Rafter

À première vue ludique, le titre du deuxième album de l'ingénieur de son Rafter Roberts constitue en fait un avertissement on ne peut plus sérieux. Si 10 Songs baignait dans un paisible psychédélisme à base indie-pop/rock teinté d'électro, Music For Total Chickens met à découvert l'imaginaire percutant du multi-instrumentiste californien. Avec plus de 15 collaborateurs, Rafter a autoproduit un véritable ovni, réfractaire à toute classification, qui pourrait se révéler comme les 37 minutes les plus pétillantes ou les plus insupportables de votre journée!

En fait, toutes les lois de l'anatomie électro/pop sont ici bousillées, comme si les compositions avait été balancées dans un broyeur pour en extirper des cisaillements de décibels raboutés les uns aux autres. Sectionné en 18 segments à extrémités imperceptibles, l'album est truffé de brèves interludes électro disjonctées, où les mélodies sont propulsées à rebours, en crescendo psychédélique, en sonorités escarpées, bref, de toutes les manières inimaginables, sauf dans une perspective linéaire. Loin d'être plus conventionnelles, les pièces plus longues empruntent des sentiers tout aussi imprévisibles, malgré quelques brins de mélodies chantées, les paroles incitant à la confrontation de ses tourments intérieurs. Mieux encore, ces hymnes lumineux sont en quelque sorte le mortier du disque, puisqu'ils réussissent à lier les arrangements les plus hétéroclites les uns aux autres et à donner un sens à ce fouillis orchestré de mains de maître.

Avec toute cette expérimentation qui détonne de toute part, la qualité première de ce disque est de conserver un côté accrocheur, sans jamais sombrer dans l'excès. Music For Total Chicken s'adresse néanmoins aux oreilles audacieuses qui sont équipées pour les excursions en terrain miné. Un rare joyau épileptique, rien de moins.