La Route Du Rock
Saint-Malo [Fort De Saint-Père] - vendredi 18 août 2017 |
La Route du Rock a vingt-sept ans. Dans leur édito, les organisateurs n'ont pas manqué de faire une allusion à cet âge fatal à pas mal de rock stars, mais mon festival fétiche est loin d'être moribond. Au contraire, les bouchées doubles ont été mises pour assurer une programmation royale. Du coup, les pass trois jours se sont vendus comme des chocolatines et, comble du bonheur, la météo s'annonce particulièrement clémente. Ma huitième Route du rock est bien partie pour être la plus intense au niveau des sensations musicales.
Devant l'abondance de biens, il a fallu faire des choix drastiques pour conserver un minimum de vie sociale : j'ai donc fait l'impasse sur la soirée d'ouverture du jeudi à la Nouvelle Vague, malgré la présence des Allah-Las, ainsi que sur l'intégralité des concerts sur la plage, trop pop et/ou électro à mon goût. Pour la première soirée au Fort, je négocie parfaitement la première difficulté, la navette Saint-Malo - Saint-Père, et en attrape une après une attente très raisonnable. Mes potes restés à l'apéro n'auront pas cette chance : cinquante minutes d'attente et une arrivée au début du deuxième groupe. C'est tout de même la première fois en huit ans que je fais ce trajet debout dans un bus de ville en mode heures de pointe parisiennes. Je récupère mon bracelet et j'arrive comme une fleur devant l'entrée 40 mn avant le premier concert... Pour trouver porte close. Les balances ne sont pas terminées, et les spectateurs s'entassent devant les contrôles de sécurité, ayant été incités par les organisateurs à arriver tôt pour ne pas rater la reine Polly Jean, qui leur a imposé un créneau un peu compliqué à gérer : 20h30 un vendredi... Je finis par me faufiler dans le Fort juste à temps pour choper une pinte et me caler devant la petite scène au moment même où Froth s'installe. C'est parti pour quarante minutes de shoegaze-pop mélodique dont les sonorités trahissent une écoute intensive de Slowdive et de My Bloody Valentine. Certes, le côté expérimental des glorieux aînés a quasiment disparu au profit d'un format plus classique et la présence scénique de ces quatre jeunes californiens est un peu limitée, mais le ton est donné : cette vingt-septième édition sera rock et de qualité.
Foxygen enchaîne rapidement sur la grande scène. J'étais un peu perplexe après avoir vu une partie de leur set grand-guignolesque au TINALS 2015, mais je redécouvre un spectacle réjouissant, nourri de la soul hallucinogène des Mad Dogs & Englishmen de Joe Cocker, du glam parodique du Rocky Horror Picture Show et du rockabilly-disco de Grease. Les deux têtes pensantes de Foxygen, Jonathan Rado, le pianiste-guitariste hirsute et habité, et Sam France, le frontman charismatique et exhibitionniste fringué comme Elvis et grimé comme Bowie, occupent chacun leur registre avec intensité. La section de cuivres et la rythmique balancent du bon groove, et Jackie la choriste enchaîne les poses sexy avec la précision et le sourire professionnel d'une hôtesse de l'air des années 70. Pas suffisant pour me donner envie de réécouter leurs albums, mais un show de haute tenue avant la pause.
Il faut en effet un peu de temps pour évacuer le big bazar et installer le dispositif étonnant de la star de la soirée, PJ Harvey, absente depuis 1998 et ardemment courtisée depuis plusieurs années par les programmateurs du festival : pas de batterie rock classique mais deux grosses caisses vintage surplombant une forêt de micros. Une fanfare mortuaire finit par débarquer sur scène en file indienne, neuf croque-morts jouant percussions et cuivres et encadrant Polly et son saxo, vêtue d'une robe noire composée de voiles tenus par un corset en cuir, la tête ornée d'une tiare de plumes noires. Je ne l'avais pas vue depuis ce concert magnifique au Bataclan avec John Parish en 2009, et je pensai m'être plus ou moins désintéressé de sa musique ; pourtant, je reconnais tous les morceaux de ses deux derniers albums, et ils prennent sens dans cette configuration rustique : le saxo baryton me rappelle le son si particulier des défunts Morphine, et les orchestrations folk-goth m'évoquent Sixteen Horsepower. Sauf qu'il y a au milieu de la scène cette femme gracieuse à la gestuelle maîtrisée, parfaitement intégrée dans cet orchestre singulier, et qui chante des chansons magnifiques avec une voix qui me transperce. Quand elle entame "White Chalk", je suis au comble de l'extase. Et quand elle présente ses musiciens, on voit défiler sa brillante carrière : Adam Johnston de Gallon Drunk, Mick Harvey des Bad Seeds, Alain Johannes, accompagnateur-producteur de Josh Homme et Mark Lanegan, et bien évidemment son mentor John Parish. Pas besoin de vous infliger le CV complet de chacun de ces messieurs, ni même celui des cinq que je n'ai pas cités : c'est l'un des plus beaux plateaux que notre diva ait jamais réunis, et ça fonctionne, car il ne s'agit pas de mercenaires mais de proches collaborateurs. Et quand ce casting de rêve enchaîne "Down By The Water" et "To Bring You My Love" avant de conclure sur "River Anacostia", un gospel issu du dernier album, le Fort s'enflamme.
Difficile de passer après une telle démonstration, même pour mon groupe préféré de 2016, Car Seat Headrest. Les quatre gamins de Seattle ne se démontent pas pour autant et balancent un sample criard que le batteur accompagne seul pendant un petit moment, avant que ses trois compères ne le rejoignent et fassent vrombir les guitares. Un début de set bien grunge, qui noie un peu les mélodies et les arrangement, mais qui a le mérite de réveiller une fosse assommée par la solennité de leurs prédécesseurs sur cette même scène. Le set sera bruyant et réjouissant, quoique légèrement frustrant car exempt des surprises auxquelles le quatuor nous avait habitués : pas de reprises de Radiohead, de Frank Ocean, des Pixies ou des Cars, mais tout de même une version enlevée de "Drunk Drivers/Killers Whales", la ballade californienne de leur dernier album, bonifiée par toute cette électricité.
Pas le temps de respirer et voilà déjà les punk-rockers de Idles qui déboulent sur la petite scène. Leur show est puissant et efficace mais je suis tenaillé par la faim et après quelques tergiversations, je finis par me caler dans une des interminables files d'attente des food-trucks. Entre l'affluence record et les problèmes de cashless (merci SFR et sa méga-panne de réseau), cela me prend une bonne partie du set des anglais pour choper un bagel-taboulé fadasse, que je n'ai même pas le temps de faire descendre avec une pinte. Au moins, me voilà revenu restauré devant la grande scène pour l'autre sensation de la soirée : les allumés californiens de Thee Oh Sees. J'ai beau avoir le dos en compote après sept heures debout, difficile de ne pas frétiller devant une telle puissance de feu. Et John Dwyer a beau planquer ses yeux délavés de psychopathe sous une épaisse mèche rousse et ses tatouages sous un innocent marcel à rayures blanches et bleues, sa voix nasillarde et les riffs qui sortent de son imitation Gibson SG transparente feraient pogoter un opossum dépressif. Surtout que pour maintenir cette furia dans les rails, il s'est armé de deux batteurs et d'un bassiste. Ce set de folie place la barre très haut pour son disciple Ty Segall, qui occupera cette même scène le dimanche.
À ce stade, je laisse les fans d'électro et de hip-hop avec Helena Hauff puis DJ Shadow et m'en vais faire la queue pour la navette retour. Il va falloir se remettre de cette première soirée incroyablement dense musicalement mais aussi physiquement : je n'ai jamais vu une telle foule dans ce lieu depuis que je le fréquente. Ça rend les choses un peu éprouvantes mais j'ose espérer que ce succès aidera les organisateurs à nous proposer d'autres soirées de ce calibre.
Devant l'abondance de biens, il a fallu faire des choix drastiques pour conserver un minimum de vie sociale : j'ai donc fait l'impasse sur la soirée d'ouverture du jeudi à la Nouvelle Vague, malgré la présence des Allah-Las, ainsi que sur l'intégralité des concerts sur la plage, trop pop et/ou électro à mon goût. Pour la première soirée au Fort, je négocie parfaitement la première difficulté, la navette Saint-Malo - Saint-Père, et en attrape une après une attente très raisonnable. Mes potes restés à l'apéro n'auront pas cette chance : cinquante minutes d'attente et une arrivée au début du deuxième groupe. C'est tout de même la première fois en huit ans que je fais ce trajet debout dans un bus de ville en mode heures de pointe parisiennes. Je récupère mon bracelet et j'arrive comme une fleur devant l'entrée 40 mn avant le premier concert... Pour trouver porte close. Les balances ne sont pas terminées, et les spectateurs s'entassent devant les contrôles de sécurité, ayant été incités par les organisateurs à arriver tôt pour ne pas rater la reine Polly Jean, qui leur a imposé un créneau un peu compliqué à gérer : 20h30 un vendredi... Je finis par me faufiler dans le Fort juste à temps pour choper une pinte et me caler devant la petite scène au moment même où Froth s'installe. C'est parti pour quarante minutes de shoegaze-pop mélodique dont les sonorités trahissent une écoute intensive de Slowdive et de My Bloody Valentine. Certes, le côté expérimental des glorieux aînés a quasiment disparu au profit d'un format plus classique et la présence scénique de ces quatre jeunes californiens est un peu limitée, mais le ton est donné : cette vingt-septième édition sera rock et de qualité.
Foxygen enchaîne rapidement sur la grande scène. J'étais un peu perplexe après avoir vu une partie de leur set grand-guignolesque au TINALS 2015, mais je redécouvre un spectacle réjouissant, nourri de la soul hallucinogène des Mad Dogs & Englishmen de Joe Cocker, du glam parodique du Rocky Horror Picture Show et du rockabilly-disco de Grease. Les deux têtes pensantes de Foxygen, Jonathan Rado, le pianiste-guitariste hirsute et habité, et Sam France, le frontman charismatique et exhibitionniste fringué comme Elvis et grimé comme Bowie, occupent chacun leur registre avec intensité. La section de cuivres et la rythmique balancent du bon groove, et Jackie la choriste enchaîne les poses sexy avec la précision et le sourire professionnel d'une hôtesse de l'air des années 70. Pas suffisant pour me donner envie de réécouter leurs albums, mais un show de haute tenue avant la pause.
Il faut en effet un peu de temps pour évacuer le big bazar et installer le dispositif étonnant de la star de la soirée, PJ Harvey, absente depuis 1998 et ardemment courtisée depuis plusieurs années par les programmateurs du festival : pas de batterie rock classique mais deux grosses caisses vintage surplombant une forêt de micros. Une fanfare mortuaire finit par débarquer sur scène en file indienne, neuf croque-morts jouant percussions et cuivres et encadrant Polly et son saxo, vêtue d'une robe noire composée de voiles tenus par un corset en cuir, la tête ornée d'une tiare de plumes noires. Je ne l'avais pas vue depuis ce concert magnifique au Bataclan avec John Parish en 2009, et je pensai m'être plus ou moins désintéressé de sa musique ; pourtant, je reconnais tous les morceaux de ses deux derniers albums, et ils prennent sens dans cette configuration rustique : le saxo baryton me rappelle le son si particulier des défunts Morphine, et les orchestrations folk-goth m'évoquent Sixteen Horsepower. Sauf qu'il y a au milieu de la scène cette femme gracieuse à la gestuelle maîtrisée, parfaitement intégrée dans cet orchestre singulier, et qui chante des chansons magnifiques avec une voix qui me transperce. Quand elle entame "White Chalk", je suis au comble de l'extase. Et quand elle présente ses musiciens, on voit défiler sa brillante carrière : Adam Johnston de Gallon Drunk, Mick Harvey des Bad Seeds, Alain Johannes, accompagnateur-producteur de Josh Homme et Mark Lanegan, et bien évidemment son mentor John Parish. Pas besoin de vous infliger le CV complet de chacun de ces messieurs, ni même celui des cinq que je n'ai pas cités : c'est l'un des plus beaux plateaux que notre diva ait jamais réunis, et ça fonctionne, car il ne s'agit pas de mercenaires mais de proches collaborateurs. Et quand ce casting de rêve enchaîne "Down By The Water" et "To Bring You My Love" avant de conclure sur "River Anacostia", un gospel issu du dernier album, le Fort s'enflamme.
Difficile de passer après une telle démonstration, même pour mon groupe préféré de 2016, Car Seat Headrest. Les quatre gamins de Seattle ne se démontent pas pour autant et balancent un sample criard que le batteur accompagne seul pendant un petit moment, avant que ses trois compères ne le rejoignent et fassent vrombir les guitares. Un début de set bien grunge, qui noie un peu les mélodies et les arrangement, mais qui a le mérite de réveiller une fosse assommée par la solennité de leurs prédécesseurs sur cette même scène. Le set sera bruyant et réjouissant, quoique légèrement frustrant car exempt des surprises auxquelles le quatuor nous avait habitués : pas de reprises de Radiohead, de Frank Ocean, des Pixies ou des Cars, mais tout de même une version enlevée de "Drunk Drivers/Killers Whales", la ballade californienne de leur dernier album, bonifiée par toute cette électricité.
Pas le temps de respirer et voilà déjà les punk-rockers de Idles qui déboulent sur la petite scène. Leur show est puissant et efficace mais je suis tenaillé par la faim et après quelques tergiversations, je finis par me caler dans une des interminables files d'attente des food-trucks. Entre l'affluence record et les problèmes de cashless (merci SFR et sa méga-panne de réseau), cela me prend une bonne partie du set des anglais pour choper un bagel-taboulé fadasse, que je n'ai même pas le temps de faire descendre avec une pinte. Au moins, me voilà revenu restauré devant la grande scène pour l'autre sensation de la soirée : les allumés californiens de Thee Oh Sees. J'ai beau avoir le dos en compote après sept heures debout, difficile de ne pas frétiller devant une telle puissance de feu. Et John Dwyer a beau planquer ses yeux délavés de psychopathe sous une épaisse mèche rousse et ses tatouages sous un innocent marcel à rayures blanches et bleues, sa voix nasillarde et les riffs qui sortent de son imitation Gibson SG transparente feraient pogoter un opossum dépressif. Surtout que pour maintenir cette furia dans les rails, il s'est armé de deux batteurs et d'un bassiste. Ce set de folie place la barre très haut pour son disciple Ty Segall, qui occupera cette même scène le dimanche.
À ce stade, je laisse les fans d'électro et de hip-hop avec Helena Hauff puis DJ Shadow et m'en vais faire la queue pour la navette retour. Il va falloir se remettre de cette première soirée incroyablement dense musicalement mais aussi physiquement : je n'ai jamais vu une telle foule dans ce lieu depuis que je le fréquente. Ça rend les choses un peu éprouvantes mais j'ose espérer que ce succès aidera les organisateurs à nous proposer d'autres soirées de ce calibre.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Myfriendgoo |
Photos par François Medaerts
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