Sheâ Seger
The May Street Project |
Label :
BMG |
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Rien n'est plus stimulant pour un mélomane que d'être éblouis par un disque qu'il a choisi tout à fait au hasard parmi les milliers de galettes entassées chez le disquaire... Ce fut mon cas avec The May Street Project.
La pochette n'éveillait pourtant pas particulièrement l'intérêt : une jolie blonde aux cheveux gras nous fixe d'un regard bovin d'une rare in-expression dans un décor industriel à l'abandon, une petite fille timide portant drapeau et maillot de bain aux couleurs de l'oncle Sam à ses côtés. Plutôt morose. L'esprit de contradiction a du y trouver suffisamment de charme pour lui laisser une chance... La photographie au dos du disque est déjà plus valorisante ; la jolie blonde rêvasse dans l'herbe, le soleil couchant entre ses mains. Quant à l'intérieur du livret, il ressemble davantage à un book de mannequin... La jolie blonde est agréable à regarder, mais pour ce qui est du contenu musical, on s'attend au pire... si on en croit quelques descriptions journalistiques, même à du Sophie Ellis Bextor !
Une fois la machine lancée, la réponse qu'apporte "Last Time" est réconfortante en tous points : une véritable batterie - toutefois régulièrement sabotée avec souplesse, une basse lourde et imposante, guitares et claviers dédiés aux petits ornements, des violons pour la délicatesse... La sensation est bien étrange, parce qu'on sait qu'on écoute là une chanson taillée pour la radio, et pourtant on rechigne à réduire la formule au catalogue FM. Puis en réécoutant attentivement, on découvre tout un tas de petits détails incrustés minutieusement dans l'écoulement du morceau. Les violons bruitistes sur le second couplet ou les harmonies vocales du refrain gonflées par un vocoder (enfin une utilisation supportable et pertinente!) façonnent ainsi le titre pour lui donner ce charme populaire MAIS raffiné qui fait la chanson de valeur.
Et pour piloter ce drôle d'engin, rien de plus parfait que le chant simple et sensuel de Sheâ Seger. De la douceur de Nina Persson, un peu plus grave, libre et fragile, avec un don pour savoir poser de modestes touches d'esprit soul sans se prendre pour une afro-américaine en crachant du riffs and runs. Pas de copier/coller de production, pas de hurlements de diva, pas de pastiche à l'horizon ; tout pour plaire !
L'album dévoile alors une musique moderne hybride très réjouissante et agréable à écouter. Hybride, non dans le sens élitiste ou sur-travaillée ; plutôt pour l'aspect à la fois actuel via l'utilisation de bidouillages studio (boîte à rythmes, boucles, samples...), et rétro par l'esprit baba détendu (le côté intimiste du songwriting folk, et bien sûr, le chant). Une cousine vient assez facilement à l'esprit : Sheâ Seger a Martin Terefe comme Alanis Morissette avait Glen Ballard. Un binôme efficace qui sublime cette petite mécanique folk qu'on dirait marchant à l'énergie solaire. Il est certain qu'on ne peut pas faire musique plus accessible, mais contrairement à la formule commerciale, celle-ci prend la peine d'étaler des idées ou d'installer de l'atmosphère, voire de tordre les titres. "Walk On Rainbows" est une jolie chansonnette d'où s'extrait soudainement une sensation de vertige inquiétante (l'outro), comme Alice basculant dans le pays des merveilles, quand elle ne nous plonge pas frontalement dans sa forêt inquiétante (le pont instrumental)... Bref, on n'est pas chez Nelly Furtado...
L'entraînant "Clutch" et sa ligne de basse imposante est dans cette logique ce à quoi la musique de club devrait ressembler si elle était tout aussi populaire, mais intelligente et inspirée (merci Kenna). "Blind Situation" est aussi l'exemple le plus probant qu'on peut lever à merveille la mayonnaise chanson/hip-hop, avec un refrain suave où deux mots suffisent à une mélodie sensuelle et les ingrédients rappés administrés par Pharrell Williams lui-même, quelques années avant son intronisation en omniprésent Timbaland de service. "Shatterwall" est une relaxante plage à la boucle de chœurs ingénieuse, la convivialité du bluesy "I Can't Lie" nous assis dans un bar texan où tout le monde est d'humeur à chanter (pendant intimiste du "All I Wanna Do" de Sheryl Crow), "May Street" est la "piste d'atterrissage" en spoken words nous déposant en douceur avant le silence radio...
La féminité de la chanteuse transpirant à grosse gouttes, la majorité des textes parlent d'amour. On n'échappe donc pas aux embarcations mielleuses, qui heureusement sont elles aussi parfaitement maîtrisées, et doivent tout au réel travail de production et au chant suave de la texane. De l'irrésistiblement torride "Isn't It Good Tonight" (à l'interlude de cordes magistral), à la chanson d'amour "I Love You Too Much" de plus en plus haletante et son solo noisy, jusqu'à l'enchevêtrement parfait du duo avec Ron Sexsmith sur le pourtant très bisou-bisou "Always", ou au pont cul-cul la pralochissime du bab' "Wasting The Rain" permettant finalement d'encore mieux rebondir sur le refrain... C'est une succession d'appréhensions secourues de satisfactions ("Oula! Où est-ce qu'elle nous emmè... Ha! bien joué!").
Même les regrets sont microscopiques. On n'accordera l'indulgence avec autant de générosité que la belle à sa chanson la plus lassante du disque, certainement grâce à sa bonne humeur ("Twisted (Never Again)"). Quant aux quelques secondes du petit instrumental "Rooftop Animals", elles sont si bonnes qu'on en aurait voulu tout un morceau. Dommage, mais pas de quoi s'enflammer de rancune. Une fois l'album terminé, ce serait plutôt d'admiration.
Pifomètre, hasard ou destin, quoiqu'il en soit il y a définitivement du bon à se risquer de temps en temps à l'aveuglette. La première écoute fut une incroyable surprise, toutes les autres sont depuis des ravissements. Et cinq ans après Jagged Little Pill, voilà une preuve encore plus probante qu'avant d'être un produit, la musique populaire américaine pouvait être aussi riche et intelligente que radiophonique et séduisante.
Comme tu le dis toi-même Sheâ : "I love your touch, and that voodoo that you do so well"!
La pochette n'éveillait pourtant pas particulièrement l'intérêt : une jolie blonde aux cheveux gras nous fixe d'un regard bovin d'une rare in-expression dans un décor industriel à l'abandon, une petite fille timide portant drapeau et maillot de bain aux couleurs de l'oncle Sam à ses côtés. Plutôt morose. L'esprit de contradiction a du y trouver suffisamment de charme pour lui laisser une chance... La photographie au dos du disque est déjà plus valorisante ; la jolie blonde rêvasse dans l'herbe, le soleil couchant entre ses mains. Quant à l'intérieur du livret, il ressemble davantage à un book de mannequin... La jolie blonde est agréable à regarder, mais pour ce qui est du contenu musical, on s'attend au pire... si on en croit quelques descriptions journalistiques, même à du Sophie Ellis Bextor !
Une fois la machine lancée, la réponse qu'apporte "Last Time" est réconfortante en tous points : une véritable batterie - toutefois régulièrement sabotée avec souplesse, une basse lourde et imposante, guitares et claviers dédiés aux petits ornements, des violons pour la délicatesse... La sensation est bien étrange, parce qu'on sait qu'on écoute là une chanson taillée pour la radio, et pourtant on rechigne à réduire la formule au catalogue FM. Puis en réécoutant attentivement, on découvre tout un tas de petits détails incrustés minutieusement dans l'écoulement du morceau. Les violons bruitistes sur le second couplet ou les harmonies vocales du refrain gonflées par un vocoder (enfin une utilisation supportable et pertinente!) façonnent ainsi le titre pour lui donner ce charme populaire MAIS raffiné qui fait la chanson de valeur.
Et pour piloter ce drôle d'engin, rien de plus parfait que le chant simple et sensuel de Sheâ Seger. De la douceur de Nina Persson, un peu plus grave, libre et fragile, avec un don pour savoir poser de modestes touches d'esprit soul sans se prendre pour une afro-américaine en crachant du riffs and runs. Pas de copier/coller de production, pas de hurlements de diva, pas de pastiche à l'horizon ; tout pour plaire !
L'album dévoile alors une musique moderne hybride très réjouissante et agréable à écouter. Hybride, non dans le sens élitiste ou sur-travaillée ; plutôt pour l'aspect à la fois actuel via l'utilisation de bidouillages studio (boîte à rythmes, boucles, samples...), et rétro par l'esprit baba détendu (le côté intimiste du songwriting folk, et bien sûr, le chant). Une cousine vient assez facilement à l'esprit : Sheâ Seger a Martin Terefe comme Alanis Morissette avait Glen Ballard. Un binôme efficace qui sublime cette petite mécanique folk qu'on dirait marchant à l'énergie solaire. Il est certain qu'on ne peut pas faire musique plus accessible, mais contrairement à la formule commerciale, celle-ci prend la peine d'étaler des idées ou d'installer de l'atmosphère, voire de tordre les titres. "Walk On Rainbows" est une jolie chansonnette d'où s'extrait soudainement une sensation de vertige inquiétante (l'outro), comme Alice basculant dans le pays des merveilles, quand elle ne nous plonge pas frontalement dans sa forêt inquiétante (le pont instrumental)... Bref, on n'est pas chez Nelly Furtado...
L'entraînant "Clutch" et sa ligne de basse imposante est dans cette logique ce à quoi la musique de club devrait ressembler si elle était tout aussi populaire, mais intelligente et inspirée (merci Kenna). "Blind Situation" est aussi l'exemple le plus probant qu'on peut lever à merveille la mayonnaise chanson/hip-hop, avec un refrain suave où deux mots suffisent à une mélodie sensuelle et les ingrédients rappés administrés par Pharrell Williams lui-même, quelques années avant son intronisation en omniprésent Timbaland de service. "Shatterwall" est une relaxante plage à la boucle de chœurs ingénieuse, la convivialité du bluesy "I Can't Lie" nous assis dans un bar texan où tout le monde est d'humeur à chanter (pendant intimiste du "All I Wanna Do" de Sheryl Crow), "May Street" est la "piste d'atterrissage" en spoken words nous déposant en douceur avant le silence radio...
La féminité de la chanteuse transpirant à grosse gouttes, la majorité des textes parlent d'amour. On n'échappe donc pas aux embarcations mielleuses, qui heureusement sont elles aussi parfaitement maîtrisées, et doivent tout au réel travail de production et au chant suave de la texane. De l'irrésistiblement torride "Isn't It Good Tonight" (à l'interlude de cordes magistral), à la chanson d'amour "I Love You Too Much" de plus en plus haletante et son solo noisy, jusqu'à l'enchevêtrement parfait du duo avec Ron Sexsmith sur le pourtant très bisou-bisou "Always", ou au pont cul-cul la pralochissime du bab' "Wasting The Rain" permettant finalement d'encore mieux rebondir sur le refrain... C'est une succession d'appréhensions secourues de satisfactions ("Oula! Où est-ce qu'elle nous emmè... Ha! bien joué!").
Même les regrets sont microscopiques. On n'accordera l'indulgence avec autant de générosité que la belle à sa chanson la plus lassante du disque, certainement grâce à sa bonne humeur ("Twisted (Never Again)"). Quant aux quelques secondes du petit instrumental "Rooftop Animals", elles sont si bonnes qu'on en aurait voulu tout un morceau. Dommage, mais pas de quoi s'enflammer de rancune. Une fois l'album terminé, ce serait plutôt d'admiration.
Pifomètre, hasard ou destin, quoiqu'il en soit il y a définitivement du bon à se risquer de temps en temps à l'aveuglette. La première écoute fut une incroyable surprise, toutes les autres sont depuis des ravissements. Et cinq ans après Jagged Little Pill, voilà une preuve encore plus probante qu'avant d'être un produit, la musique populaire américaine pouvait être aussi riche et intelligente que radiophonique et séduisante.
Comme tu le dis toi-même Sheâ : "I love your touch, and that voodoo that you do so well"!
Exceptionnel ! ! 19/20 | par X_YoB |
Note du rédacteur : La version japonaise parue en 2006 contient un (mauvais) remix de "Clutch" par The Neptunes.
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