Shabazz Palaces
Paris [Le Batofar] - lundi 30 octobre 2017 |
Il y a un truc qui ne colle pas. Je ne suis pas à ma place, ni ici ni ailleurs, et surtout pas en ce moment. J'ai détesté comment ce mec m'a répondu, à propos de cette offre commerciale que l'on rédige ensemble, en co-traitance. C'est moi qui amène l'affaire et il me traite comme de la merde, juste parce que je suis devenu pote avec son chef. Je le soupçonne de faire une crise de jalousie. Alors il laisse entendre que je ne suis pas compétent. Cette situation devrait juste m'énerver, mais j'ai droit à une double peine émotionnelle : ça me fait perdre confiance. C'est con, la confiance, c'est pas une réserve que j'ai pas en stock. Je ne sais vraiment pas si j'ai les compétences pour faire ce travail, je ne sais pas si ce métier, cette posture, ce milieu sont faits pour moi. Voilà comment je commence ma semaine, lorsque, à 9h le lundi, tombe le couperet : un rappel d'anniversaire.
Aujourd'hui M*** a 36 ans. Et j'hésite à lui adresser un message pour son anniversaire. Il y a 3 mois, je suis parti à l'autre bout du monde avec l'éventualité de me marier avec elle - la seule possibilité de vivre régulièrement sur un des deux territoires. Et puis des signaux faibles m'ont enlevé la confiance que j'avais en elle. Alors on a tout laissé tomber, le mariage comme sa venue en France que la décision administrative aurait permis. Ce qui ne m'a pas empêché de vivre un mois agréable et authentique avec elle et son fils. Père par intérim. Un rôle que j'ai pleinement assuré, trop, sans doute : je ne suis toujours pas redescendu, le môme non plus. On est resté en bon terme jusqu'à ce que M*** ait un bad, au moment où elle s'est trouvée salement grippée et fauchée. Elle m'a demandé l'argent que j'avais promis pour assurer la passerelle, le temps qu'elle retrouve un boulot. Je l'aurais donné de bon cœur s'il ne m'avait pas été exigé comme un dû. Je l'ai donné et je n'ai plus communiqué avec elle depuis. Ça fait 6 ou 7 semaines.
Quand je descends du 20ème vers le Batofar, je n'ai toujours pas décidé si j'enverrai un mot à M*** pour son anniversaire. Ce serait un coup à relancer une aventure vouée à l'échec, à créer des illusions alors que elle comme moi avons déjà tant d'effort à fournir pour nous démerder de notre réalité. Les 6 heures de décalage horaire avec le Chili me laissent un peu de temps avant de me décider.
Ça caille, merde. J'attends Pompon. Pompon est un fumeur de première division (ligue 1 on dit maintenant), et il a toujours du matos, à transformer les catcheurs de la WWE en statues du musée Grévin. Il se trouve que tomber sur le cul à grands coups de chlorophylle pourrait me remettre les idées en place. Il se pointe, ravi de se faire un concert. C'est pas tous les jours qu'il s'offre une escapade, avec les gosses qu'il a engendré. Energiques, parait-il. Pompon est dans sa période d'abstinence, pas de flirt avec Marie-Jeanne. Dommage, je vais devoir me remettre les idées en place tout seul.
Le set qui précède Shabazz Palace est pas mal. C'est fou ce que la gamme de fréquence sonore est étendue dans la culture hiphop de notre époque – le type passe du contemporain, à la frontière de l'électro. Quand ça part dans les basses, ce sont des infra-infrabasses. Jamais la carrosserie d'une 4L rabaissée de 1979 n'aurait tenu, à l'époque où on parlait de "tailler en piste" pour dire qu'on allait en discothèque, pour danser et se cogner. La carrosserie de la péniche Batofar semble, elle, supporter les vibrations. Le sol est penché, ce qui me rappelle à mon malaise.
Le public a tout d'une soirée électro, ce qui, pour moi qui apprécie avant tout les concerts de punk fauchés, constitue une expérience sociologique. La pinte de Heineken éventée est à 8€. Ça ne m'incitera par à revenir.
Le set terminé, on prend le temps de discuter avant la tête d'affiche. Ça fait longtemps, très longtemps, que je n'ai pas vue Pompon. On parle de tout, ce qui est très agréable, mais j'ai l'impression que l'on ne va jamais au fond des choses. C'est peut-être juste une impression, et elle vient s'ajouter à mon sentiment d'une existence inachevés.
Shabazz Palace va faire de ce sentiment une sensation. Chaque rythme s'efface dans une nappe de son, supplanté par un nouveau rythme. Chaque mélodie est coupée dans son élan. Le flow n'est ni rythmé par la harangue ni par les vocalises. Chaque chose est entre deux, chaque chose est inaboutie. Le tout est inséré dans un brouhaha entier, plein, enveloppant, comme une traduction urbaine en 2017 de la mélancolie champêtre de Tchaikovski. Les éléments pris à part sont naïfs et clairs, mais l'ensemble est déconnecté des éléments, structuré, certes, mais d'une structuration inaccessible.
Je ne sais pas si j'aime. Je ne sais pas si j'aime la musique, ni l'endroit, ni le moment. Pompon dit "c'est une musique qui aurait nécessité un buvard". Très juste. Sur scène, les deux musiciens sont on-ne-peut-plus à l'aise dans ce joyeux bordel. Ils s'y retrouvent, je pense que tout est parfaitement maitrisé de leur part, ce qui me fait dire que nous ne devons pas avoir le cerveau construit de la même façon. Chacun dispose de samplers, de boites à rythme, de synthés d'enfants. Le type de droite avance des flows hiphop nuancés de haut et bas, avec un talent pour ne pas en faire une mélodie, tandis que celui de gauche chante sporadiquement à contre-temps, avant de se déchainer sur des percus ramenées d'une expédition coloniale. Leur look est quelque part entre l'africanisme des 60s aux US (cette nostalgie inventée et rassembleuse, qui se nourrissait d'une Afrique fantasmée) et les costumes de Lady Gaga. Je ne sais plus trop où j'habite.
Quand je sors, je ne vais pas mieux mais je me sens plus consistant. Je ne sais pas si j'ai aimé mais je satisfais d'avoir entendu quelque chose que je n'avais jamais entendu. On se quitte comme ça, avec Pompon, en se promettant de se revoir. Je reprends le vélo et je rentre, machinalement.
Je cultive cet état de sidération de la péniche à l'appart, de la cuisine au lit, de l'oreiller aux rêves. Je n'ai toujours pas souhaité son anniversaire à M***. Je dors mal.
Au réveil, un message m'attend.
Aujourd'hui M*** a 36 ans. Et j'hésite à lui adresser un message pour son anniversaire. Il y a 3 mois, je suis parti à l'autre bout du monde avec l'éventualité de me marier avec elle - la seule possibilité de vivre régulièrement sur un des deux territoires. Et puis des signaux faibles m'ont enlevé la confiance que j'avais en elle. Alors on a tout laissé tomber, le mariage comme sa venue en France que la décision administrative aurait permis. Ce qui ne m'a pas empêché de vivre un mois agréable et authentique avec elle et son fils. Père par intérim. Un rôle que j'ai pleinement assuré, trop, sans doute : je ne suis toujours pas redescendu, le môme non plus. On est resté en bon terme jusqu'à ce que M*** ait un bad, au moment où elle s'est trouvée salement grippée et fauchée. Elle m'a demandé l'argent que j'avais promis pour assurer la passerelle, le temps qu'elle retrouve un boulot. Je l'aurais donné de bon cœur s'il ne m'avait pas été exigé comme un dû. Je l'ai donné et je n'ai plus communiqué avec elle depuis. Ça fait 6 ou 7 semaines.
Quand je descends du 20ème vers le Batofar, je n'ai toujours pas décidé si j'enverrai un mot à M*** pour son anniversaire. Ce serait un coup à relancer une aventure vouée à l'échec, à créer des illusions alors que elle comme moi avons déjà tant d'effort à fournir pour nous démerder de notre réalité. Les 6 heures de décalage horaire avec le Chili me laissent un peu de temps avant de me décider.
Ça caille, merde. J'attends Pompon. Pompon est un fumeur de première division (ligue 1 on dit maintenant), et il a toujours du matos, à transformer les catcheurs de la WWE en statues du musée Grévin. Il se trouve que tomber sur le cul à grands coups de chlorophylle pourrait me remettre les idées en place. Il se pointe, ravi de se faire un concert. C'est pas tous les jours qu'il s'offre une escapade, avec les gosses qu'il a engendré. Energiques, parait-il. Pompon est dans sa période d'abstinence, pas de flirt avec Marie-Jeanne. Dommage, je vais devoir me remettre les idées en place tout seul.
Le set qui précède Shabazz Palace est pas mal. C'est fou ce que la gamme de fréquence sonore est étendue dans la culture hiphop de notre époque – le type passe du contemporain, à la frontière de l'électro. Quand ça part dans les basses, ce sont des infra-infrabasses. Jamais la carrosserie d'une 4L rabaissée de 1979 n'aurait tenu, à l'époque où on parlait de "tailler en piste" pour dire qu'on allait en discothèque, pour danser et se cogner. La carrosserie de la péniche Batofar semble, elle, supporter les vibrations. Le sol est penché, ce qui me rappelle à mon malaise.
Le public a tout d'une soirée électro, ce qui, pour moi qui apprécie avant tout les concerts de punk fauchés, constitue une expérience sociologique. La pinte de Heineken éventée est à 8€. Ça ne m'incitera par à revenir.
Le set terminé, on prend le temps de discuter avant la tête d'affiche. Ça fait longtemps, très longtemps, que je n'ai pas vue Pompon. On parle de tout, ce qui est très agréable, mais j'ai l'impression que l'on ne va jamais au fond des choses. C'est peut-être juste une impression, et elle vient s'ajouter à mon sentiment d'une existence inachevés.
Shabazz Palace va faire de ce sentiment une sensation. Chaque rythme s'efface dans une nappe de son, supplanté par un nouveau rythme. Chaque mélodie est coupée dans son élan. Le flow n'est ni rythmé par la harangue ni par les vocalises. Chaque chose est entre deux, chaque chose est inaboutie. Le tout est inséré dans un brouhaha entier, plein, enveloppant, comme une traduction urbaine en 2017 de la mélancolie champêtre de Tchaikovski. Les éléments pris à part sont naïfs et clairs, mais l'ensemble est déconnecté des éléments, structuré, certes, mais d'une structuration inaccessible.
Je ne sais pas si j'aime. Je ne sais pas si j'aime la musique, ni l'endroit, ni le moment. Pompon dit "c'est une musique qui aurait nécessité un buvard". Très juste. Sur scène, les deux musiciens sont on-ne-peut-plus à l'aise dans ce joyeux bordel. Ils s'y retrouvent, je pense que tout est parfaitement maitrisé de leur part, ce qui me fait dire que nous ne devons pas avoir le cerveau construit de la même façon. Chacun dispose de samplers, de boites à rythme, de synthés d'enfants. Le type de droite avance des flows hiphop nuancés de haut et bas, avec un talent pour ne pas en faire une mélodie, tandis que celui de gauche chante sporadiquement à contre-temps, avant de se déchainer sur des percus ramenées d'une expédition coloniale. Leur look est quelque part entre l'africanisme des 60s aux US (cette nostalgie inventée et rassembleuse, qui se nourrissait d'une Afrique fantasmée) et les costumes de Lady Gaga. Je ne sais plus trop où j'habite.
Quand je sors, je ne vais pas mieux mais je me sens plus consistant. Je ne sais pas si j'ai aimé mais je satisfais d'avoir entendu quelque chose que je n'avais jamais entendu. On se quitte comme ça, avec Pompon, en se promettant de se revoir. Je reprends le vélo et je rentre, machinalement.
Je cultive cet état de sidération de la péniche à l'appart, de la cuisine au lit, de l'oreiller aux rêves. Je n'ai toujours pas souhaité son anniversaire à M***. Je dors mal.
Au réveil, un message m'attend.
Sympa 14/20 | par Grosprout |
En ligne
371 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages