettes de pain.
Mais ne désespérons pas (que diable!)...
Car les paroles, quant à elles, demeurent identiques. Avec ses mots, sa diction dylanienne, ses histoires, Eleanor empêche le monde de se perdre à tout jamais dans la folle réécriture de son frangin. On l'adore pour le coup cette si belle Arianne brune aux ongles vernis rouge (quelle classe cela écrit en passant). Son frère Matthew s'en donne à cœur joie, se vautre dans la satyre de sa propre matière, puisque grâce à la discipline de sa sœur, il peut broder et/ou détruire le long de ce fil vocal. Eleanor se trompe rarement, malgré la complexité des paroles, le débit effarant qu'elles demandent lorsque son frère (un brin sadique) a décidé de doubler le tempo ( "Automatic Husband", "I'm in no mood" ), ou de simplement tout changer, rythme et compagnie ("1917" , "Quay Cur"). Mais elle perd le nord quand même. Et lorsqu'elle lapsus on entend son frère apostropher en geignant, le temps qu'elle reprenne sur l'hilarité environnante.
On l'aura compris chaque concert a des allures de défi. Les Fiery Furnaces dans l'arène demandent au public les chansons qu'il désire entendre (la seule chose regrettable est peut-être l'absence de ces moments où l'on entend un public meugler des titres) pour les emporter ailleurs, défier ses attentes par une déconstruction radicale, un jeux de renvois, de miroirs en miettes qui défragmente la musique pour en faire un nouveau monstre à l'articulation terrifiante. C'est ce que Zappa d'ailleurs avait compris. Les tournées sont l'occasion inespérée de fondre la musique dans un moule différent chaque soir, se nourrissant du contexte pour aller plus loin, d'où l'importance vitale de jouer live. La musique gonfle, revit, se transforme et s'enrichit à mesure qu'elle revient sur le plateau, toujours plus différente chaque nuit, plus monstrueuse. Et c'est cette différence qui provoque cette joie spéciale, celle qui pointe lorsque l'on constate que le point de départ n'est pas du tout un point, mais une étoile explorant dans tous les sens... et nous avec.
Juste au moment où le dernier morceau se faisait sentir, un gros riff à double grosse caisse typiquement grind éclate pour qu'à peine apparu un bidouillis de synthé schizo redétruise ma fibre capillaire. La chasse est terminée, tandis que je remords mon canapé de terreur. Le disque se termine par son début, cette intro qui m'avait tant effrayé. Le début est la fin de la fin, comme "Finnegans Wake" de Joyce où la dernière phrase ne se termine pas car sa suite se trouve être les mots du début. Le serpent se mord la queue et nous sommes pris dans son cercle, un éternel retour qui peut être soit pris comme du cauchemard (retour du même) ou un jeu de points de vue infinis sur un même évènement qui gagne en intensité au fur et à mesure que nous l'entendons revenir.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Toitouvrant |
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