Vic Godard

What's The Matter Boy ?

What's The Matter Boy ?

 Label :     Rough Trade 
 Sortie :    1980 
 Format :  Album / CD  Vinyle  K7 Audio   

S'il fallait trouver un ancêtre commun sur l'arbre phylogénétique que représenterait le rock indépendant, sans doute faudrait-il citer Vic Godard.
Ce dandy anglais, singulier par sa détermination obstinée à se placer toujours à rebours des modes (toujours dix ans en arrière, juste pour enquiquiner), fait partie des 'beautiful losers', ces types qui n'ont jamais eu de succès mais qui aurait roulé sur l'or et fréquenté un nombre incalculable de groupies hot et sexy s'il y avait eu une justice en ce bas monde. Car la musique de Vic Godard, tout droit sorti du rock le plus primitif tout en restant classieux au possible, contient une élégance telle qu'on peut crier au génie.
Bien qu'issue du sérail punk, Vic Godard s'est érigé en contre-modèle : là où on arborait crête et épingles à nourrice, il préférait les vieux polos et les costumes trois-pièces. Et sa façon de concevoir son rock, en y intégrant des valeurs dont le punk pur et dur voulait faire table rase, fit de lui le point de départ du rock indépendant.
L'histoire (et encore peut-on se permettre d'y mettre un grand H) commence, comme souvent dans ces cas-là, par un concert en 76 des Sex Pistols qui convaincront Vic et ses amis de se lancer eux aussi : Subway Sect était né. Repéré par Malcom McLauren, ils finiront par faire des tournées avec les Clash, les Buzzcoks, The Slits, mais sans sortir des albums. Car Vic Godard, jamais content de lui-même, ne sera pas un client facile. Tandis que les groupes punks jetaient la rébellion dans la rue, Subway Sect cultivait une certaine nostalgie. Voir ces individus, habillés de pull dénichés aux puces, refuser l'agressivité habituelle, aux milieux de ces fous furieux (la légende veut que Malcom McLauren leur réserva la salle du festival 100 clubs d'Oxford toute la journée pour améliorer leur piètre niveau et espérer qu'ils soient à la hauteur le soir même) était un spectacle assez saisissant, qui leur valut une triste réputation de groupe mou et monotone. Seuls quelques fans et journalistes reconnurent le génie de Vic Godard.
Il fallut quatre ans pour que les Subway Sect sortent leur premier album. Celui-ci paraîtra sur un des tout premiers label indépendant de l'histoire : le célèbre Rough Trade. A contre-courant total de l'époque et des attentes, il sera l'occasion d'inviter à la fête toute une frange du rock qu'on croyait avoir jeté aux oubliettes, et c'est sans doute pour cela qu'il appartient à cette classe rare d'album culte.
Accordéon, vieux claviers démodés, piano, groove irrésistible et surtout retour aux années 50, avec du rock n' roll, de la soul, du swing, du jazz, du blues, What's The Matter Boy ? est un incontournable. Vic Godard et les Subway Sect se moquent des convenances et jouent ce qui leur plaisent avec une morgue punk incroyable. Capable d'enchanter tout aussi bien avec une chanson suave, sublimée par sa voix chaude, comme d'électriser le plus improbable délire, avec de mirifiques parties de guitares, Vic Godard séduit par son romantisme punk et son décalage. C'est toute une musique rétro qui va prendre une cure de jouvence grâce à ce crooner impayable. Ce disque est à réhabiliter de toute urgence : il contient là, l'essence même du rock sans attache, sans contrainte, sans préjugés.
Malheureusement, il ne causera que stupeur et consternation dans le monde du punk et de la new-wave. Vic Godard et les siens continueront bien à assurer quelques concerts, avec Pere Ubu notamment, mais ce ne sera pour eux que hués et jets de canettes et tomates (véridique). Pourtant le groupe sait faire preuve d'un véritable sens du cynisme, mais qu'il aura peut-être accompagné d'une sensibilité et d'un raffinement surtout, qui n'était pas du goût de cette époque. Vic Godard présente donc la particularité d'être un des plus grand songwriter des années 80 et d'être un des plus sous-estimés.
Mais ce premier album ne restera pas dans l'ombre, car il sera l'influence numéro un de toute une frange du rock indépendant anglais, à commencer par les groupes du label Postcard. Edwyn Collins (fan absolu du personnage Godard) tombera par hasard sur une cassette de l'album en passant dans les locaux de Rough Trade et le fera écouter à ses amis. Il le dit lui-même, cette musique, à le fois si nouvelle et si rétro, sera une influence majeure, pour lui, son groupe (Orange Juice), Aztec Camera ou bien les Fire Engine. Donc pour tout le rock indépendant anglais des années 80, Smiths et Jesus and Mary Chain (ils reprendront un morceau) et compagnie. Et on peut facilement imaginer que des groupes plus actuels comme Franz Ferdinand n'ont pas du ignorer tout ce qu'il avait pu apporter au rock.
Encore une fois, la légende veut que Vic Godard, par manque de succès et d'argent finit par se retrouver facteur, et cela est peut-être encore vrai aujourd'hui, mais avec ce qu'il a vécu, ce qu'il a traversé (le punk en long, en large et en travers et même derrière), ce qu'il a apporté (sa touche si vieillotte mais si attachante) ce personnage inoubliable mérite d'être reconnu à sa juste valeur : un génie pas comme les autres, dont on sera éternellement reconnaissant d'être né vingt ans plus tard que son temps.


Parfait   17/20
par Vic


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