Kat Onoma

Far From The Pictures

Far From The Pictures

 Label :     EMI 
 Sortie :    lundi 22 mai 1995 
 Format :  Album / CD   

Kat Onoma existe déjà depuis une dizaine d'années, et on a pu sentir une certaine évolution au fil des albums vers un son de plus en plus travaillé.

Ici, la bande à Rodolphe Burger nous propose un rock plus sombre que d'habitude, mais toujours aussi félin et poétique. On songe au 2ème et 3ème albums du Velvet, à Bashung, au jazz. Les mélodies se font discètes, mais rarement des instruments (dont la voix de Burger, magnifique) ne se seront aussi bien complétés. Dès les premières notes de "Artificial Life", on est comme enfermé dans un cocon, on ne voit pas grand chose, mais on y est si bien installé qu'on a pas envie de bouger.
Alors on cherche malgré tout un repère, les paroles ? Pas mieux. La plupart des textes (alternant entre français et anglais) signés Olivier Cadiot ne sont pas plus compréhensibles. En fait, comme la musique, ils laissent la possibilité à l'auditeur de les interprêter comme bon lui semble. Il peut alors se laisser bercer par "La Chambre" (la chanson culte du groupe, anodine en apparence mais qui gagne en épaisseur à chaque écoute), "John & Mary" ou encore "A Birthday", ou emporter par les guitares de "Artificial Life", "Idiotic", "Le Déluge" ou "Missing Shadow Blues".

Un album que certains pourront qualifier "d'intellectuel", distant en apparence mais finalement très chaleureux, qui crée un vrai lien avec l'auditeur, et qui rappelle que la musique, ça n'est finalement que du plaisir.

Le meilleur album d'un des plus groupes français. Un très grand disque, loin des clichés.


Exceptionnel ! !   19/20
par Francislalanne


 Moyenne 18.33/20 

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Posté le 19 octobre 2006 à 10 h 44

Tout en sensualité chaude et non dénuée de violence empoisonnée, ce ténébreux album de l'atypique groupe Kat Onoma caresse en long par ses ambiances de velours. Des guitares captent les fulgurances et les transposent en un rock tamisé aux variations halogènes, alternant du calme à l'intense suivant les quatorze séquences crépusculaires envoûtantes qui se succèdent. Les cuivres comme la trompette et le saxophone soulignent judicieusement sans effet crispant dans les tréfonds intimes tels que "La Chambre", "Love Loop" et "John & Mary". D'autrepart, le spectre du jazz (influence importante du groupe tout de même) s'immisce dans "Idiotic", avant chaque riff ronflant au refrain. "Bingo" se nuance d'un air de country-blues pour une anecdote d'apparence littéraire. Mais d'un point de vue général, Far From The Pictures s'écoute, se visionne mentalement comme un film à format panoramique avide de grands espaces, de scènes cultes imaginaires qu'on se projette du crépuscule à l'aube, et laisse supposer que le groupe strasbourgeois est le plus à l'Ouest des groupes français, ce qui est loin d'être péjoratif.
Excellent !   18/20



Posté le 29 janvier 2007 à 20 h 00

Trois ans après les éruptions flamboyantes de "Billy the Kid", c'est cette fois dans les tréfonds du volcan que nous invite Kat Onoma. Le luminisme a cédé la place au ténébrisme, mais attention, un ténébrisme incandescent : "Far from the pictures" est un disque tellurique, gorgé à ras bord de lave en fusion, une caverne crépitant de mille lueurs. Ce cinquième album serait-il donc encore plus sombre que "Cupid", leur premier opus daté de 1987 ? Peut-être, toujours est-il que la maturité du groupe, la fluidité et la cohésion de son jeu agissent comme un raz-de-marée et emportent l'adhésion immédiate. Car cet opus est surtout le plus ouvertement rock de la discographie "katonomienne", les guitares sales et plaintives s'y taillant la part du lion au détriment des cuivres, notamment de la trompette de Guy "Bix" Bickel qui se fait plutôt discrète. Plomb et plume à la fois, on pourrait qualifier un tel album de "zeppelinien", même s'il s'agirait de Led Zeppelin ambiant, hanté, embrumé. Toute surprenante qu'elle puisse paraître, la référence au Dirigeable de Jimmy Page n'est pas fortuite, car par trois fois le quintette alsacien fait allusion à "When the Levee breaks" (le dernier titre du quatrième album) : sa batterie est mise en loop pour la rythmique de "Reality Show", sa tonalité épique détournée au profit du "Déluge", enfin sa mélodie citée dans "Missing Shadow Blues". Les morceaux se contamineraient-ils entre eux ? Sans doute, car en plus d'une époustouflante cohérence malgré la coexistence de chansons dures et de ballades plombées, c'est cette impression de contiguïté, de tassement des chairs, de pression, qui saisit l'auditeur et fait la grandeur du disque. On y étouffe, mais avec jouissance...

"Artificial Life" ouvre le bal, et dès les premières secondes, on comprend que Kat Onoma n'est pas d'humeur à rire : cette ouverture martiale, plus qu'à l'épiphanie de "The Radio", fait écho aux sombres menaces de "Cupid". L'auditeur est prévenu : voilà un disque à très haut voltage. Même si Philippe Poirier a, par la suite, estimé que ce titre avait perdu toute sa puissance au mixage, sa force saute aux oreilles et n'est pas sans faire songer à Noir Désir, mais du Noir Désir assourdi, chanté par un Bertrand Cantat aristocratique. "Idiotic", dont le refrain a donné son nom à l'album, sonne lui presque grunge, avec ses rugissements de guitares crades émergeant d'un marécage de tension que brasse le roulement de la basse. "Far from the pictures..." On l'aura deviné, l'image et son pouvoir d'hypnose (souvent dangereux) sont au coeur du discours de Kat Onoma sur ce quatrième album. En témoignent brillamment "Video Chuck", où Pascal Benoit déroule un scintillant tapis de percussions, absolument sidérant de densité, ou encore "Reality Show", une chanson mécanique à la rythmique quasiment rap, qui dans sa volonté de décrire les perversions d'une société régie par l'image télévisuelle, acquiert une résonnance troublante à l'heure actuelle : "Prenez donc une petite coupe de ciguë/Dites-moi tout de vous/Est-ce qu'on ne se serait pas rencontré vous et moi, déjà, quelque part ?/Par hasard ?/Ça ne vous dit rien/Ça ne vous rappelle rien ?"En tout cas, ce genre de chanson nous rappelle que Kat Onoma préfère l'ironie hautaine et une forme d'allégorisme à la confrontation directe. "No Poem", d'une certaine manière, le confirme : "Do you hear the whistling breeze in your hear ?/(...)It is not a poem/It is just my voice." Sauf que là, l'ironie prend un tour carrément funèbre, la musique s'embourbant dans une noirceur plombée d'angoisse. Totalement à l'opposé, "Bingo" (première contribution littéraire d'Olivier Cadiot pour Kat Onoma) joue la carte de l'ironie fantaisiste : une des rares chansons vraiment déjantées du groupe, la plus humoristique aussi, voix trafiquée et rythmique country-funk déglinguée, elle préfigure les futures hallucinations soniques de "Family Dingo" sur le dernier album.

Disque à la tonalité sombre comme on l'a dit, "Far from the pictures" ne s'enlise cependant jamais dans les sables mouvants de la neurasthénie. Les seuls morceaux suffisamment lents pour engendrer un climat dépressif apparaissent plutôt comme de brefs intermèdes entre les combats : "A Sad Tale" et la reprise de "Blue Velvet", embellie par Burger à l'harmonium, s'éteignent au bout d'1mn30. Au contraire, un souffle épique anime certaines chansons ("Le Déluge", "John and Mary", "Missing Shadow Blues"). L'épique selon Kat Onoma ? Une emphase réfrénée, une ardeur belliqueuse dérivée, une raideur qui s'assouplit, bref, un cheval fougueux sévèrement maintenu en bride. En ce sens, "Le Déluge (d'après moi)" est épique, petit frère apocalyptique de "The Radio" au texte magistral : "Je partirai à l'heure/Où blêmit ma compagne/En larmes on s'appelle/Pourvu qu'on dessale/A l'eau mon amante tu ondules/Tu souris jaune, ma souris blanche/J'ai vu qu'il t'a plu des ions des yeux/Voilà que la science dépasse l'affliction." Epique, "John and Mary" l'est tout autant. Epique et... ironique, comme il se doit : sur un groove froid rehaussé par son piano wurlitzer, Rodolphe Burger se livre à un duo avec la troublante Rebecca Pauly, tous les deux commentant avec une distance affectée la passion de deux amants qui s'entretuent suite à une méprise. Quand romantisme tragique rime avec absurdité, on obtient un cocktail détonnant d'adrénaline, et l'un des morceaux les plus efficaces de la discographie des Strasbourgeois. Leur propre "Bonnie and Clyde", en quelque sorte...

Mais cet album ne serait pas aussi somptueux sans deux superbes ballades, les deux perles rayonnant au cœur du volcan. "La Chambre", d'abord. Comme s'il réalisait une peinture chinoise, le groupe trace la mélodie d'un trait aussi plein que léger, sans oublier de dessiner le vide et le silence tout autour. Rarement le minimalisme et l'ambiguïté auront fait aussi bon ménage, donnant naissance à un modèle de chanson intimiste, chanson d'automne en apesanteur entre la douceur et un érotisme voilé, abstrait. Le phrasé mi-parlé mi-chanté de Rodolphe Burger magnifie cette déambulation intérieure qui s'achève avec les soupirs mélancoliques de la trompette... "A Birthday", ensuite, sur un texte du poète Robert Creeley. Tout est parfait dans ce morceau à la magie ultime : la densité des entrelacs entre la guitare blessée de Burger (parfois cousine de celle de Neil Young) et les arpèges aquatiques de Poirier, la finesse des cymbales, la basse plus profonde que jamais, mais aussi les accents de tendresse perçant dans la voix du chanteur, qui a rarement été aussi chaude et émouvante. "A Birthday", c'est Kat Onoma au sommet de son art d'orfèvrerie, capable comme personne de mêler tristesse plombante et douceur céleste, de brasser désespoir et réconfort pour dérouler une tenture musicale qui envoûte l'auditeur. Un scintillement de beauté pure, un morceau indescriptible pour conclure un disque très très impressionnant...
Excellent !   18/20







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