Mx-80 Sound
Hard Attack |
Label :
Island |
||||
On est en 1977 à Bloomington dans l'Indiana. MX-80 Sound a sorti quelques mois auparavant un premier EP qui les a brillamment révélés. C'est ainsi que le gros label Island Records les a repérés et a voulu s'occuper de leur premier album. Et cet album le voici, Hard Attack. Un disque vraiment particulier, réellement inclassable.
Premier contact avec l'objet, la pochette. Qu'est-ce que c'est que ce truc??? A l'arrière-plan, un savant en blouse blanche tient le tout premier EP du groupe alors qu'à l'avant une demoiselle floue, carrément lynchienne, semble langoureusement déchirer un rideau de plastique pour nous rejoindre. Une créature sort d'un laboratoire, fruit d'expérimentateurs sans doute pas très nets. Elle-même, on doute franchement de ce qu'elle est ; si on doit s'en inquiéter ou au contraire la laisser venir nous emporter. Sans doute qu'il faut faire avec les deux! Et c'est de la même manière que la musique de MX-80 Sound se présente à nous.
Et là encore, qu'est-ce que c'est que ce truc??? Assurément c'est du rock, une énergie punk, et on continue sur la lancée du premier EP, un jazz-punk mutant, hyperactif, intense et surréaliste. Mais ici, le jazz est bien plus discret. Il existe toujours mais plus diffus. Les cuivres sont notamment moins présents. Il reste du punk donc...enfin c'est bien plus compliqué finalement. Qu'est-ce que c'est que ces solos de guitares ici? Des riffs hard rock là? Quitte à traumatiser le puriste, assurément! Un coup ça s'emballe, on tient le tube! Mais non, à peine la machine embarquée, ça breake, ça casse le rythme et ça contrecarre tout ce que l'auditeur avait prévu. MX-80 Sound c'est ça: ne s'enfermer dans aucune case, dans aucune facilité, dans un but de proposer, créer quelque chose qui ne s'empêche aucune expérimentation, et surtout aucun plaisir. Car dans ce déluge sonore joyeux et aventureux, une chose en ressort en premier lieu: un plaisir ludique qu'a le groupe à tourner dans tous les sens les sons des instruments et les structures de leurs compositions. Il y a un allant hyper enthousiasmant dans ce disque! Et qu'est-ce que ça joue bien! Au final, ils jouent une musique complexe, riche, mais ils ont aussi une volonté d'emporter l'auditeur dans leur monde biscornu. Le disque s'écoute alors malgré tout très facilement, et c'est une semi-prouesse dans cet apparent patchwork au premier abord insaisissable. Ici, tu te prends dans les dents une déflagration math-punk (2 batteurs ça fait un sacré bordel), et là tu atterris dans un lyrisme jazz-rock que n'aurait pas renié King Crimson.
Mais ce bordel hétéroclite est en fait d'une cohésion imparable, et il y a quand même un liant, une base commune. Et ce qu'on comprend au bout du compte, c'est à quel point ce groupe vient du blues. Car dans tous ces brillants jeux de guitare, dans toutes ces compositions alambiquées, on s'aperçoit qu'il s'agit au fond toujours de blues rock. Un blues rock rendu complètement barge, étiré dans tous les sens, une exploration très large de ce son essentiel du début du rock. Et MX-80 Sound va parfois suffisamment loin dans ses délires exploratoires pour carrément préfigurer ce que deviendra le rock à partir des '80s avec en ligne de mire l'avènement du son noise-rock. La guitare de Bruce Anderson est vraiment phénoménale! Le son "noisy" qu'il donne souvent à son jeu renvoie directement au son type des années 90. Un son qui garde justement un fort lien avec le gras du blues. Et ça n'est nullement un hasard si régulièrement la comparaison a été faite avec un certain Duane Denison, guitariste dans The Jesus Lizard.
"Man on the Move" est une superbe entrée en matière, évoquant autant le blues rock des '70s que la noise-rock des 90s. Le lien est fait, le groupe est chronologiquement entre les deux, puisant dans l'un pour annoncer l'autre. Mais le groupe est resté tellement méconnu qu'il est difficile de juger de l'influence réelle qu'il a pu avoir. On a vu Codeine les reprendre, Albini trainer avec un t-shirt "MX-80"... De la même manière, le chant rappelle aussi parfois tellement le chant de Thurston Moore qu'on peut se demander si ce dernier a pu être influencé. On l'a vu récemment citer MX-80 Sound dans un entretien, alors peut-être... Plus loin, "PCBs" lance un semi-groove blues rock, raidi par un croisement avec un jazz-punk punitif. L'influence du Tony Williams Lifetime (groupe jazz rock fondateur centré autour du batteur Tony Williams) n'est pas loin. On recroise ensuite le tube "Tidal Wave" qui était déjà présent sur leur premier EP, morceau jouissif s'il en est, mêlant l'urgence du punk à un blues rock ainsi ragaillardi. "Facts Facts" est une sorte de funk bruitiste, vicieux et pas très normal; ça lorgne du côté des Minutemen, un groupe important des '80s qui a intégré des éléments jazz et '70s dans leur post-punk frontal mais virtuose. Ensuite débarque "You're not Alone" qui débute comme une mitraille jazz-rock à la Lightning Bolt pour changer complètement de cap et finir en balade romantique noisy tout droit sortie d'un Sonic Youth des années 90. Un autre moment dingue du disque, le "Civilized/Demeyes": est-ce que tout ce début math et brutal ça ne renvoie pas déjà à un Dillinger Escape Plan très soft? Un morceau fantastique, à l'ironie cinglante portée par la distanciation snob du chant. "We're so civilized!"
On est donc en 1977, un grand disque vient de paraître, mais c'est finalement en toute discrétion qu'il sera distribué. En effet, le boss de Island Record n'est quant à lui pas fan du groupe que lui a ramené son dénicheur Howard Thompson. Le disque ne sortira donc pas aux USA, mais uniquement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Deux rééditions importantes arriveront bien plus tard. La première en 1995, avec en rajout l'excellent premier EP Big Hits, sur le label Atavistic, réédité encore une fois en 2007 sur Quadruped. Et en 2013 Hard Attack est une nouvelle fois réédité, avec un nouveau mix réalisé par le groupe, et surtout avec un second disque bonus (en version CD) comprenant 22 titres inédits enregistrés à la même époque entre 1976 et 1978. Ce second disque comprend aussi son lot d'excellents morceaux, comme "Rockin' Robots", "House of Cards", le furieux "What the...?", "Fever in the Forest" ou encore "Where is Jane" (et ses airs de Rodan sonic youthien).
C'est ainsi que s'achève la première période de MX-80 Sound dans leur Indiana natal. La prochaine fois, nous les retrouverons toujours en grande forme sur la côte ouest en Californie!
A suivre...
Premier contact avec l'objet, la pochette. Qu'est-ce que c'est que ce truc??? A l'arrière-plan, un savant en blouse blanche tient le tout premier EP du groupe alors qu'à l'avant une demoiselle floue, carrément lynchienne, semble langoureusement déchirer un rideau de plastique pour nous rejoindre. Une créature sort d'un laboratoire, fruit d'expérimentateurs sans doute pas très nets. Elle-même, on doute franchement de ce qu'elle est ; si on doit s'en inquiéter ou au contraire la laisser venir nous emporter. Sans doute qu'il faut faire avec les deux! Et c'est de la même manière que la musique de MX-80 Sound se présente à nous.
Et là encore, qu'est-ce que c'est que ce truc??? Assurément c'est du rock, une énergie punk, et on continue sur la lancée du premier EP, un jazz-punk mutant, hyperactif, intense et surréaliste. Mais ici, le jazz est bien plus discret. Il existe toujours mais plus diffus. Les cuivres sont notamment moins présents. Il reste du punk donc...enfin c'est bien plus compliqué finalement. Qu'est-ce que c'est que ces solos de guitares ici? Des riffs hard rock là? Quitte à traumatiser le puriste, assurément! Un coup ça s'emballe, on tient le tube! Mais non, à peine la machine embarquée, ça breake, ça casse le rythme et ça contrecarre tout ce que l'auditeur avait prévu. MX-80 Sound c'est ça: ne s'enfermer dans aucune case, dans aucune facilité, dans un but de proposer, créer quelque chose qui ne s'empêche aucune expérimentation, et surtout aucun plaisir. Car dans ce déluge sonore joyeux et aventureux, une chose en ressort en premier lieu: un plaisir ludique qu'a le groupe à tourner dans tous les sens les sons des instruments et les structures de leurs compositions. Il y a un allant hyper enthousiasmant dans ce disque! Et qu'est-ce que ça joue bien! Au final, ils jouent une musique complexe, riche, mais ils ont aussi une volonté d'emporter l'auditeur dans leur monde biscornu. Le disque s'écoute alors malgré tout très facilement, et c'est une semi-prouesse dans cet apparent patchwork au premier abord insaisissable. Ici, tu te prends dans les dents une déflagration math-punk (2 batteurs ça fait un sacré bordel), et là tu atterris dans un lyrisme jazz-rock que n'aurait pas renié King Crimson.
Mais ce bordel hétéroclite est en fait d'une cohésion imparable, et il y a quand même un liant, une base commune. Et ce qu'on comprend au bout du compte, c'est à quel point ce groupe vient du blues. Car dans tous ces brillants jeux de guitare, dans toutes ces compositions alambiquées, on s'aperçoit qu'il s'agit au fond toujours de blues rock. Un blues rock rendu complètement barge, étiré dans tous les sens, une exploration très large de ce son essentiel du début du rock. Et MX-80 Sound va parfois suffisamment loin dans ses délires exploratoires pour carrément préfigurer ce que deviendra le rock à partir des '80s avec en ligne de mire l'avènement du son noise-rock. La guitare de Bruce Anderson est vraiment phénoménale! Le son "noisy" qu'il donne souvent à son jeu renvoie directement au son type des années 90. Un son qui garde justement un fort lien avec le gras du blues. Et ça n'est nullement un hasard si régulièrement la comparaison a été faite avec un certain Duane Denison, guitariste dans The Jesus Lizard.
"Man on the Move" est une superbe entrée en matière, évoquant autant le blues rock des '70s que la noise-rock des 90s. Le lien est fait, le groupe est chronologiquement entre les deux, puisant dans l'un pour annoncer l'autre. Mais le groupe est resté tellement méconnu qu'il est difficile de juger de l'influence réelle qu'il a pu avoir. On a vu Codeine les reprendre, Albini trainer avec un t-shirt "MX-80"... De la même manière, le chant rappelle aussi parfois tellement le chant de Thurston Moore qu'on peut se demander si ce dernier a pu être influencé. On l'a vu récemment citer MX-80 Sound dans un entretien, alors peut-être... Plus loin, "PCBs" lance un semi-groove blues rock, raidi par un croisement avec un jazz-punk punitif. L'influence du Tony Williams Lifetime (groupe jazz rock fondateur centré autour du batteur Tony Williams) n'est pas loin. On recroise ensuite le tube "Tidal Wave" qui était déjà présent sur leur premier EP, morceau jouissif s'il en est, mêlant l'urgence du punk à un blues rock ainsi ragaillardi. "Facts Facts" est une sorte de funk bruitiste, vicieux et pas très normal; ça lorgne du côté des Minutemen, un groupe important des '80s qui a intégré des éléments jazz et '70s dans leur post-punk frontal mais virtuose. Ensuite débarque "You're not Alone" qui débute comme une mitraille jazz-rock à la Lightning Bolt pour changer complètement de cap et finir en balade romantique noisy tout droit sortie d'un Sonic Youth des années 90. Un autre moment dingue du disque, le "Civilized/Demeyes": est-ce que tout ce début math et brutal ça ne renvoie pas déjà à un Dillinger Escape Plan très soft? Un morceau fantastique, à l'ironie cinglante portée par la distanciation snob du chant. "We're so civilized!"
On est donc en 1977, un grand disque vient de paraître, mais c'est finalement en toute discrétion qu'il sera distribué. En effet, le boss de Island Record n'est quant à lui pas fan du groupe que lui a ramené son dénicheur Howard Thompson. Le disque ne sortira donc pas aux USA, mais uniquement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Deux rééditions importantes arriveront bien plus tard. La première en 1995, avec en rajout l'excellent premier EP Big Hits, sur le label Atavistic, réédité encore une fois en 2007 sur Quadruped. Et en 2013 Hard Attack est une nouvelle fois réédité, avec un nouveau mix réalisé par le groupe, et surtout avec un second disque bonus (en version CD) comprenant 22 titres inédits enregistrés à la même époque entre 1976 et 1978. Ce second disque comprend aussi son lot d'excellents morceaux, comme "Rockin' Robots", "House of Cards", le furieux "What the...?", "Fever in the Forest" ou encore "Where is Jane" (et ses airs de Rodan sonic youthien).
C'est ainsi que s'achève la première période de MX-80 Sound dans leur Indiana natal. La prochaine fois, nous les retrouverons toujours en grande forme sur la côte ouest en Californie!
A suivre...
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Pab |
En ligne
560 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages