Boards Of Canada
The Campfire Headphase |
Label :
Warp |
||||
Geogaddi, le précédent album des Boards Of Canada, prolongeait la féerie de Music Has The Right To Children en lui donnant une forme plus sombre et striée, et finalement plus hermétique, alors qu'en un mouvement parallèle, opposé même, l'opus s'imposait comme gargantuesque, brisant quelque peu l'atmosphère intime que le premier long format du duo avait su faire émerger. Marcus Eoin et Michael Sandison laissaient par cette opération une partie de leur auditorat dans la perplexité, mais Geogaddi se révéla finalement comme véritable chef-d'œuvre de l'electronica et rejoignit aisément son prédécesseur au rang des classiques de la musique électronique. A présent sort The Campfire Headphase, leur nouvel album.
Le premier titre, "Into The Rainbow Vein", défile, habituelle entrée en matière structurée à la manière du "Wildlife Analysis" de Music Has The Right To Children ou du "Ready Lets Go" de Geogaddi. Bref, nous nous retrouvons en territoire connu, nous reconnaissons instantanément l'architecture sonore propre au groupe, celle qui fait depuis toujours son identité. Ce fut d'ailleurs jusqu'à présent une constante chez eux, de s'inscrire dans un processus d'autoréférence, d'auto-échantillonnage, innovant à partir de la matière qu'est leur propre musique. Cette méthode de travail autarcique a d'ailleurs été poussée à son extrême par les deux compères sur Geogaddi. Associée à un traitement rythmique hérité du hip-hop, dont sont issus leurs hypnotiques breakbeats, et confrontée à leur sens particulier de la mélodie, elle rend la musique du groupe proprement nostalgique. Jamais la thématique de l'enfance si chère à la scène estampillée electronica n'avait à ce point trouvé un point de résonance. "Into The Rainbow Vein" enclenche le surgissement de cette sensation dérivée de la nostalgie et nous emporte vers un 'ailleurs' quelque part dans nos propres souvenirs.
La première véritable surprise de The Campfire Headphase est sans nul doute le deuxième morceau, "Chromakey Dreamcoat", et sa structure de trois notes samplées à partir d'une guitare, structure jouée en boucle, suivant une progressive variation tonale, tout d'abord fort surprenante, pas vraiment agréable, pas non plus déplaisante, mais déjà quelque peu hypnotique, puis le motif s'insère peu à peu dans quelque chose de plus chatoyant, pour un résultat qui ne ressemble à aucune des précédentes productions du duo, ni même à "1969", le titre le plus 'pop' de Geogaddi. Peut-être que ce dernier a agi comme élément déterminant dans l'élaboration de The Campfire Headphase. "Dayvan Cowboy" s'impose sûrement comme le morceau le plus atypique des quinze composant ce disque. Commençant par une basse légèrement saturée, il ressemble à un teen rock song.
Ce troisième album se distingue des deux autres par finalement cette ouverture de la musique des Boards Of Canada sur l'extérieur. On s'élève vers la lumière, on s'éloigne des univers abyssaux mis en scène dans Geogaddi et l'on remonte vers la surface, vers les cieux éthérés exhalés par Music Has The Right To Children. Ce mouvement de retour vers une forme plus facile d'accès est à mon sens observable par la pochette du disque, renvoyant à celle de Music Has ... et sa famille aux visages effacés. Mais ce mouvement agit tel un zoom, un gros plan sur un pan entier d'univers que leur musique avait contenu en soi en ne trahissant jusqu'à présent que par bribes fugitives.
Non pas que la technique ait véritablement évolué en ce qui concerne le travail des ecossais, qui reste essentiellement celle de leurs débuts, celle utilisée sur leur magnifique EP High Scores, mais l'innovation qu'ils ont opérée sur le corps même de leur musique se concentre substantiellement sur la matière introduite dans le processus de création. Cette ouverture des Boards Of Canada sur d'autres sphères qui leur sont étrangères est fort déroutante. La manière par laquelle ils traitent les sons issus d'instruments traditionnels sur le nouvel album n'est en rien révolutionnaire les concernant. C'est cette irruption même de sonorités résolument non électroniques qui génère une cassure où est aspiré l'auditeur. L'opération est réalisée avec une maîtrise extrême et ce surgissement de corps étrangers ne vient en rien briser l'aspect typiquement organique caractérisant depuis toujours la musique du groupe. Les rythmiques se révèlent cardiaques, la musique se fait souffle, tandis que les voix humaines semblent plus que jamais étouffées, alors même que les Boards Of Canada avaient exprimé dans une interview pour la promotion de Geogaddi la volonté d'orienter le successeur de ce dernier vers plus de vocalité.
Ce successeur tourne à présent en boucle dans mon lecteur CD. Toute plongée dans une nouvelle production du groupe a toujours demandé un certain laps de temps pour que notre conscience s'acclimate à ses contours étranges, souvent rugueux, trop vivants. Ce rapprochement vers quelque chose de plus traditionnel, de plus inscrit dans les normes, de plus mainstream, même si cela a rencontré chez moi une forme dure de résistance, offre un résultat exceptionnel. Ce tout nouvel album est trop frais pour que je puisse me certifier que je tiens entre les mains un véritable chef-d'œuvre. La musique des Boards Of Canada ne se laisse pas immédiatement saisir par nos sens, mais se distille lentement. Chaque nouvelle écoute de The Campfire Headphase renforce une situation de dépendance formellement toxicomaniaque que j'entretiens avec ce disque. Celui-ci n'est peut-être pas à la hauteur du magnifique Music Has The Right To Children, mais certains de ses sommets s'y rapprochent assurément, à l'image de "Chromakey Dreamcoat", de "Peacock Tail", de "84 Pontiac Dream", de "Hey Saturday Sun" ou de l'ambient supranaturelle de "Slow This Bird Down".
Un très beau disque.
Le premier titre, "Into The Rainbow Vein", défile, habituelle entrée en matière structurée à la manière du "Wildlife Analysis" de Music Has The Right To Children ou du "Ready Lets Go" de Geogaddi. Bref, nous nous retrouvons en territoire connu, nous reconnaissons instantanément l'architecture sonore propre au groupe, celle qui fait depuis toujours son identité. Ce fut d'ailleurs jusqu'à présent une constante chez eux, de s'inscrire dans un processus d'autoréférence, d'auto-échantillonnage, innovant à partir de la matière qu'est leur propre musique. Cette méthode de travail autarcique a d'ailleurs été poussée à son extrême par les deux compères sur Geogaddi. Associée à un traitement rythmique hérité du hip-hop, dont sont issus leurs hypnotiques breakbeats, et confrontée à leur sens particulier de la mélodie, elle rend la musique du groupe proprement nostalgique. Jamais la thématique de l'enfance si chère à la scène estampillée electronica n'avait à ce point trouvé un point de résonance. "Into The Rainbow Vein" enclenche le surgissement de cette sensation dérivée de la nostalgie et nous emporte vers un 'ailleurs' quelque part dans nos propres souvenirs.
La première véritable surprise de The Campfire Headphase est sans nul doute le deuxième morceau, "Chromakey Dreamcoat", et sa structure de trois notes samplées à partir d'une guitare, structure jouée en boucle, suivant une progressive variation tonale, tout d'abord fort surprenante, pas vraiment agréable, pas non plus déplaisante, mais déjà quelque peu hypnotique, puis le motif s'insère peu à peu dans quelque chose de plus chatoyant, pour un résultat qui ne ressemble à aucune des précédentes productions du duo, ni même à "1969", le titre le plus 'pop' de Geogaddi. Peut-être que ce dernier a agi comme élément déterminant dans l'élaboration de The Campfire Headphase. "Dayvan Cowboy" s'impose sûrement comme le morceau le plus atypique des quinze composant ce disque. Commençant par une basse légèrement saturée, il ressemble à un teen rock song.
Ce troisième album se distingue des deux autres par finalement cette ouverture de la musique des Boards Of Canada sur l'extérieur. On s'élève vers la lumière, on s'éloigne des univers abyssaux mis en scène dans Geogaddi et l'on remonte vers la surface, vers les cieux éthérés exhalés par Music Has The Right To Children. Ce mouvement de retour vers une forme plus facile d'accès est à mon sens observable par la pochette du disque, renvoyant à celle de Music Has ... et sa famille aux visages effacés. Mais ce mouvement agit tel un zoom, un gros plan sur un pan entier d'univers que leur musique avait contenu en soi en ne trahissant jusqu'à présent que par bribes fugitives.
Non pas que la technique ait véritablement évolué en ce qui concerne le travail des ecossais, qui reste essentiellement celle de leurs débuts, celle utilisée sur leur magnifique EP High Scores, mais l'innovation qu'ils ont opérée sur le corps même de leur musique se concentre substantiellement sur la matière introduite dans le processus de création. Cette ouverture des Boards Of Canada sur d'autres sphères qui leur sont étrangères est fort déroutante. La manière par laquelle ils traitent les sons issus d'instruments traditionnels sur le nouvel album n'est en rien révolutionnaire les concernant. C'est cette irruption même de sonorités résolument non électroniques qui génère une cassure où est aspiré l'auditeur. L'opération est réalisée avec une maîtrise extrême et ce surgissement de corps étrangers ne vient en rien briser l'aspect typiquement organique caractérisant depuis toujours la musique du groupe. Les rythmiques se révèlent cardiaques, la musique se fait souffle, tandis que les voix humaines semblent plus que jamais étouffées, alors même que les Boards Of Canada avaient exprimé dans une interview pour la promotion de Geogaddi la volonté d'orienter le successeur de ce dernier vers plus de vocalité.
Ce successeur tourne à présent en boucle dans mon lecteur CD. Toute plongée dans une nouvelle production du groupe a toujours demandé un certain laps de temps pour que notre conscience s'acclimate à ses contours étranges, souvent rugueux, trop vivants. Ce rapprochement vers quelque chose de plus traditionnel, de plus inscrit dans les normes, de plus mainstream, même si cela a rencontré chez moi une forme dure de résistance, offre un résultat exceptionnel. Ce tout nouvel album est trop frais pour que je puisse me certifier que je tiens entre les mains un véritable chef-d'œuvre. La musique des Boards Of Canada ne se laisse pas immédiatement saisir par nos sens, mais se distille lentement. Chaque nouvelle écoute de The Campfire Headphase renforce une situation de dépendance formellement toxicomaniaque que j'entretiens avec ce disque. Celui-ci n'est peut-être pas à la hauteur du magnifique Music Has The Right To Children, mais certains de ses sommets s'y rapprochent assurément, à l'image de "Chromakey Dreamcoat", de "Peacock Tail", de "84 Pontiac Dream", de "Hey Saturday Sun" ou de l'ambient supranaturelle de "Slow This Bird Down".
Un très beau disque.
Très bon 16/20 | par Lee Oswald |
Posté le 10 février 2006 à 21 h 09 |
Je ne sais pas pourquoi mais j'aime les disques des Boards of Canada.
Moi qui suis fan de chansons très structurées, à la recherche de la perfect pop song de 2'45, pourquoi aime-je ce groupe ?
La musique des Boards c'est une sorte de bestiole invertébrée, un machin gélatineux et cafardeux, des morceaux de 40 secondes ou de 7 minutes apparemment sans queue ni tête, parfois c'est même pas de la musique mais des sortes de parasites, de gratouillis sonores aussi sexy qu'une recherche de radio sur les grandes ondes. Mais entre les stations, voyez.
Et puis il y a le rapport bizarre avec l'enfance. on entend souvent des voix d'enfant, bidouillées, triturées. ça donne quelque chose d'assez malsain, étrange.
C'est peut-être même avant l'enfance. C'est foetal.
J'ai parfois l'impression qu'on interviewe un foetus dans le liquide amniotique. Le beat, c'est le coeur de la mère et de son enfant. la nappe de synthé reproduit les remous de l'échographie. Non j'ai rien fumé, pourquoi ?
Bon bref, la musique de ce groupe me fascine, moi le fan des strokes et des kinks.
Le premier album touche le sublime.
Le second était deja moins bien.
Et celui-ci; The Campfire Headphase souffre tragiquement de redite.
Alors pour faire actuel, et parce qu'ils ont dû remarquer qu'il y a depuis 5 ans une sorte de ras-de-marée rock, on entend des guitares au milieu des bip-bips. Un peu.
Il y a de belles choses dans cet album, mais on a le sentiment que tout cela est un peu vain, et qu'ils ont tout dit entre 1995 et 1998.
Moi qui suis fan de chansons très structurées, à la recherche de la perfect pop song de 2'45, pourquoi aime-je ce groupe ?
La musique des Boards c'est une sorte de bestiole invertébrée, un machin gélatineux et cafardeux, des morceaux de 40 secondes ou de 7 minutes apparemment sans queue ni tête, parfois c'est même pas de la musique mais des sortes de parasites, de gratouillis sonores aussi sexy qu'une recherche de radio sur les grandes ondes. Mais entre les stations, voyez.
Et puis il y a le rapport bizarre avec l'enfance. on entend souvent des voix d'enfant, bidouillées, triturées. ça donne quelque chose d'assez malsain, étrange.
C'est peut-être même avant l'enfance. C'est foetal.
J'ai parfois l'impression qu'on interviewe un foetus dans le liquide amniotique. Le beat, c'est le coeur de la mère et de son enfant. la nappe de synthé reproduit les remous de l'échographie. Non j'ai rien fumé, pourquoi ?
Bon bref, la musique de ce groupe me fascine, moi le fan des strokes et des kinks.
Le premier album touche le sublime.
Le second était deja moins bien.
Et celui-ci; The Campfire Headphase souffre tragiquement de redite.
Alors pour faire actuel, et parce qu'ils ont dû remarquer qu'il y a depuis 5 ans une sorte de ras-de-marée rock, on entend des guitares au milieu des bip-bips. Un peu.
Il y a de belles choses dans cet album, mais on a le sentiment que tout cela est un peu vain, et qu'ils ont tout dit entre 1995 et 1998.
Sympa 14/20
Posté le 01 mars 2006 à 00 h 37 |
Plusieurs fois déjà je me suis pris à vouloir chroniquer ce disque avant de me raviser, estimant que ce nouvel album des écossais était encore trop frais pour pouvoir en disserter en toute connaissance de cause.
6 mois s'étant écoulés depuis sa sortie, je me lance aujourd'hui, mon opinion actuelle ne devant pas changer fondamentalement dans les mois qui viennent. Et force est de constater que The Campfile Headphase est une petite déception, mais une déception quand même, quand on le compare aux sommets inégalés que sont Music Has The Right To Children et Geogaddi, voire le splendide EP In A Beautiful Place Out In The Country.
Attention, The Campfire Headphase reste cependant un bon album, très bon même et les 15/20 ne sont pas usurpés. Il contient quelques pépites d'electronica mélodique dont "Sandison" et "Eoin" ont le secret depuis une dizaine d'années. Je citerais évidemment le sublime "Dayvan Cowboy", mais aussi "Peacock Tail" ou le génial "Slow This Bird Down". Sur ces titres là, on retrouve les splendeurs des albums précédents, sans le piège de la redite grâce à une production qui s'enrichit substantiellement avec l'apport de samples de guitare qui concourent à rendre leur son encore plus chatoyant.
Le bât blesse plus lorsqu'il s'agit d'évoquer le ventre mou de l'album ("Oscar See Through Red Eye" notamment) où on décèle un certain manque d'inspiration (voire une furieuse envie de passer à la plage suivante, ce qui n'arrivait jamais avec les opus précédents), ainsi qu'une fin d'album qui laisse l'auditeur fan des BoC quelque peu sur sa faim. Au final, The Campfile Headphase n'égale donc pas les albums précédents, sans pour autant nous fâcher avec ses auteurs.
6 mois s'étant écoulés depuis sa sortie, je me lance aujourd'hui, mon opinion actuelle ne devant pas changer fondamentalement dans les mois qui viennent. Et force est de constater que The Campfile Headphase est une petite déception, mais une déception quand même, quand on le compare aux sommets inégalés que sont Music Has The Right To Children et Geogaddi, voire le splendide EP In A Beautiful Place Out In The Country.
Attention, The Campfire Headphase reste cependant un bon album, très bon même et les 15/20 ne sont pas usurpés. Il contient quelques pépites d'electronica mélodique dont "Sandison" et "Eoin" ont le secret depuis une dizaine d'années. Je citerais évidemment le sublime "Dayvan Cowboy", mais aussi "Peacock Tail" ou le génial "Slow This Bird Down". Sur ces titres là, on retrouve les splendeurs des albums précédents, sans le piège de la redite grâce à une production qui s'enrichit substantiellement avec l'apport de samples de guitare qui concourent à rendre leur son encore plus chatoyant.
Le bât blesse plus lorsqu'il s'agit d'évoquer le ventre mou de l'album ("Oscar See Through Red Eye" notamment) où on décèle un certain manque d'inspiration (voire une furieuse envie de passer à la plage suivante, ce qui n'arrivait jamais avec les opus précédents), ainsi qu'une fin d'album qui laisse l'auditeur fan des BoC quelque peu sur sa faim. Au final, The Campfile Headphase n'égale donc pas les albums précédents, sans pour autant nous fâcher avec ses auteurs.
Bon 15/20
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