Kanye West
Ye |
Label :
GOOD Music |
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Ça fait maintenant des années que Kanye Omari West ne peut plus faire un pas hors de chez lui sans déclencher une quelconque controverse ou lancer une mode. Ces derniers temps, le gars a tellement ouvert sa gueule qu'on pourrait passer des pages à commenter ses tweets. Mais c'est là le piège. Kanye, depuis grosso merdo My Beautiful Dark Twisted Fantasy, s'est assuré que sa grosse baudruche qui lui sert d'ego se retrouve au centre de sa musique. De ce fait, on peut difficilement parler de la musique en décidant d'ignorer tout de l'homme... Et ça n'est pas nécessairement un mal, il a bâti un nombre impressionnant de chefs-d'oeuvre autour de son image de colosse aux pieds d'argile. Pour autant, cette année les discussions autour du personnage public ont largement dominé celles autour de sa musique, éclipsant cette dernière. J'aimerais laisser le décorticage du foin politico-médiatique à nos amis de chez BFM et passer directement à ye.
ye, ça peut être Kanye, qui s'adresse à lui-même, un dialogue intérieur entre deux parties de lui-même, deux humeurs - lui qui s'est déclaré bipolaire peu avant la sortie de l'album. Difficile de ne pas le voir comme une sorte de journal intime auquel on aurait arraché quelques pages à la volée pour en tirer à peine 23 minutes de musique, des pensées confuses agencées à la va-vite avec un mixage approximatif. De manière compréhensible, quand il n'était pas snobé par les gens bien propres sur eux pour des raisons politique(ment correctes)s, ye s'est fait critiquer pour avoir été torché trop vite, achevé le matin même de la release party organisée dans le Wyoming (avec la pochette qui a été photographiée sur le trajet !). Mais c'est un album qui, précisément, n'aurait pas pu mieux exprimer ce qu'il avait à exprimer qu'en le faisant dans l'urgence. D'une manière générale, tel un Wazoo devant son mémoire de fin d'étude, Kanye semble être devenu incapable de fonctionner autrement qu'en faisant tout le boulot à la dernière minute, au moins depuis Yeezus (en 2013). On l'avait déjà senti dans la manière dont The Life of Pablo était paru ; une première version brouillon, que a été retravaillée de mois en mois pour arriver sur une version finale. Comme s'il avait décidé de se jeter à l'eau une première fois, avant de se raviser par la suite pour transformer le brut en poli. Mais sur ye il prend le taureau par les cornes et se présente sans tout enjoliver, sans tout romantiser (ce qu'il faisait à l'excès dans le massif My Beautiful Dark Twisted Fantasy, dont ye se pose comme l'antithèse).
"I Thought About Killing You". Le ton est donné ; monologue intérieur paradoxal et dérangeant à souhait, tant dans les paroles que dans la manière dont Kanye joue avec sa voix, la rendant plus grave, puis plus aiguë. L'adresse est ambiguë, désir de suicide ou d'homicide, jeu sur les mots... Tandis que les choeurs déformés répètent inlassablement leur étrange mélopée, faite de "I know I know I know I knooow". Beau, gênant, fragile et vantard, Kanye dans un mouchoir de poche. "Dis les choses à voix haute, juste pour voir ce que ça fait". Cette petite phrase pourrait résumer tout l'ethos Ye-ien ; balancer ce qui vient, en apprécier les effets sans le moindre soucis des retombées et des dommages collatéraux, et recommencer. Comme mené par cette volonté de ne rien soupeser, de dire tout ce qui lui passe par la tête pour les coucher sur bandes comme on fige nos états d'âme sur le papier, Kanye propose 7 pistes dont chacune semble être une nouvelle facette de sa personnalité multipolaire. "Yikes" est l'arrogance shootée aux opiacés et le sentiment de toute puissance (Kanye n'est pas le dernier à se faire appeler Dieu après tout), la basse est grondante et les samples sexy et entêtants. "All Mine" serait le retour de bâton, le moment où Kanye s'oublie et se vautre dans le stupre, balance des punchlines génialement stupides, son horizon est saturé de paires de fesses tandis que Ty Dolla Sign offre un refrain hanté d'une voix souple et glaçante et que la production minimale donne l'impression d'une boîte de nuit remplie de vide sur lequel rebondit sèchement l'ego fracturé du Ye. Sur "Wouldn't Leave" il rend grâce à sa femme (qui était à deux doigts de claquer la porte suite aux frasques de son mari, paraît-il) sur une instru soul R&B flottante, sur le fil entre la grâce et la niaiserie. "No Mistake", portée par une instru fière, montre un Kanye de retour de rehab et prêt à rappeler qui est le patron. Sur l'incroyable "Ghost Town", la chanteuse 070 Shake crève l'écran avec son outro galvanisante, entre gospel et rock, et "Violent Crimes" voit Kanye tenter maladroitement de protéger sa fille de ses retours de karma, une effusion paternaliste attendrissante sur fond d'instru vaporeuse (et encore une fois, 070 Shake est royale, chanteuse à suivre de très près).
ye ça peut aussi s'entendre comme un "you", où il s'adresse à ses auditeurs sans ambages, sans la sophistication dont il essaie tant et si bien de se débarrasser qu'il en est venu à programmer 5 albums dont il assure la production, qui sont sortis à une semaine d'intervalle (Pusha T, Kids See Ghosts, Nas, Teyana Taylor et bien sûr Kanye en solo) et dont la production sent l'instinct et l'arrache, la volonté de faire vite et simple, torché dans le bon sens du terme. Le genre de défi idiot qui, bien utilisé, peut être source de créativité. Et Kanye est excellent lorsqu'il s'enferme en studio dans ces conditions. Le résultat, au delà d'un gimmick de chiffres (5 albums de 7 morceaux chacun, ou presque) ou de production (sampling minimal et frontal), c'est, dans le cas particulier de ye : un Kanye à notre taille. On a eu l'épopée bigger than life MBDTF, le Je-Suis-Un-Dieu de Yeezus, et depuis TLoP le visage du monstre devient de plus en plus identifiable. Entendre Kanye s'exciter et faire le coq au sein d'instrus si minimales, dans un espace au son brut, presque lo-fi par endroits, ça ne fait que le rendre plus riquiqui. L'entendre proclamer "That's my bipolar shit, nigga, what? That's my superpower, nigga, ain't no disability. I'm a superhero! I'm a superhero!" dans ce contexte ne fait que le rendre plus risible. Et donc, humain après tout.
ye, ça peut être Kanye, qui s'adresse à lui-même, un dialogue intérieur entre deux parties de lui-même, deux humeurs - lui qui s'est déclaré bipolaire peu avant la sortie de l'album. Difficile de ne pas le voir comme une sorte de journal intime auquel on aurait arraché quelques pages à la volée pour en tirer à peine 23 minutes de musique, des pensées confuses agencées à la va-vite avec un mixage approximatif. De manière compréhensible, quand il n'était pas snobé par les gens bien propres sur eux pour des raisons politique(ment correctes)s, ye s'est fait critiquer pour avoir été torché trop vite, achevé le matin même de la release party organisée dans le Wyoming (avec la pochette qui a été photographiée sur le trajet !). Mais c'est un album qui, précisément, n'aurait pas pu mieux exprimer ce qu'il avait à exprimer qu'en le faisant dans l'urgence. D'une manière générale, tel un Wazoo devant son mémoire de fin d'étude, Kanye semble être devenu incapable de fonctionner autrement qu'en faisant tout le boulot à la dernière minute, au moins depuis Yeezus (en 2013). On l'avait déjà senti dans la manière dont The Life of Pablo était paru ; une première version brouillon, que a été retravaillée de mois en mois pour arriver sur une version finale. Comme s'il avait décidé de se jeter à l'eau une première fois, avant de se raviser par la suite pour transformer le brut en poli. Mais sur ye il prend le taureau par les cornes et se présente sans tout enjoliver, sans tout romantiser (ce qu'il faisait à l'excès dans le massif My Beautiful Dark Twisted Fantasy, dont ye se pose comme l'antithèse).
"I Thought About Killing You". Le ton est donné ; monologue intérieur paradoxal et dérangeant à souhait, tant dans les paroles que dans la manière dont Kanye joue avec sa voix, la rendant plus grave, puis plus aiguë. L'adresse est ambiguë, désir de suicide ou d'homicide, jeu sur les mots... Tandis que les choeurs déformés répètent inlassablement leur étrange mélopée, faite de "I know I know I know I knooow". Beau, gênant, fragile et vantard, Kanye dans un mouchoir de poche. "Dis les choses à voix haute, juste pour voir ce que ça fait". Cette petite phrase pourrait résumer tout l'ethos Ye-ien ; balancer ce qui vient, en apprécier les effets sans le moindre soucis des retombées et des dommages collatéraux, et recommencer. Comme mené par cette volonté de ne rien soupeser, de dire tout ce qui lui passe par la tête pour les coucher sur bandes comme on fige nos états d'âme sur le papier, Kanye propose 7 pistes dont chacune semble être une nouvelle facette de sa personnalité multipolaire. "Yikes" est l'arrogance shootée aux opiacés et le sentiment de toute puissance (Kanye n'est pas le dernier à se faire appeler Dieu après tout), la basse est grondante et les samples sexy et entêtants. "All Mine" serait le retour de bâton, le moment où Kanye s'oublie et se vautre dans le stupre, balance des punchlines génialement stupides, son horizon est saturé de paires de fesses tandis que Ty Dolla Sign offre un refrain hanté d'une voix souple et glaçante et que la production minimale donne l'impression d'une boîte de nuit remplie de vide sur lequel rebondit sèchement l'ego fracturé du Ye. Sur "Wouldn't Leave" il rend grâce à sa femme (qui était à deux doigts de claquer la porte suite aux frasques de son mari, paraît-il) sur une instru soul R&B flottante, sur le fil entre la grâce et la niaiserie. "No Mistake", portée par une instru fière, montre un Kanye de retour de rehab et prêt à rappeler qui est le patron. Sur l'incroyable "Ghost Town", la chanteuse 070 Shake crève l'écran avec son outro galvanisante, entre gospel et rock, et "Violent Crimes" voit Kanye tenter maladroitement de protéger sa fille de ses retours de karma, une effusion paternaliste attendrissante sur fond d'instru vaporeuse (et encore une fois, 070 Shake est royale, chanteuse à suivre de très près).
ye ça peut aussi s'entendre comme un "you", où il s'adresse à ses auditeurs sans ambages, sans la sophistication dont il essaie tant et si bien de se débarrasser qu'il en est venu à programmer 5 albums dont il assure la production, qui sont sortis à une semaine d'intervalle (Pusha T, Kids See Ghosts, Nas, Teyana Taylor et bien sûr Kanye en solo) et dont la production sent l'instinct et l'arrache, la volonté de faire vite et simple, torché dans le bon sens du terme. Le genre de défi idiot qui, bien utilisé, peut être source de créativité. Et Kanye est excellent lorsqu'il s'enferme en studio dans ces conditions. Le résultat, au delà d'un gimmick de chiffres (5 albums de 7 morceaux chacun, ou presque) ou de production (sampling minimal et frontal), c'est, dans le cas particulier de ye : un Kanye à notre taille. On a eu l'épopée bigger than life MBDTF, le Je-Suis-Un-Dieu de Yeezus, et depuis TLoP le visage du monstre devient de plus en plus identifiable. Entendre Kanye s'exciter et faire le coq au sein d'instrus si minimales, dans un espace au son brut, presque lo-fi par endroits, ça ne fait que le rendre plus riquiqui. L'entendre proclamer "That's my bipolar shit, nigga, what? That's my superpower, nigga, ain't no disability. I'm a superhero! I'm a superhero!" dans ce contexte ne fait que le rendre plus risible. Et donc, humain après tout.
Excellent ! 18/20 | par X_Wazoo |
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