Feist

Bruxelles - Belgique [Ancienne Belgique] - jeudi 14 septembre 2023

 Feist
J'ai beau la suivre depuis près de vingt ans, Feist n'avait jamais été une artiste que j'aspirais à voir en live rapidement. Elle faisait plutôt partie de la catégorie "à voir un jour" – le "un jour" pouvant être particulièrement lointain. L'année dernière, quand j'ai appris qu'elle faisait la première partie du concert anversois d'Arcade Fire, je me suis précipité sur les places : comment faire d'une pierre deux coups. Quelle déception quand elle a annoncé renoncer à l'ouverture à cause de la polémique autour de Win Butler, accusé d'agressions sexuelles. Où en est cette histoire aujourd'hui, d'ailleurs ? Probablement nulle part.
Un nouvel album (Multitudes) paraît en avril 2023 et une tournée est annoncée dans la foulée. Je n'hésite pas une seconde à prendre mes places en préventes, malgré un nouvel album raplapla qui ne me séduit pas vraiment.

Honnêtement, je ne m'attendais pas à voir un concert des plus mémorables. Deux jours avant le concert, pourtant, je tombe sur un article du Guardian qui qualifie son concert londonien d'un des meilleurs de l'année : je suis intrigué, mais je ne lis pas la chronique. Je découvrirai le résultat à l'AB.

Quand on arrive dans la salle, une petite scène circulaire, très basse, est posée au centre du parterre. On se masse autour. Le public est très bobo. Au balcon, j'aperçois un journaliste tv belge avec sa femme ou sa maîtresse venus dans le cadre privé. Vers 20h10, les lumières vacillent. Sur le voile qui recouvre complètement la scène principale, on voit apparaitre l'image d'une porte. Elle s'ouvre. Le sol. Des pieds. Des jambes. C'est le parterre de l'AB. Une personne, accroupie, se faufile entre les gens. C'est Feist. Robe blanche et socquettes roses. Elle gagne la petite scène. Elle nous filme avec son smartphone, sourit, parle, plaisante. Elle prend l'une de ses trois guitares posées préalablement sur la scène et débute "The Bad in Each Other". La voix est superbe, le son d'une qualité irréprochable, cristallin. On entend le moindre souffle, le moindre petit déplacement de doigt sur les cordes en métal. Je suis immédiatement charmé par ce que j'entends et par l'atmosphère intime et chaleureuse qu'il règne. "A good man and a good woman", on chante. Après le deuxième morceau, elle recherche un volontaire dans le public à qui confier son smartphone pour filmer. Une Italienne se précipite à côté de nous, face à la scène. Elle ne la choisira pas, ni une certaine Anne-Lise. Finalement, le privilège reviendra à un certain Mark. Feist joue le tendre "The Redwing" : Mark se balade dans le public et filme ce qui se présente à lui. Des gens montrent des photos de chats, de bébés, de paysages sur leur smartphone. Feist poursuit son set acoustique : "Century", "Borrow Trouble"... J'ai le sentiment d'assister à un concert unique : comme un showcase hyper intime où chansons se mêlent avec interaction avec le public, digressions, blagues. Les images projetées depuis son smartphone conduit par Mark montrent Feist en mode kaléidoscope ou l'Ancienne Belgique en toute sobriété et authenticité, parfois même étrangement vidée de ses spectateurs.

Après "A Man Is Not His Song", Mark amène un carnet à Feist. Elle feint la surprise, demande à qui il pourrait être, insiste. Elle se décide à l'ouvrir, au hasard, et récite ce qui s'apparente à un poème. Elle débute, ensuite, "I Took All of My Rings Off" a cappella. Elle descend calmement la scène ; toujours en chantant, elle se faufile dans le public, atteint la scène principale, gravit les marches. La salle est baignée dans l'obscurité quand tout à coup, le voile tombe laissant apparaître un groupe de musiciens derrière elle qui se mettent à l'accompagner. C'est l'enthousiasme le plus total dans le public ; l'intimité silencieuse vient de muer en exaltation turbulente. Une boule à facette perce l'obscurité de ses rayons blancs. On a changé de monde, de concert. Les chansons s'enchaînent, les singles : "My Moon My Man", "I Feel It All". Quelques titres seront plus calmes ("Hiding Out in the Open" ou le très joli "Calling All the Gods" notamment), mais cette deuxième partie est clairement plus énergique. Sur "Any Party", Feist invite Anne-Lise – désignée précédemment "chef de chœur" a joué son rôle : elle grimpe sur la petite scène centrale, bat la mesure pendant qu'on accompagne la Canadienne : "You know I'd leave any party for you/Cause no party's so sweet as a party of two". Baignés dans une lumière rouge, on chante aussi sur "Sea Lion Woman", on clappe des mains. Le concert s'achève par une version arty de "1234".

"Of Womankind" est joué en rappel. Feist se balade dans la fosse, accompagnée d'une cape verte, dont elle se pare ou qu'elle dépose au sol. Grâce à la cape, des effets kaléidoscopiques sont projetés sur le voile-écran. C'est un nouveau joli moment de beauté suspendue que Feist propose. Elle regagne ensuite le devant de la scène principale, devant le voile, pour le second et dernier rappel : "Love Who We Are Meant To". Seule, avec sa guitare, en toute sobriété. Derrière elle, apparaissent des pages, des phrases, des poèmes : on semble être plongé dans le petit cahier de poésie que Mark lui avait apporté tout à l'heure. "In a lonely way" sont les derniers mots visibles. Les dernières notes s'envolent. Ses musiciens et le fameux Mark la rejoignent sur scène. Clap de fin. La lumière se rallume. J'ai le sentiment d'avoir assisté à un de mes plus beaux concerts. Les visages autour sont sincèrement émus, touchés, presque sans voix ; j'ai l'impression que mon sentiment est partagé par beaucoup.


Excellent !   18/20
par Rebecca Carlson


  Photo par Rebecca Carlson


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