Moonshake

Eva Luna

Eva Luna

 Label :     Too Pure 
 Sortie :    novembre 1992 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Premier album de Moonshake, "Eva Luna" fait rentrer ses auteurs dans la cour des géants.
Telles les vapeurs d'un volcan tourbillonnant dans un cyclone, les morceaux de "Eva Luna", malgré leur difficulté d'accès, vous transporteront dans des lieux inconnus, étranges, improbables, voire inimaginables, éveillant tous vos sens pour mieux les fausser, via lignes de basse démentes, chants troublants, rythmes incroyables, son énorme et j'en passe...
Jean Passe ? Connais pas... Eva Luna ? Découvrez-la !


Excellent !   18/20
par X_Shape104


 Moyenne 17.50/20 

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Posté le 31 mai 2008 à 03 h 26

S'il est bien un terme qui vient de suite à l'esprit quand on évoque ce quatuor Londonien, c'est "urbain". Né sur les cendres des turbulents Wolfhounds, Moonshake forme un projet un rien foutraque de fusion de styles, à priori, contre nature. Les guitares noise télescopent des lignes de basse terriblement groovy empruntées au dub avec très souvent des inserts subtils de samples maison, le tout mâtiné de jazz puis saupoudré d'un esprit punk inhérent à notre capitaine David Callahan. Le résultat sonne, contre toute attente, comme quelque chose de très étrange, mais aussi de très accrocheur. Autant de talent à faire copuler sous la contrainte des styles aussi variés résulte d'un véritable tour de force. Groupe emmené par David Callahan donc (voix, guitares, samples), Margaret Fiedler (idem), John Frenett (basse), Mig Morland (batterie, percussions) (puis épaulé par Guy Fixen à la production, parti ensuite former Laika avec la demoiselle), les compositions font apparaître clairement deux fortes têtes : les deux premières citées. Comme se sera encore plus radicalement le cas après avec Big Goog Angel, Eva Luna se divise donc, par voie de conséquence, en deux styles de compositions (+1 : les co-écrits), bien qu'étant assez distincts dans leurs styles, n'en restent pas moins bien mélangés dans le (moon)shaker.

Ainsi, "Wanderlust" ouvre le bal des compositions mixtes entre Callahan et Fiedler (et autres) sur une rythmique baggy vite rattrapée par la voix geignarde du chanteur de nature même à faire se retourner Ian Curtis dans sa tombe et à faire pâlir Johnny Rotten (son accent très londonien). Incursion de flûte balayée avec force par de véritables bombes de guitares truffées d'écrous et de clous. "Mugshot Heroin" est de cette lign(é)e là, une véritable mauvaise descente de dope au climat malsain. Elle comporte une ligne de basse dub hypnotique se faisant ensevelir par des cuivres dramatiques, un saxophone et d'autres effets hallucinatoires en tous genres. Callahan y glapit en dégénéré urbain, relatant les mésaventures d'un accro à l'héro.

Les compositions de Margaret Fiedler sont – paradoxalement – les plus nombreuses. "Tar Baby" s'enclenche en deuxième plage et voit pointer le bout de voix de la demoiselle accompagnée de cette batterie chancelante vite atomisée par des explosions soudaines de six cordes qui redemanderont qu'à exploser encore en cours de titre. Effet "borderline" garanti... Si les thèmes de Callahan sont autant de portraits d'urbains désœuvrés et de leurs divagations, Margaret Fiedler préfère explorer les tréfonds de l'âme. Sa voix, à peine audible, est toujours susurrée délivrant en débit régulier des paroles reflétant l'aliénation mentale. Images désuètes et futiles de l'enfance, morbidité et mutilations sont ses thèmes favoris. "Bleach And Salt Water" est une longue plongée subaquatique vécue avec des bouchons dans les oreilles, les sons "lavés" et satellites faisant cet effet de sourdine. Voyage dans les tourments de la psyché, schizophrénie vue par soi-même de l'intérieur. Puis paroxysme : cette voix hurlante en fin de titre, nichée en arrière plan qui évoque (implore ?) un peu plus la folie intérieure. "Little Thing" est dans le même trip bien que plus enlevé avec incursions intelligentes de boucles de samples et rehaussé de jolis arpèges cristallins et d'effets phazer. Enfin, "Sweetheart" et "Beautiful Pigeon" convient les Breeders de Pod au festin : batterie claquante et lignes de basse rebondies piquées à la mère Deal, avec en prime, des guitares-papier de verre.

David Callahan dévoile des compos aux structures rythmiques plus "au carré" et une férocité accrue des parties de guitares. "Seen And Not Heard" avec sa ligne de basse basique et ultra d'équerre doublée de guitares-éclairs sous des tonnes de vibrato et de boucles de samples font l'effet d'un véritable électroshake. Le boucan des grattes entraîne littéralement le titre à sa chute. Le texte relate l'absurdité de l'existence pour un honnête père de famille sans histoires, mais névrosé de toutes parts à l'intérieur de lui ("At work I have no disagreements. Punctual, polite and efficiant. But in my house, I shed my skin"). "City Poison", une diatribe contre celle qui partageait sa vie à l'époque, toute empreinte de frustrations ("You bring your city poison round here") et tailladée de guitares-rasoir comme autant de veines sectionnées à se ronger les sangs. Titre rapide à l'électricité hallucinée, "Spaceship Earth" est un manifeste post-hendrixien flanqué d'un saxophone se démenant dans le chaos des guitares spatiales. L'on en ressort groggy, comme vidé de toute énergie.

Moonshake reflétait mieux que tout autre à l'époque ce qu'était un groupe issu de l'avant-garde art rock, dépeignant avec justesse la cruauté et le non-sens de la vie citadine. Eva Luna fut créé pour secouer l'auditeur et l'emmener très loin de la vie quotidienne, en ne faisant en fin de compte que de s'en référer. Là réside la véritable gageure pour la première page importante de son histoire discographique.
Parfait   17/20







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