Luna
Bonnie And Clyde |
Label :
Beggars Banquet |
||||
La musique de Luna n'a d'autre contour que celui qu'elle génère furtivement. Elle n'a d'autre espace que celui qu'elle (ré)invente. Chinatown tard la nuit. Les taxis filent follement comme dans le film de Polanski.
Les lignes de guitares se transforment vite en pointillés. La musique n'est faite que de creux, de blancs, d'absences. Dean Wareham chante Chinatown de l'autre côté d'un écran de fumée. Il habite la chanson, mais on dirait toujours... on dirait toujours qu'il n'y est pas tout à fait. Il chante depuis un endroit extérieur, un outside, un envers du décor. Il observe narquoisement. Et il s'efface, se délite. Il est là comme une ombre. Mais c'est la nuit noire déjà. Il est là on ne le voit même pas.
Chinatown. Vous n'y êtes pas. Vous n'êtes pas d'ici. Attendez.
C'est une série de signes de notes électriques qui pulsent dans la nuit. Une série de signes qu'on ne comprend pas bien. On ne décode pas avec les yeux, on ne décode pas avec les livres. On ne décode pas. On prend tout dans la gueule dans le corps, bang, bang, c'est le bruit que font les revolvers c'est le bruit que font les amoureux – renversés sur le cuir usé des banquettes. A Chinatown il n'y a pas de loi pas de promesse il n'y a rien qui tienne. J'ai beau tenir ta main la tenir dans la mienne...
Vous pensez peut-être que je parle d'autre chose. Ou bien que je m'emporte un peu. Mais c'est aussi (c'est surtout) cela, Luna : une dérive, une di-version. La musique, quelquefois, ne se mesure pas en notes de guitares en battements par minute ; la musique quelquefois se mesure en images. Les images qu'elle contient et celles qu'elle soulève qu'elle écrit dans nos têtes. Luna est l'un de ces groupes qui mettent la poésie (visible) au cœur des chansons, comme autrefois le Velvet Underground ou Television, et qui mettent les chansons au cœur des villes, des grandes villes sans cœur (New York). Ces groupes ont créé des réseaux : une culture d'images.
Ils ne sont pas vraiment physiques, pas vraiment palpables. Ils ont la substance des fumées des brouillards, et ils ne font que fuir.
Dean Wareham est un rescapé de Galaxie 500.
Kramer n'a pas produit cet EP. Mais après tout Kramer n'a pas totalement créé Dean Wareham et sa voix de vent. Kramer a autrefois amplifié, agrandi, Kramer a distendu l'angoisse, le gouffre qui sous-tend la musique du garçon, le gouffre qui grandit sous ses pieds, tout le temps. Dean Wareham reste toutefois le même à travers ses groupes : un type maigre et crâneur, qui chante avec douleur et parle peu. Alan Sparhawk de Low (un groupe que le producteur new yorkais sus-cité a également produit) lui ressemble un peu. C'est la même morgue, le même petit sourire-balafre. C'est le même cri en suspension qui semble se dissoudre dans le bruit des guitares. La même interrogation.
Cet EP contient ‘Chinatown', in the tiny, tiny hours. Ça ressemble à du Velvet Underground qui s'effiloche, la la la la, comme sur leur album aigre-doux de '69. Lou Reed est toujours là, plus présent en tout cas que le fantomatique Wareham.
‘Chinatown' est la seule chanson originale de Luna sur ce CD. Il y a deux reprises : ‘Bonnie And Clyde' (deux versions différentes) et ‘Thank you for sending me an angel' des Talking Heads. Ce groupe aime tant les reprises.
Luna s'attaque cette fois à Gainsbourg (le père lointain), un autre type paumé perdu dans la fumée, qui dérive accroché au flanc maigre de Melody Nelson. La musique délocalise, déboussole et connecte deux continents, l'Amérique et l'Europe.
Dean chante avec Laetitia Sadier (Stereolab). La voix de cette dernière n'a pas la volupté pleine, le pulpeux, de la voix de Bardot. Laetitia Sadier s'ennuie. Sa voix n'a pas d'épaisseur : elle est posée comme un calque sur la musique (guitare réverbérée et violoncelle de l'inévitable Jane Scarpantoni). La voix de Bardot ajoute de la chair / de la matière, celle de Sadier ajoute de la distance, du vide, c'est-à-dire qu'elle soustrait, qu'elle retranche de la réalité. C'est beau comme une esquisse. C'est impalpable et léger. Ça n'a pas commencé.
La reprise des Talking Heads est évidemment éthérée, comme lavée de sa rage initiale (il ne reste rien de la voix de Byrne, intonations punk hoqueteuses) - c'est du Luna, toujours livide, mais somme toute deux ou trois crans en-deçà des autres pistes du disque.
Cela s'appelle Chinatown. Ne cherchez pas, c'est un endroit qui n'existe pas.
Les lignes de guitares se transforment vite en pointillés. La musique n'est faite que de creux, de blancs, d'absences. Dean Wareham chante Chinatown de l'autre côté d'un écran de fumée. Il habite la chanson, mais on dirait toujours... on dirait toujours qu'il n'y est pas tout à fait. Il chante depuis un endroit extérieur, un outside, un envers du décor. Il observe narquoisement. Et il s'efface, se délite. Il est là comme une ombre. Mais c'est la nuit noire déjà. Il est là on ne le voit même pas.
Chinatown. Vous n'y êtes pas. Vous n'êtes pas d'ici. Attendez.
C'est une série de signes de notes électriques qui pulsent dans la nuit. Une série de signes qu'on ne comprend pas bien. On ne décode pas avec les yeux, on ne décode pas avec les livres. On ne décode pas. On prend tout dans la gueule dans le corps, bang, bang, c'est le bruit que font les revolvers c'est le bruit que font les amoureux – renversés sur le cuir usé des banquettes. A Chinatown il n'y a pas de loi pas de promesse il n'y a rien qui tienne. J'ai beau tenir ta main la tenir dans la mienne...
Vous pensez peut-être que je parle d'autre chose. Ou bien que je m'emporte un peu. Mais c'est aussi (c'est surtout) cela, Luna : une dérive, une di-version. La musique, quelquefois, ne se mesure pas en notes de guitares en battements par minute ; la musique quelquefois se mesure en images. Les images qu'elle contient et celles qu'elle soulève qu'elle écrit dans nos têtes. Luna est l'un de ces groupes qui mettent la poésie (visible) au cœur des chansons, comme autrefois le Velvet Underground ou Television, et qui mettent les chansons au cœur des villes, des grandes villes sans cœur (New York). Ces groupes ont créé des réseaux : une culture d'images.
Ils ne sont pas vraiment physiques, pas vraiment palpables. Ils ont la substance des fumées des brouillards, et ils ne font que fuir.
Dean Wareham est un rescapé de Galaxie 500.
Kramer n'a pas produit cet EP. Mais après tout Kramer n'a pas totalement créé Dean Wareham et sa voix de vent. Kramer a autrefois amplifié, agrandi, Kramer a distendu l'angoisse, le gouffre qui sous-tend la musique du garçon, le gouffre qui grandit sous ses pieds, tout le temps. Dean Wareham reste toutefois le même à travers ses groupes : un type maigre et crâneur, qui chante avec douleur et parle peu. Alan Sparhawk de Low (un groupe que le producteur new yorkais sus-cité a également produit) lui ressemble un peu. C'est la même morgue, le même petit sourire-balafre. C'est le même cri en suspension qui semble se dissoudre dans le bruit des guitares. La même interrogation.
Cet EP contient ‘Chinatown', in the tiny, tiny hours. Ça ressemble à du Velvet Underground qui s'effiloche, la la la la, comme sur leur album aigre-doux de '69. Lou Reed est toujours là, plus présent en tout cas que le fantomatique Wareham.
‘Chinatown' est la seule chanson originale de Luna sur ce CD. Il y a deux reprises : ‘Bonnie And Clyde' (deux versions différentes) et ‘Thank you for sending me an angel' des Talking Heads. Ce groupe aime tant les reprises.
Luna s'attaque cette fois à Gainsbourg (le père lointain), un autre type paumé perdu dans la fumée, qui dérive accroché au flanc maigre de Melody Nelson. La musique délocalise, déboussole et connecte deux continents, l'Amérique et l'Europe.
Dean chante avec Laetitia Sadier (Stereolab). La voix de cette dernière n'a pas la volupté pleine, le pulpeux, de la voix de Bardot. Laetitia Sadier s'ennuie. Sa voix n'a pas d'épaisseur : elle est posée comme un calque sur la musique (guitare réverbérée et violoncelle de l'inévitable Jane Scarpantoni). La voix de Bardot ajoute de la chair / de la matière, celle de Sadier ajoute de la distance, du vide, c'est-à-dire qu'elle soustrait, qu'elle retranche de la réalité. C'est beau comme une esquisse. C'est impalpable et léger. Ça n'a pas commencé.
La reprise des Talking Heads est évidemment éthérée, comme lavée de sa rage initiale (il ne reste rien de la voix de Byrne, intonations punk hoqueteuses) - c'est du Luna, toujours livide, mais somme toute deux ou trois crans en-deçà des autres pistes du disque.
Cela s'appelle Chinatown. Ne cherchez pas, c'est un endroit qui n'existe pas.
Parfait 17/20 | par Pixy |
NB : On trouve des versions live (1999) de ‘Chinatown' et ‘Bonny And Clyde' sur l'album Luna Live , paru en 2001.
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