Bonny Doon

Bonny Doon

Bonny Doon

 Label :     Salinas 
 Sortie :    vendredi 10 mars 2017 
 Format :  Album / CD  Vinyle  Numérique   

Bien sûr que c'était mieux avant. Quel frisson de parcourir les allées de sa médiathèque la plus proche à la recherche de la perle rare. De feuilleter la presse musicale en se laissant attirer par les jolies pochettes et les bonnes notes comme un papillon devant la flamme. De pouvoir se la péter devant ses amis mélomanes en disant "je viens de découvrir un petit groupe sympatoche" et afficher la même fierté qu'un explorateur ayant découvert un nouveau continent. Aujourd'hui, l'accès à la musique est illimité et on fait moins les malins. Il suffit d'un algorithme Spotify pour être le nouveau Magellan.

L'indie kid installe le logiciel et, s'il est normalement constitué, il écoutera d'emblée la discographie du Velvet Underground. Grâce à la rubrique "Artistes Similaires", il sera redirigé vers les œuvres solos de Lou Reed et de Jonathan Richman, son disciple sucré. Tout ce que New York a produit de lo-fi et twang s'offrira à lui en quelques clics. Il s'abonnera aux flux des nouveaux petits princes du mouvement et sera tenu au courant du moindre single sorti par Kurt Vile ou Kevin Morby. Après sa 48ème écoute de Wakin on a Pretty Daze (et il saura le nombre exact grâce aux statistiques du plug-in Last.fm), il laissera la radio aléatoire de Spotify lui présenter le reste de la famille. Le tonton Cass McCombs. La cousine germaine Courtney Barnett, exilé en Australie. Sam Cohen le grand frère et Anna St. Louis, la petite sœur.

Et peu à peu, à force de naviguer entre New York et L.A. et de se nourrir au biberon du Woodsist, on atterrira à Detroit. Plutôt que de s'attarder sur les sites touristiques les plus fréquentés, on évitera le cirque Jack White et, en bon hipster, on ira explorer des allées plus obscures. Jusqu'à faire la rencontre de Bonny Doon. Au début, on clique parce que ça ressemble drôlement à Danny Boon. Leur profil dévoile une biographie minimaliste - quatuor formé en 2014, garage pop laconique avec soupçon de country lo-fi - et nous informe que 26 000 personne écoutent ce groupe tous les mois. C'est suffisamment peu pour avoir l'impression d'appartenir à un club secret. Le même club qui a dû acheter les premières cassettes de Bonny Doon sorties en 2015 sur le label Like Life, également fournisseur d'Anna Burch qui était dans votre playlist "Découvertes de la semaine" récemment.

Si l'on veut prétendre qu'il s'agit de notre nouveau groupe préféré, il est temps d'aller enquêter sur Google. Leur Brian Epstein s'appelle Fred Thomas, leader de Saturday Looks Good to Me et dealer incontournable de la scène indé du Midwest. Après une série d'EP balancés dans les méandres de Bandcamp, c'est lui qui a réunit les quatre musiciens en studio pour enregistrer leur premier album éponyme. Copions-collons leurs noms : Bill Lennox chante, Bobby Colombo joue de la guitare, Josh Brooks de la basse et Jake Kmiecik est derrière la batterie. Pour connaître leurs influences, il suffit de remonter le fil de vos "artistes similaires" du camarade Morby au copain Vile à tonton Richman jusqu'au Velvet. Pour parler de leur musique, on peut emprunter quelques mots à Pitchfork qui leur colle une note de 7.4 et la compare à une soirée d'été décontractée ou ressortir les formules de Magic RPM et dire à quel point Bonny Doon amène le soleil de Californie sur la pluvieuse Detroit (même que la chanson "Never Been to California" enfonce le clou et mâche le travail des journalistes).

Super, on enregistre l'album dans nos favoris et puis on l'oubliera et puis l'algorithme le ressortira par hasard lors d'une ballade printanière. C'est pour ça qu'on peut comparer Spotify à Tinder. C'est là qu'en plus d'un simple match, il y aura coup de foudre. Après quelques échanges de politesses, on tombera sous le charme dès le troisième morceau, "What Time Is It in Portland" - on sait que Portland est la capitale du cool. Le riff de "Lost My Way" nous rappellera le parfum de nos ex les plus inoubliables : The Babies, The Modern Lovers et, encore et toujours, The Velvet Underground, le premier amour. La voix de Lennox a la même nonchalance que celle d'Andrew Savage (Parquet Courts), votre dernier coup d'un soir. Alors on passe la nuit en compagnie de Bonny Doon qui, en piquant ses techniques de drague à Real Estate, nous aura définitivement conquis avec la tendre sérénade "I See You". Ça valait le coup rien que pour jouir sur "Evening All Day Long" en pensant secrètement à Pavement. On s'endormira sur "Crowded" en rêvant de Galaxie 500 et Yo La Tengo, de tous ces "artistes similaires" que l'on pourra name-droppé quand il faudra vanter les mérites de notre nouveau compagnon. Bien sûr, la romance ne durera pas longtemps. Juste assez pour nous amener au prochain flirt. Mais quand une notification nous annoncera la sortie d'un nouveau single au titre ironique ("I'm Here, I'm Alive"), il n'est pas impossible que l'on rechute.

Sans Spotify, jamais un petit gars de province comme moi ne serait entré en contact avec la scène émergente de Detroit. Sans un webzine comme X-Silence pour faire le lien entre la belle époque des fanzines et le nouveau monde merveilleux de l'Internet, jamais je n'aurais pu endosser à nouveau mon costume d'oracle afin de prêcher la bonne parole. 1968, 1988, 2018, même combat. Ce que l'on cherche finit toujours par nous trouver. L'algorithme est dans nos cœurs. Notre sensibilité s'affine grâce à la tête et aux oreilles et la technologie n'est qu'un moyen de la nourrir. Il suffit d'avoir faim.


Très bon   16/20
par Dylanesque


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