Van Morrison

Astral Weeks

Astral Weeks

 Label :     Warner Bros. 
 Sortie :    vendredi 29 novembre 1968 
 Format :  Album / Vinyle   

C'était lors d'un voyage à Lyon. À l'époque rêvée des Megabus à 1€, avant que les Macronbus, comme on les appelait, ne viennent les racheter et mettre fin aux offres improbables que nous utilisions ma copine et moi, d'une part pour se voir, d'autre part pour voyager, pour à peu près rien, c'est à dire suffisamment pour ne pas abimer nos portefeuilles estudiantins. Nous avions donc fait le pari de survivre à un voyage de nuit Lille-Lyon, avec escale à Paris. Arrivée chez les Lyonnais prévue à environ 3h du matin. Notre hôtel n'ouvrait ses portes qu'à 7h, ou 8h peut-être je ne sais plus. Pas de plan d'attaque prévu pour occuper les 4 à 5h de vide qui nous séparaient du lit douillet où nous pourrions rattraper les heures de sommeil qu'on avait clairement pas réussi à entamer dans l'inconfort du bus de nuit. Fourbus, le pas mou et peu assuré, on s'est dirigé vers le Campanile près de la gare routière, dans l'espoir naïf qu'il s'agisse de notre hôtel.

Parvenus dans le hall, après que le gars de l'accueil nous ait confirmé qu'on s'était gourré, que notre Campanile à nous se trouvait de l'autre côté de la ville, on lui a demandé si on pouvait squatter sur des fauteuils le temps que le jour se lève et qu'on trouve la force de nous déplacer, à pattes, jusqu'à notre propre hôtel situé à l'autre bout de la ville. Celui que le Destin désigna comme notre bienfaiteur, notre Saint-Martin, déchira la moitié de son proverbial manteau pour qu'on puisse s'y emmitoufler, et 5mn plus tard nous voici assis sur des petits tabourets en velour, nos affaires étalées sur le tapis du hall et sur la large table ronde devant nous, nos manteaux roulés en boule, ersatz d'oreillers, et le visage enfoui à l'intérieur.

30 secondes plus tard Justine dort à points fermés, c'est son super pouvoir. Moi je ne suis pas de cette race de dormeurs mutants et je sais que je me contenterai sans doute de fermer les yeux, voire de somnoler un peu si le Bon Dieu est miséricordieux. Le corps faible, l'esprit engourdi, c'est le moment idéal pour enfiler mon casque et trouver l'album qui ravagera mon être vulnérable jusqu'à l'extase (ou au sommeil). Je jette un dernier regard amusé à la conversation Skype de mes potos mélomanes, certains se se sont décidés à rester éveillés jusqu'à ce que soit enfin publié le dernier album de Kanye West, The Life of Pablo. Je repose le téléphone et empoigne mon fidèle iPod, qui fait défiler les possibilités musicales, par ordre alphabétique. Allez, ce soir ce sera Astral Weeks, de Van Morrison. Un album que j'avais écouté il y a 5 ou 6 ans peut-être, mais finalement peu de souvenirs ; cette nuit-là fera office de nouvelle première fois. J'appuie fiévreusement sur Play et j'enfouis à mon tour ma tête dans ma veste. La musique se lance, et le noir derrière mes paupières closes se met à luire doucement.

L'espace qui sépare mon visage de la table grandit, doucement mais sûrement, alors qu'enfle la pâte d'"Astral Weeks", que le sang afflue dans sa chair. Les accords obstinés de la guitare de Van Morrison, la contrebasse qui commence à vrombir discrètement, et chaque instrument qui finit par trouver sa place naturellement dans la partition improvisée qu'ils ont tous à jouer, autour de ce petit irlandais nerveux qui scande ses paroles vagues de sa voix de soulman éraillée. La musique prend forme sur le vif, sans qu'une forme ne lui ait été imposée à l'avance, et cette magie de l'instant s'empare de ma conscience embrumée, je voyage dans Astral Weeks certes pas dans le sommeil mais pas tout à fait dans la veille non plus, un peu entre les deux, je comprends et je ressens toute l'intensité des émois du Van mais le temps disparaît, peut-être que je me mets à somnoler sur certains passages, ça n'est pas très important. Car ce qui vient de se tisser entre Astral Weeks et moi, à toute vitesse, comme si le lien était déjà là mais invisible, marque le début d'une relation de confiance pérenne. Quand la lumière vient à manquer dans ma petite existence, je viens me baigner dans les eaux radieuses, sans la moindre hésitation. Et mon humeur de se décrasser d'un coup d'un seul, alors que Van m'incite à respirer, avec ses "You breathe in you breathe out you breathe in you breathe out..."


Intemporel ! ! !   20/20
par X_Wazoo


  Vous pouvez retrouver ce texte narré et mis en musique ici : http://www.xsilence.net/news.php?996#n996


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