Redjetson

New General Catalogue

New General Catalogue

 Label :     Drowned In Sound 
 Sortie :    lundi 24 janvier 2005 
 Format :  Album / CD   

Progressivement, insidieusement même, une certaine noirceur indécramponnable s'installe et s'insuffle tout au long de cette musique rêveuse et fantastique qui se décline sous plusieurs formes, voguant sur des humeurs élégiaques comme tempétueuses.
Sans se faire remarquer, c'est une tristesse qui prend possession de l'atmosphère ambiante, sapant tout moral et mettant fin à tout volonté de laisser poindre une once d'espoir en conclusion de cet album, qui laisse en tout état de cause, une étrange sensation de fatalité écrasante au beau milieu d'une hébétude méditative suite à la multitude de grâces traversées.
Et c'est précisément sur ce point que l'époustouflante démonstration sidère: la capacité à enjoliver et à mettre en relief toute la tristesse du monde pour en faire un manifestation éclatante, aux rayonnements persistants.
New General Catalogue s'ouvre sur un écho lointain de guitares tristes, qui laissent éclater leur abattement sous un riff absolument mémorable. Puis tout s'efface, et la voix rentre. Doucereuse, délicate, se laissant aller à son propre souffle, jouant sur la corde raide et prenant quelques fois des envols qui font frissonner chacune des zones du corps, en une suspension d'acrobates, d'anges célestes, mais pour vite retomber dans cette sorte de colère rentrée, appuyée par le retour des guitares, de plus en plus envahissantes. D'une beauté incomparable, "Divorce", décolle progressivement et vire vers un crescendo instrumental qui aboutit vers une apothéose luminescente, mais dont le ton est toujours maintenu en deçà d'une joliesse qui était attendu mais qui ne viendra pas, et même jamais. Le morceau d'ouverture inaugurera au cours de huit minutes, ce que deviendra le reste: une mise en abîme subtile et délicate. Le groupe préfère se terrer vers des propos plus cafardeux et les sublime, les porte aux nues, en fabriquant un album, qui bien que composée de petites pièces, se lit de bout en bout pour aboutir à un ensemble cohérent qui mène vers des ambiances de plus en plus frêles.
Redjetson détourne la suavité de ses chansons pour en fabriquer, l'espace d'un instant, un moment de pur bonheur sans cesse renouvelés, suivant des chemins mélodiques incomparables pour mieux sauter, couper par des raccourcis et en trouver d'autres, encore plus sublimes. Jouant dans un premier temps avec des ambiances lumineuses et enlevé, le ton vire petit à petit, par touches successives, vers une beauté triste, à la profondeur émotionnelle renversante, et tout bonnement persistante. Sur les premiers titres de l'album, comme par exemple "Stay Comfortable", la morosité se cache bien profondément sous des dehors enjoliveurs. Le jeu de rythme est entraînant, varié, rebondissant et apparaît comme l'écrin idéal aux notes de guitares qui tombent comme des gouttes de pluies. Aucune n'est laissée à l'abandon, tissant, à la manière d'un orfèvre, un réseau de lignes harmoniques déviantes, qui se superposent, qui s'entrelacent, grâce à trois guitares et une basse, incroyablement bien maîtrisées, sans jamais faire de nœud. Les mélodies s'entrechoquent comme dans une danse tourbillonnante, faisant jaillir les étincelles de leurs chocs, dont les retombées insufflent une énergie qui renforce l'addition pour monter vers un paroxysme à la flamboyance inouïe. La voix de Clive Robert Kentish est au summum de son intensité émotionnelle, dégageant une assurance et un lyrisme des plus éclatant et sans ombrages. Démarrant de manière toute douce, puis se laissant voguer au gré des humeurs, pour toujours privilégier l'aspect émotionnel des déviances, les chansons se chargent d'intensité jusqu'à des climats époustouflants, repoussant la musique au-delà de ses limites, et s'épanouissant sur les terrains du post-rock, à la manière de Mogwaï ou Explosions In The Sky. Ainsi "This City Means" démarrant sur un jeu tout en superposition de nappes, soit cristallines, soit brouillées, qui ne cesse de s'ajouter pour un mille-feuille de grâce et d'éclat absolus.
Mais ces apothéoses ne sont pas toujours la conclusion d'un état de grâce éthérée et lumineux. Redjetson choisit des voies alternatives et pervertit toujours ses propos. Amenant sa musique alors vers des contrées plus sombres, plus nostalgiques et plus propres à se révéler déstabilisantes. Et cette progression se fait tout au long de l'album vers une descente, à la pente douce mais menant inexorablement vers des profondeurs d'abattement sans fin. Et le choc obtenu à la découverte de ce massacre en règle des aspirations optimistes laisse sans voix.
Le changement de ton se perçoit un peu plus sur "The Sky Is Breaking", qui installe déjà une atmosphère plus sombre, plus ralentie aussi. La voix de Clive Robert Kentish se fait plus plaignante, ses "This Time, We're All Right" accompagnant à la perfection les descentes de ton des guitares en arrière fond. Puis le temps se suspend, il n'existe quasiment plus rien, hormis un écho lointain, qui devient tout à coup submergé par un roulement de caisses martial et militaire, un chant plus gémissant et des brusques montées de fièvre, sans pour autant que ça n'explose. Ce qui est sidérant, c'est de voir à quel point toutes les différentes parties rendent le tout cohérent sans jouer une partition identique, comme ce xylophone qui perpétue dans sa mollesse alors que tout le rythme s'accélère. Enfin un sombre désespoir s'installe jetant le tout sous une tempête saturée. Jamais sur la chanson, malgré une insistance, une puissance évocatrice et un chant de plus en plus fort et viscéral, le soleil fera une quelconque apparition. A partir de ce moment, on est passé à autre chose, et l'on devine, avec une sorte de fascination, que l'on ne verra plus la lumière.
Toute cette nostalgie apparaît dans le morceau de transition, l'instrumental "New Europe", sublime de beauté malade, simple et fragile avec sa guitare sèche qui cède le pas à une fanfare mortuaire et dépressive, trompettes et xylophones en berne.
A partir de là, le ton ne sera plus le même, et la beauté qui se dégage des chansons prendra un aspect plus élégiaque. Rentré, voire complètement absorbé par le magnétisme de cet album séminal, on découvre effaré un monde de rage enfouie et de cynisme classieux. D'une noirceur de plus en plus tenace, les mélodies plongent dans un ravissement des plus douloureux. Les notes sont lâchées avec plus de léthargie, accentuant ainsi leurs effets par petites touches, comme sur "A Reptile, Cold Blood" où elles accompagnent un chant, beaucoup plus sombre et malade, répétant sans cesse les mêmes paroles. Et sans y être préparé, le tout est envahi par un déchaînement de saturations époustouflant, qui se coupe presque brusquement pour se lover dans une pause magnifique mais perturbée par des fantômes. Le rythme s'accélère par la suite, mais pour prendre un virage effréné et angoissant. Clive chante à nouveau mais au lieu d'être plus clair, il s'enfonce dans le grave. Le morceau se termine dans une déferlante de bruits, tourbillonnantes et enivrantes, d'une violence fabuleuse.
La seconde partie de l'album fait la part belle, à des morceaux tout aussi travaillées et magnifiques, mais plus lentes et plus tristes. Les mélodies prennent le temps de s'installer, sans s'empiéter, pour de tendres passages crépusculaires à la vénusté miraculeuse, comme au cours d'odes poétiques à la romance. On s'y laisse bercer, complètement emballé par cette magie unique, qui ne se répète jamais et explore sans cesse de nouveaux horizons. Le chant et la structure en formats plus ou moins courts ne nuisent aucunement à ce post-rock, qui titre parfois à la douce mélancolie de la cold-wave. Les moments d'intensité y garde leur dimension enchanteresse, tout en faisant le support d'une noirceur luxueuse.
Le déclin s'annonce et se fait sentir plus on approche de la fin de l'album. La déliquescence est entamé sur "America Is Its Only Friend", parasité par des distorsions en chants de baleines, et se débutant par un martelage de coups, puissants et d'une majesté sombre, introduction à une complainte à la froideur bouleversante. Poignantes, les notes du xylophone correspondent parfaitement à cette impression de noyade à venir, autour de cette batterie prête à exploser, de ce chant déchirant, envahi par le désespoir, et cette impression tenace que l'on va se laisser submerger par l'émotion d'un instant à l'autre. Et ce n'est pas l'apothéose finale qui va atténuer cela.
Complètement sonné, renversé par cette beauté glaciale, on s'aperçoit alors qu'on a quitté depuis bien longtemps déjà les zones flamboyantes pour des ambiances plus polaires. Le dernier coup d'estocades est portée par "Pieces Go Missing", impressionnant par sa construction en dégénérescence. Chaque passage est amené pour mieux introduire la suivante, encore plus ténébreuse et plus viciée. Débutant par une sobriété traînarde, qui peine à tenir une plainte longue et lancée sans espoir de retour, la chanson vire peu à peu vers le glauque, appuyée par une batterie qui se contente d'imposer des coups, une voix qui se répète: "It goes on again", et des guitares acérées. Une montée en puissance se construit mais la frénésie suscitée inspire la crainte et l'angoisse. C'est avec une stupeur sans nom que l'on surprend alors l'apothéose de cette noirceur latente qui ne demandait qu'à jaillir à découvert. Le chant de Clive se fait soudain complètement glacial, fantômatique, sans émotions, d'une gravité à faire froid dans le dos. Il ne cessera de répéter la même phrase indéfiniment comme un robot détraqué, des propos réitérés qui hérissent les poils et qui seront recouverts jusqu'à la cacophonie par une saturations de plus en plus bruyante, concluant là l'album en laissant un gouffre incroyable de sous-entendus. C'est à peine si les trois petites notes de fin se feront entendre.
Le venin contenu dans cette beauté noire et feutrée coule alors lentement dans les veines et produit son effet. Ce chef-d'œuvre des Londoniens, qui commencent tout juste à se faire connaître en France, sonne comme un ensemble à la fois fragile et épique.
Il est impossible de se remettre totalement de ce voyage, tant la beauté rencontrée laisse sans voix. D'une complexité accrocheuse, New General Catalogue laisse songeur. Il laisse l'impression d'avoir touché le divin. Et chaque visite et l'occasion de redécouvrir quelque chose de nouveau, quelque chose qu'on n'avait pas abordé de prime abord et qui renforce cette impression de beauté noire. Pure, magnifique, profonde, intense, le post-rock de Redjetson se fait l'apparat de l'esprit du groupe anglais. Un ton totalement à part, souterrain et calé dans les brumes de la nuit...


Exceptionnel ! !   19/20
par Vic


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