Body/Head
Coming Apart |
Label :
Matador |
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La déchirante dissolution de Sonic Youth en 2011 a laissé un souvenir traumatisant, encore vivace aujourd'hui, et un vide dans le milieu indé. Comment les vétérans du rock pouvaient-ils déposer les guitares ? Après trente excellentes années, jalonnées de quelques albums mythiques et de tournées interminables, on les croyait éternels. Thurston Moore, Kim Gordon, Lee Ranaldo et Steve Shelley, se voyant vieillir, avaient peut-être simplement envie de se lancer pleinement dans de nouveaux projets, sentant que les meilleures années de leur groupe étaient derrière eux ? Non, la raison était tout autre. Une histoire de couple, ou plutôt une histoire de séparation. Thurston Moore et Kim Gordon, l'incarnation du "couple cool" par excellence, et membres fondateurs de Sonic Youth, se séparaient. Thurston avait été conquis par une autre femme, dans l'ombre, et menait une double-vie avec elle depuis quelques années déjà. Dans son autobiographie (Girl in a Band), sortie cette année, Kim Gordon raconte les derniers concerts du groupe et la tension qu'il régnait entre son ex-mari et elle. L'implosion était la seule issue. Et si durant les premières semaines, on nous avait dit que Sonic Youth "was ending for a while", dixit le guitariste Lee Ranaldo, Kim Gordon, elle, parle bien d'une (douloureuse) séparation. Sonic Youth étant de l'histoire ancienne, les ex-acolytes tracent désormais leur route chacun de leur côté.
En 2013, Kim Gordon, cette fois-ci accompagnée du guitariste Bill Nace, avec lequel elle et Thurston avaient déjà travaillé précédemment, annonce la création d'un groupe et la sortie d'un album. Elle explique que la meilleure musique jaillit quand on devient inconscient de son propre corps et qu'on perd la tête, d'où le nom de son nouveau groupe, Body/Head. Kim Gordon renoue ici avec ses premières amours, la no-wave – genre musical d'avant-garde qu'elle a découvert dans les clubs underground qu'elle fréquentait quand elle est arrivée à New York en 1980. Sonic Youth a toujours beaucoup expérimenté et Kim apparaissait volontiers au chant sur les morceaux les plus abstraits du groupe. Cependant, ce que Bill et elle proposent ici est bien plus jusqu'au-boutiste.
Sur Coming Apart, premier opus du duo, il n'y a aucune mélodie, aucun riff reconnaissable. Tout est abstraction. Les morceaux changent de forme et évoluent à mesure que les minutes passent et sont de durée très variable, oscillant entre une minute et près de vingt minutes. Les influences sont diverses : on pense évidemment aux expérimentations de Glenn Branca, mentor de Thurston et Kim, mais aussi au free jazz ou encore aux tout premiers albums de Sonic Youth, Confusion Is Sex et Bad Moon Rising par exemple. Les textes sont influencés par le féminisme, source inépuisable pour Gordon : elle explique que l'album parle beaucoup des rôles des femmes, de leur devoir, leur identité. Cela étant, on ne peut s'empêcher de voir quelques références à sa séparation avec Moore – le morceau "Last Mistress", par exemple. Bien qu'elle prétende avoir trouvé l'inspiration auprès de Catherine Breillat et son film La Vieille Maîtresse, les paroles ("the last mistress/pissing like a dog/territorial marking") ponctuées de "woof! woof!" semblent être directement adressées à Eva Prinz, la compagne de Thurston Moore.
L'album contient également deux adaptations hautement personnelles de morceaux popularisés par Nina Simone, "Ain't Got No/I Got Life" et "Black Is the Colour (Of My True Love's Hair)" rebaptisés sobrement ici "Ain't" et "Black". Dans le premier titre, Nina Simone énumère ce qu'elle n'a pas (argent, maison, chaussures, parfum, amis, mère, éducation, etc.) avant de dire ce qu'elle possède (cheveux, bras, coeur, et ainsi de suite, mais surtout la vie et la liberté). Déconstruit et maltraité par Gordon et Nace, cet hymne hippie revêt ici une dimension théâtrale et dramatique tout à fait étonnante. On passe d'une ritournelle pop/soul et sautillante à un magma expérimental habité par un nihilisme noir. "Black" propose un grand écart plutôt semblable.
Avec Body/Head, Kim Gordon et Bill Nace ne prennent pas leurs auditeurs par la main. La musique est extrêmement expérimentale et abstraite, les guitares sont froides, les larsens sont légion et la voix de Kim, théâtrale, se brise souvent dans un faux désespoir. La musique est exigeante et chaque quart de seconde qui pourrait évoquer un début de mélodie est aussitôt réprimé. La musique est aussi violente et frappe l'auditeur sans prévenir et le déroute sans cesse. Bref, dans un souci de concision, disons simplement que les titres des premier et derniers morceaux de l'album, "Abstract" et "Frontal" illustrent parfaitement l'identité musicale du duo.
En 2013, Kim Gordon, cette fois-ci accompagnée du guitariste Bill Nace, avec lequel elle et Thurston avaient déjà travaillé précédemment, annonce la création d'un groupe et la sortie d'un album. Elle explique que la meilleure musique jaillit quand on devient inconscient de son propre corps et qu'on perd la tête, d'où le nom de son nouveau groupe, Body/Head. Kim Gordon renoue ici avec ses premières amours, la no-wave – genre musical d'avant-garde qu'elle a découvert dans les clubs underground qu'elle fréquentait quand elle est arrivée à New York en 1980. Sonic Youth a toujours beaucoup expérimenté et Kim apparaissait volontiers au chant sur les morceaux les plus abstraits du groupe. Cependant, ce que Bill et elle proposent ici est bien plus jusqu'au-boutiste.
Sur Coming Apart, premier opus du duo, il n'y a aucune mélodie, aucun riff reconnaissable. Tout est abstraction. Les morceaux changent de forme et évoluent à mesure que les minutes passent et sont de durée très variable, oscillant entre une minute et près de vingt minutes. Les influences sont diverses : on pense évidemment aux expérimentations de Glenn Branca, mentor de Thurston et Kim, mais aussi au free jazz ou encore aux tout premiers albums de Sonic Youth, Confusion Is Sex et Bad Moon Rising par exemple. Les textes sont influencés par le féminisme, source inépuisable pour Gordon : elle explique que l'album parle beaucoup des rôles des femmes, de leur devoir, leur identité. Cela étant, on ne peut s'empêcher de voir quelques références à sa séparation avec Moore – le morceau "Last Mistress", par exemple. Bien qu'elle prétende avoir trouvé l'inspiration auprès de Catherine Breillat et son film La Vieille Maîtresse, les paroles ("the last mistress/pissing like a dog/territorial marking") ponctuées de "woof! woof!" semblent être directement adressées à Eva Prinz, la compagne de Thurston Moore.
L'album contient également deux adaptations hautement personnelles de morceaux popularisés par Nina Simone, "Ain't Got No/I Got Life" et "Black Is the Colour (Of My True Love's Hair)" rebaptisés sobrement ici "Ain't" et "Black". Dans le premier titre, Nina Simone énumère ce qu'elle n'a pas (argent, maison, chaussures, parfum, amis, mère, éducation, etc.) avant de dire ce qu'elle possède (cheveux, bras, coeur, et ainsi de suite, mais surtout la vie et la liberté). Déconstruit et maltraité par Gordon et Nace, cet hymne hippie revêt ici une dimension théâtrale et dramatique tout à fait étonnante. On passe d'une ritournelle pop/soul et sautillante à un magma expérimental habité par un nihilisme noir. "Black" propose un grand écart plutôt semblable.
Avec Body/Head, Kim Gordon et Bill Nace ne prennent pas leurs auditeurs par la main. La musique est extrêmement expérimentale et abstraite, les guitares sont froides, les larsens sont légion et la voix de Kim, théâtrale, se brise souvent dans un faux désespoir. La musique est exigeante et chaque quart de seconde qui pourrait évoquer un début de mélodie est aussitôt réprimé. La musique est aussi violente et frappe l'auditeur sans prévenir et le déroute sans cesse. Bref, dans un souci de concision, disons simplement que les titres des premier et derniers morceaux de l'album, "Abstract" et "Frontal" illustrent parfaitement l'identité musicale du duo.
Bon 15/20 | par Rebecca Carlson |
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