Les Marquises
Lost Lost Lost |
Label :
Lost Recordings |
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"Je me souviens que, lorsque j'arrivais à me sentir optimiste, je soupçonnais l'optimisme d'être, lui aussi, une maladie." Lost Lost Lost, le premier disque de Les Marquises, pourrait résonner comme un écho à cette phrase d'Enrique Vila-Matas dans Explorateurs de l'abîme. La bonne santé ne serait qu'un état provisoire de la maladie, qui se cacherait partout, irriguerait tout en secret. Elle est là, elle attend patiemment. Elle observe en silence, travestie, camouflée derrière les choses les plus anodines. Prête à surgir comme un fauve, imprévisible. Chacun peut la sentir, embusquée derrière lui, menace à la fois indéfinie et écrasante. Elle peut bondir à tout instant et, d'un coup de patte, sans y penser, occire l'innocent. En réalité, personne ne sait plus s'il s'agit d'une maladie mortelle, de la folie, ou d'êtres malfaisants. Ce savoir s'est évanoui. Reste la certitude d'un danger omniprésent et imminent. La musique de Lost Lost Lost porte avec elle ce sentiment d'inquiétante étrangeté. Elle reste bien habillée de repères familiers, régulièrement parsemée de signaux apaisés, presque bucoliques, qui laissent croire à la possibilité de la détente et de la confiance. Ainsi des arpèges de guitare et des cris d'hirondelles à l'entame de "This Carnival of Lights". Mais la rythmique arrive comme une lame de fond, qui s'étend partout. Denses, puissantes, incessantes, les boucles de batterie instillent la tension et l'anxiété dans la plupart des morceaux. Dès "Only Ghosts", le rythme est là, comme une transe, qui balaie tout sur son passage. Comme un orage qui libère une colère sortie des entrailles de la terre. Superposés sur cette couche de percussions, les cuivres, claviers et autres enregistrements sont filtrés, distordus, concassés, installant un climat d'attente presque angoissée ("Comme Nous Brûlons"). Toutefois, alors qu'elle pourrait paraître rebutante, cette musique de masques et de faux-semblants fascine, car elle manifeste une beauté déroutante, presque irréelle, hors du monde. Elle parle d'un ailleurs radical, pourtant déjà présent ici et maintenant.
S'il s'agit d'un premier album, Lost Lost Lost n'en est pas moins l'œuvre de musiciens expérimentés. Présenté comme le véhicule à géométrie variable de Jean-Sébastien Nouveau, Les Marquises succède à Immune, après deux albums prometteurs aux fortes réminiscences de Hood, et à Recorded Home, sorte de parenthèse folk lo-fi. Même s'il est allé chercher Jonathan Grandcollot à la batterie et aux percussions, Jean-Sébastien Nouveau poursuit la route entamée avec Immune, en faisant appel à son frère Julien à la guitare acoustique et à Martin Duru aux claviers. Enfin, touché par sa voix dans les disques de Minus Story, Jean-Sébastien Nouveau a demandé à l'américain Jordan Geiger d'interpréter les paroles et les mélodies qu'il a écrites pour l'album. Plus proche de l'énergie brute et de la beauté timide de Minus Story que de ce qu'il a commencé en 2008 dans Hospital Ships, son aventure solo, Jordan Geiger laisse entendre ici une voix au bord de la rupture, parfois à la limite du faux. Ce parti pris peut perturber lors des premières écoutes, mais au fil du temps il apparaît comme un bon moyen de traduire la fragilité et l'isolement. Sa voix ne constitue d'ailleurs qu'un ingrédient d'un album construit comme un ensemble cohérent. Ainsi, la solitude et l'insularité ressortent tout autant des deux instrumentaux de l'album, que ce soit dans l'ambient lunaire de "La Terra Trema", proche du Labradford de Mi Media Naranja, ou dans la fièvre de "Comme Nous Brûlons".
Album ambitieux, Lost Lost Lost témoigne d'une volonté de créer des ponts entre différents types d'expression artistique, qui seraient comme autant de facettes d'un même univers. Faisant éclater les frontières là où il n'en voit pas, le groupe multiplie les liens avec d'autres œuvres, dans une démarche globale. Inspiré de l'œuvre picturale d'Henry Darger (1892-1973), Realms of the Unreal, Lost Lost Lost s'essaie à traduire en musique le flot de cet univers en treize volumes. L'album réussit d'ailleurs très bien à illustrer l'ambiance des quelques 15000 pages et 300 compositions de ce peintre et écrivain autodidacte américain, rattaché à l'art brut. Dans ces mélanges d'aquarelles, de dessins, de découpages et de collages, sept princesses, les Vivian Girls, s'ébattent dans ce qui apparaît d'abord comme un royaume féérique, presque paradisiaque. Mais la menace est partout présente, à la fois évidente et ambigüe : hommes en uniforme pointant leur fusil sur elles, sacrifices de jeunes filles pendues ou éviscérées, etc. Ce n'est pas le seul lien avec la peinture, puisque la couverture de l'album, bien ajustée à l'univers de Darger, est réalisée par l'artiste américaine Sarah Gamble. Mais Les Marquises ne s'est pas arrêté là, en faisant monter une vidéo en bichromie pour chacun des six morceaux de Lost Lost Lost, et en faisant remixer l'album par d'autres (Angil, Acetate Zero, Olivier Mellano, etc.).
Au global, habité par l'oeuvre d'Henry Darger jusqu'à susciter l'étouffement, Lost Lost Lost n'est peut-être pas exactement à la hauteur de l'enthousiasme soulevé chez certains chroniqueurs à sa sortie. Il constitue cependant un album très singulier, empli d'une beauté insolite. Cohérent et convaincant, il fait souffler un vent de liberté similaire à celui d'autres franc tireurs tels que Hood, Gastr Del Sol ou Matt Elliott. Pour autant, Lost Lost Lost ne se dévoile pas d'un coup. Il demande d'accepter de se laisser emmener, de perdre quelques repères. Mais attention, si vous vous laissez envahir, vous finirez peut-être par vous demander si vous n'êtes pas un peu malades, vous aussi!
S'il s'agit d'un premier album, Lost Lost Lost n'en est pas moins l'œuvre de musiciens expérimentés. Présenté comme le véhicule à géométrie variable de Jean-Sébastien Nouveau, Les Marquises succède à Immune, après deux albums prometteurs aux fortes réminiscences de Hood, et à Recorded Home, sorte de parenthèse folk lo-fi. Même s'il est allé chercher Jonathan Grandcollot à la batterie et aux percussions, Jean-Sébastien Nouveau poursuit la route entamée avec Immune, en faisant appel à son frère Julien à la guitare acoustique et à Martin Duru aux claviers. Enfin, touché par sa voix dans les disques de Minus Story, Jean-Sébastien Nouveau a demandé à l'américain Jordan Geiger d'interpréter les paroles et les mélodies qu'il a écrites pour l'album. Plus proche de l'énergie brute et de la beauté timide de Minus Story que de ce qu'il a commencé en 2008 dans Hospital Ships, son aventure solo, Jordan Geiger laisse entendre ici une voix au bord de la rupture, parfois à la limite du faux. Ce parti pris peut perturber lors des premières écoutes, mais au fil du temps il apparaît comme un bon moyen de traduire la fragilité et l'isolement. Sa voix ne constitue d'ailleurs qu'un ingrédient d'un album construit comme un ensemble cohérent. Ainsi, la solitude et l'insularité ressortent tout autant des deux instrumentaux de l'album, que ce soit dans l'ambient lunaire de "La Terra Trema", proche du Labradford de Mi Media Naranja, ou dans la fièvre de "Comme Nous Brûlons".
Album ambitieux, Lost Lost Lost témoigne d'une volonté de créer des ponts entre différents types d'expression artistique, qui seraient comme autant de facettes d'un même univers. Faisant éclater les frontières là où il n'en voit pas, le groupe multiplie les liens avec d'autres œuvres, dans une démarche globale. Inspiré de l'œuvre picturale d'Henry Darger (1892-1973), Realms of the Unreal, Lost Lost Lost s'essaie à traduire en musique le flot de cet univers en treize volumes. L'album réussit d'ailleurs très bien à illustrer l'ambiance des quelques 15000 pages et 300 compositions de ce peintre et écrivain autodidacte américain, rattaché à l'art brut. Dans ces mélanges d'aquarelles, de dessins, de découpages et de collages, sept princesses, les Vivian Girls, s'ébattent dans ce qui apparaît d'abord comme un royaume féérique, presque paradisiaque. Mais la menace est partout présente, à la fois évidente et ambigüe : hommes en uniforme pointant leur fusil sur elles, sacrifices de jeunes filles pendues ou éviscérées, etc. Ce n'est pas le seul lien avec la peinture, puisque la couverture de l'album, bien ajustée à l'univers de Darger, est réalisée par l'artiste américaine Sarah Gamble. Mais Les Marquises ne s'est pas arrêté là, en faisant monter une vidéo en bichromie pour chacun des six morceaux de Lost Lost Lost, et en faisant remixer l'album par d'autres (Angil, Acetate Zero, Olivier Mellano, etc.).
Au global, habité par l'oeuvre d'Henry Darger jusqu'à susciter l'étouffement, Lost Lost Lost n'est peut-être pas exactement à la hauteur de l'enthousiasme soulevé chez certains chroniqueurs à sa sortie. Il constitue cependant un album très singulier, empli d'une beauté insolite. Cohérent et convaincant, il fait souffler un vent de liberté similaire à celui d'autres franc tireurs tels que Hood, Gastr Del Sol ou Matt Elliott. Pour autant, Lost Lost Lost ne se dévoile pas d'un coup. Il demande d'accepter de se laisser emmener, de perdre quelques repères. Mais attention, si vous vous laissez envahir, vous finirez peut-être par vous demander si vous n'êtes pas un peu malades, vous aussi!
Très bon 16/20 | par Ershibai |
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