Cabaret Voltaire
Shadow Of Fear |
Label :
Mute |
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L'année 2020 est pourrie, ça on le sait.
Entre un virus chelou qui aura décimé une partie de la population du monde entier, une élection américaine absurde sous tension et du flicage et des lois toujours plus liberticides les unes après les autres, on se demande si la réalité n'a pas basculé dans une dystopie à la George Orwell.
Richard.H Kirk, tout paranoïaque qu'il est, n'aura jamais aussi bien choisi son moment pour faire revenir son ancien groupe d'entre les morts : le fameux Cabaret Voltaire. Il le dit volontiers en interview, il n'avait pas calculé la sortie de ce nouvel opus exprès pour coïncider avec les évènements car cet album était déjà en chantier en 2013. Shadow Of Fear, le nom de ce nouveau disque, est le rendu final d'un projet de longue haleine donc, puisque Kirk a commencé à mettre en boite les morceaux il y a plus de sept ans pour faire du live.
Piqûre de rappel : Cabaret Voltaire, c'était un groupe qui faisait de la musique industrielle avant même que Throbbing Gristle définisse le terme (entre 1973 et 1982) puis de la musique électronique (de 1982 à 1994). Le groupe était composé d'un trio d'illuminés : Richard Kirk donc, aux guitares et claviers, mais également Chris Watson, un tape operator un peu fou chargé de faire les fameux cut-ups sonores, il quitte le groupe en 1982 pour devenir ingé son à la BBC, ainsi que Stephen Mallinder, chanteur et bassiste attitré du projet jusqu'en 1994, date à laquelle Cabaret Voltaire capote : Mallinder s'en va en Australie devenir docteur en musicologie avant de revenir en Grande-Bretagne dans les années 2000 avec ses excellent projets Wrangler et Creep Show. De son côté, Kirk continue de produire de la musique sous une multitude d'alias. En 2014, ce dernier réactive Cabaret Voltaire et y officie en solo afin de présenter son nouveau show live. Etant donné que Kirk à une peur bleue de l'avion, les lives restent cantonnés à l'Europe. Il revient donc pour de bon en sortant cette année un nouvel album : Shadow Of Fear. Une question vient alors : est-ce que cet album, qui n'est plus composé que par un seul membre du groupe original, peut quand même être considéré comme du Cabaret Voltaire pur jus ?
Composé de huit titres assez longs (6 minutes 30 en moyenne), l'essence du son reste la même : des plages atmosphériques construites autour de grooves de synthés sales et distordus, de boite à rythmes parfois très vintage, de toutes une palette d'effets lugubres, de guitares trashouilles et de samples vocaux étranges. Il est également difficile de voir dans ce nouveau disque un pur succédané de nostalgie, Kirk s'y opposant comme personne. Tous les titres ont beau avoir une légère teinte 80's/90's, ils sonnent vraiment comme des morceaux des années 2010, un peu à la manière d'artistes comme Aphex Twin qui utilisent du matos vintage tout en restant résolument frais.
Le titre introductif, "Be Free", reprends directement là ou Cabaret Voltaire s'était arrêté dans The Conversation, leur dernier album en date sorti en 1994 : sur un motif de synthé harsh un peu dub et une rythmique bien 70's, des samples vocaux d'un tueur qui fait ses aveux nous accueille dans le monde tordu de Richard Kirk. On remarque déjà sa guitare si caractéristique fondu dans le mix. Le titre suivant, "The Power Of Their Knowledge", esquissé pendant les lives, est là aussi construit autour d'un groove de boite à rythme Korg vintage pendant que Kirk établit un arrière plan sonore qui fourmille de détails : là une infrabasse discrète, ici une loop de guitare distordue, à droite un sample vocal d'un homme politique véreux, à gauche des effets sonores étranges venant d'une autre planète. La mélodie évoque certains anciens travaux de Kirk sous l'alias Sweet Exorcist et l'ensemble est particulièrement hypnotique. "Night Of The Jackal" évoque plus directement les années 90 avec une TR-808 et des basses acides que le 808 State des débuts n'aurait pas renié. De manière étrange, les loops de synthés, composées sur des temps différents, s'intercalent entre elles, formant une espèce de fusion acid house psychédélique et polyrythmique. La face A se termine avec "Microscopic Flesh Fragment", construit cette fois sur un sample de batterie, un groove de boite à rythme, des synthés très atmosphériques et des samples vocaux extraits de films policiers plus ou moins vintage. "Papa Nine Zero Delta United" cite directement le "tube" des Cab's, à savoir le rythme de "Nag Nag Nag" en y superposant encore plus d'effets synthétiques étranges, de samples vocaux érotiques, de synthés frénétiques et autres guitares distordues. "Universal Energy" entame la phase plus techno du disque avec un long trip de dix minutes à la rythmique soutenue. Egalement entendu pendant les lives, le titre est certainement le plus hypnotique de tous les nouveaux morceaux de ce disque. L'avant-dernier titre, "Vasto", perpétue cette phase techno avec un ensemble très rythmé. C'est là qu'on retrouve le Cabaret Voltaire le plus dansant : infrabasses, rythme en 4/4 bien rentre dedans, séquences de synthé à la Kraftwerk. Le label Mute avait choisi ce titre pour teaser l'album en septembre dernier, et à mon avis, c'est le titre qu'on retiendra le mieux de l'ensemble car il va droit au but. L'album se termine avec le dubbesque "What's Goin'On". Hommage à Marvin Gaye seulement par le titre, Kirk fait étalage de sa guitare et de samples de trompettes pour emmener l'album dans une fin extatique. C'est certainement le morceau qui rappelle le plus furieusement qu'on écoute bien du Cabaret Voltaire tellement ça aurait pu sortir sur l'album 2X45.
A l'écoute de l'ensemble, impossible de ne pas voir là un disque digne de Cabaret Voltaire. Toute la "formule" est respectée, à l'exception bien sûr des voix distordues de Stephen Mallinder. C'est peut-être ça, finalement, qui manque le plus à Shadow Of Fear : des lignes de basses slappées et les textes érotico-glauques de Mallinder. Malgré tout, Richard Kirk arrive à tenir le bon bout et à se distinguer de ses multitudes de productions solo. Bon, et puis, peut-être qu'il vendra davantage de disques sous ce pseudo là plutôt qu'un autre...
A l'image des premiers albums de Cabaret Voltaire qui dépeignaient une société mondiale en perdition en plein milieu de la guerre froide (et c'est peut-être normal finalement que le groupe ait disparu après la chute du rideau de fer et l'implosion de l'URSS); le "groupe" est de retour afin d'à nouveau dépeindre une société qui va mal. En pur commentateur de son époque, Richard Kirk fait avec Shadow Of Fear la bande-son idéale pour assister aux catastrophes quotidiennes de ce début de troisième décennie du XXIème siècle...
Entre un virus chelou qui aura décimé une partie de la population du monde entier, une élection américaine absurde sous tension et du flicage et des lois toujours plus liberticides les unes après les autres, on se demande si la réalité n'a pas basculé dans une dystopie à la George Orwell.
Richard.H Kirk, tout paranoïaque qu'il est, n'aura jamais aussi bien choisi son moment pour faire revenir son ancien groupe d'entre les morts : le fameux Cabaret Voltaire. Il le dit volontiers en interview, il n'avait pas calculé la sortie de ce nouvel opus exprès pour coïncider avec les évènements car cet album était déjà en chantier en 2013. Shadow Of Fear, le nom de ce nouveau disque, est le rendu final d'un projet de longue haleine donc, puisque Kirk a commencé à mettre en boite les morceaux il y a plus de sept ans pour faire du live.
Piqûre de rappel : Cabaret Voltaire, c'était un groupe qui faisait de la musique industrielle avant même que Throbbing Gristle définisse le terme (entre 1973 et 1982) puis de la musique électronique (de 1982 à 1994). Le groupe était composé d'un trio d'illuminés : Richard Kirk donc, aux guitares et claviers, mais également Chris Watson, un tape operator un peu fou chargé de faire les fameux cut-ups sonores, il quitte le groupe en 1982 pour devenir ingé son à la BBC, ainsi que Stephen Mallinder, chanteur et bassiste attitré du projet jusqu'en 1994, date à laquelle Cabaret Voltaire capote : Mallinder s'en va en Australie devenir docteur en musicologie avant de revenir en Grande-Bretagne dans les années 2000 avec ses excellent projets Wrangler et Creep Show. De son côté, Kirk continue de produire de la musique sous une multitude d'alias. En 2014, ce dernier réactive Cabaret Voltaire et y officie en solo afin de présenter son nouveau show live. Etant donné que Kirk à une peur bleue de l'avion, les lives restent cantonnés à l'Europe. Il revient donc pour de bon en sortant cette année un nouvel album : Shadow Of Fear. Une question vient alors : est-ce que cet album, qui n'est plus composé que par un seul membre du groupe original, peut quand même être considéré comme du Cabaret Voltaire pur jus ?
Composé de huit titres assez longs (6 minutes 30 en moyenne), l'essence du son reste la même : des plages atmosphériques construites autour de grooves de synthés sales et distordus, de boite à rythmes parfois très vintage, de toutes une palette d'effets lugubres, de guitares trashouilles et de samples vocaux étranges. Il est également difficile de voir dans ce nouveau disque un pur succédané de nostalgie, Kirk s'y opposant comme personne. Tous les titres ont beau avoir une légère teinte 80's/90's, ils sonnent vraiment comme des morceaux des années 2010, un peu à la manière d'artistes comme Aphex Twin qui utilisent du matos vintage tout en restant résolument frais.
Le titre introductif, "Be Free", reprends directement là ou Cabaret Voltaire s'était arrêté dans The Conversation, leur dernier album en date sorti en 1994 : sur un motif de synthé harsh un peu dub et une rythmique bien 70's, des samples vocaux d'un tueur qui fait ses aveux nous accueille dans le monde tordu de Richard Kirk. On remarque déjà sa guitare si caractéristique fondu dans le mix. Le titre suivant, "The Power Of Their Knowledge", esquissé pendant les lives, est là aussi construit autour d'un groove de boite à rythme Korg vintage pendant que Kirk établit un arrière plan sonore qui fourmille de détails : là une infrabasse discrète, ici une loop de guitare distordue, à droite un sample vocal d'un homme politique véreux, à gauche des effets sonores étranges venant d'une autre planète. La mélodie évoque certains anciens travaux de Kirk sous l'alias Sweet Exorcist et l'ensemble est particulièrement hypnotique. "Night Of The Jackal" évoque plus directement les années 90 avec une TR-808 et des basses acides que le 808 State des débuts n'aurait pas renié. De manière étrange, les loops de synthés, composées sur des temps différents, s'intercalent entre elles, formant une espèce de fusion acid house psychédélique et polyrythmique. La face A se termine avec "Microscopic Flesh Fragment", construit cette fois sur un sample de batterie, un groove de boite à rythme, des synthés très atmosphériques et des samples vocaux extraits de films policiers plus ou moins vintage. "Papa Nine Zero Delta United" cite directement le "tube" des Cab's, à savoir le rythme de "Nag Nag Nag" en y superposant encore plus d'effets synthétiques étranges, de samples vocaux érotiques, de synthés frénétiques et autres guitares distordues. "Universal Energy" entame la phase plus techno du disque avec un long trip de dix minutes à la rythmique soutenue. Egalement entendu pendant les lives, le titre est certainement le plus hypnotique de tous les nouveaux morceaux de ce disque. L'avant-dernier titre, "Vasto", perpétue cette phase techno avec un ensemble très rythmé. C'est là qu'on retrouve le Cabaret Voltaire le plus dansant : infrabasses, rythme en 4/4 bien rentre dedans, séquences de synthé à la Kraftwerk. Le label Mute avait choisi ce titre pour teaser l'album en septembre dernier, et à mon avis, c'est le titre qu'on retiendra le mieux de l'ensemble car il va droit au but. L'album se termine avec le dubbesque "What's Goin'On". Hommage à Marvin Gaye seulement par le titre, Kirk fait étalage de sa guitare et de samples de trompettes pour emmener l'album dans une fin extatique. C'est certainement le morceau qui rappelle le plus furieusement qu'on écoute bien du Cabaret Voltaire tellement ça aurait pu sortir sur l'album 2X45.
A l'écoute de l'ensemble, impossible de ne pas voir là un disque digne de Cabaret Voltaire. Toute la "formule" est respectée, à l'exception bien sûr des voix distordues de Stephen Mallinder. C'est peut-être ça, finalement, qui manque le plus à Shadow Of Fear : des lignes de basses slappées et les textes érotico-glauques de Mallinder. Malgré tout, Richard Kirk arrive à tenir le bon bout et à se distinguer de ses multitudes de productions solo. Bon, et puis, peut-être qu'il vendra davantage de disques sous ce pseudo là plutôt qu'un autre...
A l'image des premiers albums de Cabaret Voltaire qui dépeignaient une société mondiale en perdition en plein milieu de la guerre froide (et c'est peut-être normal finalement que le groupe ait disparu après la chute du rideau de fer et l'implosion de l'URSS); le "groupe" est de retour afin d'à nouveau dépeindre une société qui va mal. En pur commentateur de son époque, Richard Kirk fait avec Shadow Of Fear la bande-son idéale pour assister aux catastrophes quotidiennes de ce début de troisième décennie du XXIème siècle...
Parfait 17/20 | par EmixaM |
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