The Specials

Moins d'un an après la sortie de The Specials, les leaders du label Two Tone et de la scène revival ska, sont sous le coup d'une mutation étonnante avec leur deuxième album sous l'impulsion de leur clavier Jerrry Dammers.
Pourtant, "Enjoy Yourself", reprise carabiné d'un standard R'n'B des années 40 (déjà passé à la moulinette reggae de Prince Buster), annonçait dès le début de More Specials une continuité musicale avec le premier album. Mais de suite, "Man At C&A" renverse brutalement le couvercle ska punk pour passer aux plats expérimentaux d'une musique hybride de fin du monde, en écho direct avec la poussée de fièvre nucléaire de la guerre froide en ce début des années 80. Dès lors, dans ce contexte là, les Specials sont beaucoup moins festifs et enragés qu'auparavant même s'il leur reste quelques aspirations allant dans ce sens comme les deux R'n'B "Hey Little Rich Girl" et "Sock It To'Em J.B."
Mais le ton de l'album s'il n'est pas particulièrement angoissé, est parfois désenchanté à l'image du grandiose "Stereotypes" qui, bien que le sujet soit plus futile, est un véritable négatif du futur "Ghost Town". Morceau aussi important ne serait-ce que par son influence future sur les têtes de pont du trip-hop. Jerry Dammers désirait ardemment une orientation northern soul sur ce deuxième album. Mais son goût pour l'expérimentation et le mélange des genres, fait de ce More Specials un disque unique aux ramifications trop nombreuses pour les dénombrer: soul, dub, reggae, Ennio Morricone, pop, mariachi... L'influence de More Specials est par ailleurs difficilement quantifiable. "International Jet Set" ne ressemble à rien de connu en 1980. Même aujourd'hui plus de 20 ans après, ce titre amorphe reste inclassable. A la limite, on peut dire qu' "International Jet Set" préfigure les délires electro/hip-hop de Gorillaz... mais ce serait réducteur.
L'album se termine sur une reprise d'"Enjoy Yourself" fatiguée et ironique, soutenue par les choeurs des Go-Go's. More Specials avait de quoi dérouter et par conséquent décevoir le fan de la première heure mais il se classa en haut des ventes d'albums. Comme quoi, l'audace musicale et le refus des plans établis peuvent parfois être récompensés.