Kero Kero Bonito
Time 'n' Place |
Label :
Polyvinyl |
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Coïncidence, heureuse ou malheureuse je ne saurais dire : j'ai l'impression que ma vie est curieusement en phase avec celle de feu-le trio le plus adorable et insouciant de ce côté de la Voie Lactée. Il y a à peine plus d'un mois je me sentais comme Sarah sur la pochette de Bonito Generation : souriant, avec mon diplôme à la main. Le nouveau, Time 'n' Place, débarque sans prévenir le 1er octobre, alors que je réalise lentement mon devenir morne de chercheur d'emploi apathique, avec en visée désabusée à court terme l'obtention du RSA. Oh bien sûr je m'y attendais ! On ne passe pas plus de 5 ans en psycho en ignorant l'état du marché de l'emploi, le manque de reconnaissance de la profession dans les institutions ou les grilles de salaires décevantes. Je le savais, mais je le repoussais joyeusement dans un petit coin de mon esprit. Un peu comme le Kero Kero Bonito flashy de jadis, qui savait pertinemment que le monde réel ne fait pas de cadeaux - une mélancolie déjà sourdait dans leur musique, celle infantile d'un bout d'chou qui réalise que les choses ne durent pas pour toujours -, mais qui se contentait de s'inventer un monde plus gai, pour jouer à faire semblant. Il suffit de l'avoir vécu pour savoir que le début de l'adolescence est plus facile à dater que la fin. On serait bien naïf de s'imaginer devenir adulte par magie à 18 ans.
But I don't
Even know
Where I should be trying to go
So I guess I'll follow my nose
Mais c'est quoi devenir adulte ? Partir de chez papa maman ? S'engager dans les études supérieures ? Faire ses démarches administratives soi-même ? Être diplômé ? Décider de ne pas l'être ? Commencer à travailler ? Décider de ne pas le faire ? Autant de propositions bien pragmatiques, me dira-t-on. Sans doute l'essence du passage à un "âge adulte", qui se met à prendre des airs de mythes, doit-il avoir quelque source plus profonde, plus abstraite. Mais il y a des moments où le réel s'acharne à nous garder le visage plaqué sur le sol, à scruter les pavés, tentant d'y déchiffrer quelque sens caché. Ce même réel s'est mis à frapper à la porte de Kero Kero Bonito. Sarah s'est mise à rêver dernièrement du quartier de son enfance à Hokkaido, où elle a grandi avant de déménager en banlieue londonienne, peu avant de découvrir par l'entremise d'une photo envoyée par son frère que le terrain de leur ancienne maison avait été rasé. Quelque temps plus tard, c'est son vieux perroquet qui passe l'arme à gauche. Il y a de quoi avoir mal à son enfance quand ses visages les plus vibrants disparaissent dans l'éther. De plus, au cours de l'année passée, les trois membres ont chacun perdu des proches. Morbide conjonction qui abat sur le guilleret trio une chape de plomb qui a un sale goût de réel. Et pour ces trois là, quelle meilleure thérapie que la musique ?
Drifting
But holding on
I keep my head up to watch the shore
Le besoin s'est vite fait ressentir de se mettre à écrire, et surtout à jouer ensemble. Mais pas comme avant, pas vraiment. Comment le pourraient ils alors qu'eux-mêmes ont tant changé en à peine 2 ans, depuis le suprêmement sincère et fun Bonito Generation. Non, quand Sarah, Gus et Jamie se sont retrouvés dans la chambre de Gus pour essayer d'accorder l'atmosphère au diapason de leur vague-à-l'âme, la poussée de l'urgence les a amenés à délaisser quelque peu le synthétique et le digital au profit de "vrais" (guillemets x1000) instruments. Comme pour renouer avec ce passé qui semble les travailler autant que le présent, Gus et Jamie reviennent à leurs premiers amours : respectivement la batterie et la basse, tandis qu'un ami du groupe, James Rowland, est recruté à la guitare. Voilà KKB en pleine réinvention de leur son, l'occasion de prouver qu'ils sont loin de se résumer à leurs gimmicks choupi-kawaii : ils sont à l'aise partout où il y a de la pop. Et ici, on parle indie pop, noise pop, twee pop, power pop, synthpop. On parle distorsion épaisse, lo-fi intimiste, échos synthétiques, percées bruitistes, suites d'accords rutilantes...
TOTEP, sorti plus tôt dans l'année, était un glorieux mini tourbillon d'idées brutes ayant miraculeusement pris la forme de brèves chansons qu'aucune expérimentation ne paraissait effrayer. À peine plus de 10 minutes au total, mais l'horizon qui y était esquissé était si riche en possibilités qu'imaginer un album trois fois plus long a vite pris des airs de fantaisie vertigineuse. Et lorsque Time 'n' Place arrive, par surprise le 1er octobre, il sent presque... la maturité ? Quoi, ce terme utilisé à tort et à travers ? "keRo KeRO bO NitO a soRTi L'ALbum dE la mATurItÉ", voyez par vous même comme la formule est disgracieuse. Mais, mais...
If I never get to decide my reality
At least I see how it could be
When I get round to sleeping, dreaming
Time 'n' Place a pourtant tout l'air d'une transformation tellement réussie qu'elle en ferait presque oublier l'essai à 6 points auquel elle succède. D'apparence éclaté - j'avais commencé un inventaire sonore plus haut, difficile d'unir tout ce petit microcosme sous une bannière stylistique - T&P raconte cependant une seule et même histoire, facile à suivre qui-plus-est. Une histoire qui suit le cycle de la pluie, de l'odeur de l'averse à l'arc-en-ciel, et qui dès lors que se déroule la journée évoque l'angoisse et l'enthousiasme mêlés d'avoir à remplir le temps de choses qui menacent de prendre la poussière à force de procrastination. Une histoire dans laquelle jouer son propre rôle n'est pas sans risquer la dissociation mentale. Une histoire où l'on se demande où vont-ils donc, ces oiseaux qui partent une fois l'hiver venu, où l'on se prend à espérer les rejoindre un jour, avant d'aller faire un tour à la décharge pour aller se débarrasser de la vieille cage de son vieux perroquet. Là, on observe curieusement les gens mener leurs petites affaires tandis que les déchets sont inexorablement emportés par des machines massives. Dans le monde, le réel blesse, ses possibles nous dépassent, il vaut mieux se réfugier dans le rêve et l'imagination, jouer à faire semblant... Oh, plus personne n'est dupe, mais ces jeux d'enfants ça permet aussi de grandir. Et si on jouait à envoyer une lettre à son Soi du futur ? Ça aurait quelque chose de rassurant, de lui confier nos peurs, nos espoirs, nos interrogations. Au moins, ça permettrait de formuler tout ça à voix haute et de s'entendre le dire, et ça permettrait de cristalliser la personne qu'on est aujourd'hui dans un petit bout de papier qui, lui, ne changera jamais. Dans cette histoire, on rend visite à un proche à l'hôpital, empli d'un curieux mélange d'inquiétude et de soulagement ; les dégâts sont indéniables mais le pire a été évité. On prend aussi le temps de songer à l'immensité de l'Univers, de se rappeler qu'on ne tient pas à grand chose et que tout choix débouche sur la création d'une nouvelle route... Mais on prend surtout le temps de se rassurer. De se regrouper au coin du feu, guitare à la main, se serrer fort les uns contre les autres et chanter à l'unisson que la vie a beau manquer de sens, on est plus fort à plusieurs pour l'affronter. Alors enfin, on prend notre courage à deux mains, on se jette à l'eau et on se souvient qu'on sait nager, parce que Maman nous a appris à le faire il y a des années et des années. Et on nage, on nage, malgré les déchets qui flottent à la surface et croupissent au fond. On ne s'arrête que pour reprendre des forces, et imaginer le tourbillon des possibles qui nous attend une fois qu'on décidera de reprendre la route.
Dear future self
I used to be fine because you always seemed so far away
But now I feel our paths getting closer each day
It's rather strange
Alors oui, dans tout ça il y a de quoi être un peu perdu. Pour sûr ça ne dure qu'une petit demi-heure, mais on y retrouve un KKB qui a changé d'allure, avec son sérieux soudain, ce changement de son, les larmes qui perlent derrière le sourire. Mais le temps aidant, peut-être se met-on à voir les choses un chouïa différemment. Je parle d'expérience, du temps j'en ai eu un peu : j'ai commencé à écrire cette chronique il y a un peu plus d'un mois, le 24 octobre exactement. J'ai griffonné des trucs sur papier, j'en ai abandonné quelques uns ; j'ai commencé à la taper, je me suis arrêté, j'ai réécrit quelques lignes, puis l'ai laissée reposer. Un paragraphe par-ci par-là avant de retourner à l'angoisse de la page blanche. Et j'ai beaucoup, beaucoup écouté l'album. Je ne suis plus tout à fait identique à ce gars qui écrivait les premières lignes. Bon, j'ai pas encore de taff, ni mon fichu RSA, mais au moins j'ai mon permis. À force de me nourrir de l'énergie vitale de Kero Kero Bonito, je me suis mis à vivre à ses côtés, à m'habituer à ses étranges nouveautés abimées tant et si bien qu'elles me paraissent désormais plus familières que les kawaiieries passées. Et je me demande si Time 'n' Place c'est vraiment "les larmes derrière le sourire"... à vrai dire l'inverse me semble plus probable. Le sourire derrière les larmes, le soleil qui pointe timidement après l'averse (et hop, voilà l'arc-en-ciel de "Outside") ; non plus la mort qui s'infiltre dans la vie ni le réel qui fait irruption dans le rêve, mais peut-être davantage la vie qui renaît après le contact avec la mort, et où l'on s'autorise de nouveau à faire semblant.
Et puis on a beau dire que KKB a changé, le temps permet aussi de constater ce qui est resté pareil. Exemple : le groupe a toujours ce don de sculpter chacune de leur chanson de manière à en faire une image. Que ce soit via l'écrin sonore, les détails de la production ou la disposition des arrangements, voire les paroles d'une sincérité à toute épreuve ; de tout morceau de KKB ressort une image forte et quasi tangible. Il suffit d'écouter celui qui dans la tracklist pourrait passer (à tort !) pour le plus anodin : "Dump". La basse est aussi mécanique que les machines de la décharge, des bruitages faits au synthé illustrent la scène, des samples étouffés et bégayants étoffent davantage le paysage surchargé de déchets, la nappe dans le fond jette comme une chape de plomb sur cette fosse commune mais les petites mélodies éparses de synthé et les accords de guitare lentement égrainés confèrent un certaine vie au tas grouillant d'ordures. Et entre ces images, les transitions ne sont certainement pas anodines : "Dump" fait suite à "Flyway" ; après la chanson sur le départ des oiseaux, on part jeter la cage du perroquet à la décharge. Et après cela, l'absolue pureté des 30 premières secondes de "Make Believe" viennent chasser la saleté pour poser un espace vierge où le rêve règne en maître. Je ne vais pas encore toute les faire, j'ai déjà vomi un paragraphe sur le sujet plus haut.
Alors voilà, comme cette pochette bariolée et bordélique que je trouvais passablement laide à l'aube de notre relation et qui aujourd'hui m'évoque un instantané coloré, le souvenir d'une personne qui a voulu cristalliser son curriculum vitae au milieu de ces babioles rassemblées en vrac ; cet album a grandi en moi autant que j'ai grandi en lui, et avec lui. Oh certes, ça ne fait que deux mois... mais je pense que ce disque m'accompagne depuis bien plus longtemps, je l'avais dans ma peau avant de le rencontrer. Et maintenant qu'il est là, devant mes yeux et mes oreilles encore incrédules, je suis reconnaissant qu'il se soit incarné sous une si belle forme. Tant pis pour les clichés : avec Kero Kero Bonito, de l'autre côté de la Manche, je me sens un petit peu moins seul. Et le futur m'apparait moins sombre. C'est pas plus mal comme ça.
Life sure doesn't make sense
But on your boots you can bet
That everybody gets the blues sometimes !
But I don't
Even know
Where I should be trying to go
So I guess I'll follow my nose
Mais c'est quoi devenir adulte ? Partir de chez papa maman ? S'engager dans les études supérieures ? Faire ses démarches administratives soi-même ? Être diplômé ? Décider de ne pas l'être ? Commencer à travailler ? Décider de ne pas le faire ? Autant de propositions bien pragmatiques, me dira-t-on. Sans doute l'essence du passage à un "âge adulte", qui se met à prendre des airs de mythes, doit-il avoir quelque source plus profonde, plus abstraite. Mais il y a des moments où le réel s'acharne à nous garder le visage plaqué sur le sol, à scruter les pavés, tentant d'y déchiffrer quelque sens caché. Ce même réel s'est mis à frapper à la porte de Kero Kero Bonito. Sarah s'est mise à rêver dernièrement du quartier de son enfance à Hokkaido, où elle a grandi avant de déménager en banlieue londonienne, peu avant de découvrir par l'entremise d'une photo envoyée par son frère que le terrain de leur ancienne maison avait été rasé. Quelque temps plus tard, c'est son vieux perroquet qui passe l'arme à gauche. Il y a de quoi avoir mal à son enfance quand ses visages les plus vibrants disparaissent dans l'éther. De plus, au cours de l'année passée, les trois membres ont chacun perdu des proches. Morbide conjonction qui abat sur le guilleret trio une chape de plomb qui a un sale goût de réel. Et pour ces trois là, quelle meilleure thérapie que la musique ?
Drifting
But holding on
I keep my head up to watch the shore
Le besoin s'est vite fait ressentir de se mettre à écrire, et surtout à jouer ensemble. Mais pas comme avant, pas vraiment. Comment le pourraient ils alors qu'eux-mêmes ont tant changé en à peine 2 ans, depuis le suprêmement sincère et fun Bonito Generation. Non, quand Sarah, Gus et Jamie se sont retrouvés dans la chambre de Gus pour essayer d'accorder l'atmosphère au diapason de leur vague-à-l'âme, la poussée de l'urgence les a amenés à délaisser quelque peu le synthétique et le digital au profit de "vrais" (guillemets x1000) instruments. Comme pour renouer avec ce passé qui semble les travailler autant que le présent, Gus et Jamie reviennent à leurs premiers amours : respectivement la batterie et la basse, tandis qu'un ami du groupe, James Rowland, est recruté à la guitare. Voilà KKB en pleine réinvention de leur son, l'occasion de prouver qu'ils sont loin de se résumer à leurs gimmicks choupi-kawaii : ils sont à l'aise partout où il y a de la pop. Et ici, on parle indie pop, noise pop, twee pop, power pop, synthpop. On parle distorsion épaisse, lo-fi intimiste, échos synthétiques, percées bruitistes, suites d'accords rutilantes...
TOTEP, sorti plus tôt dans l'année, était un glorieux mini tourbillon d'idées brutes ayant miraculeusement pris la forme de brèves chansons qu'aucune expérimentation ne paraissait effrayer. À peine plus de 10 minutes au total, mais l'horizon qui y était esquissé était si riche en possibilités qu'imaginer un album trois fois plus long a vite pris des airs de fantaisie vertigineuse. Et lorsque Time 'n' Place arrive, par surprise le 1er octobre, il sent presque... la maturité ? Quoi, ce terme utilisé à tort et à travers ? "keRo KeRO bO NitO a soRTi L'ALbum dE la mATurItÉ", voyez par vous même comme la formule est disgracieuse. Mais, mais...
If I never get to decide my reality
At least I see how it could be
When I get round to sleeping, dreaming
Time 'n' Place a pourtant tout l'air d'une transformation tellement réussie qu'elle en ferait presque oublier l'essai à 6 points auquel elle succède. D'apparence éclaté - j'avais commencé un inventaire sonore plus haut, difficile d'unir tout ce petit microcosme sous une bannière stylistique - T&P raconte cependant une seule et même histoire, facile à suivre qui-plus-est. Une histoire qui suit le cycle de la pluie, de l'odeur de l'averse à l'arc-en-ciel, et qui dès lors que se déroule la journée évoque l'angoisse et l'enthousiasme mêlés d'avoir à remplir le temps de choses qui menacent de prendre la poussière à force de procrastination. Une histoire dans laquelle jouer son propre rôle n'est pas sans risquer la dissociation mentale. Une histoire où l'on se demande où vont-ils donc, ces oiseaux qui partent une fois l'hiver venu, où l'on se prend à espérer les rejoindre un jour, avant d'aller faire un tour à la décharge pour aller se débarrasser de la vieille cage de son vieux perroquet. Là, on observe curieusement les gens mener leurs petites affaires tandis que les déchets sont inexorablement emportés par des machines massives. Dans le monde, le réel blesse, ses possibles nous dépassent, il vaut mieux se réfugier dans le rêve et l'imagination, jouer à faire semblant... Oh, plus personne n'est dupe, mais ces jeux d'enfants ça permet aussi de grandir. Et si on jouait à envoyer une lettre à son Soi du futur ? Ça aurait quelque chose de rassurant, de lui confier nos peurs, nos espoirs, nos interrogations. Au moins, ça permettrait de formuler tout ça à voix haute et de s'entendre le dire, et ça permettrait de cristalliser la personne qu'on est aujourd'hui dans un petit bout de papier qui, lui, ne changera jamais. Dans cette histoire, on rend visite à un proche à l'hôpital, empli d'un curieux mélange d'inquiétude et de soulagement ; les dégâts sont indéniables mais le pire a été évité. On prend aussi le temps de songer à l'immensité de l'Univers, de se rappeler qu'on ne tient pas à grand chose et que tout choix débouche sur la création d'une nouvelle route... Mais on prend surtout le temps de se rassurer. De se regrouper au coin du feu, guitare à la main, se serrer fort les uns contre les autres et chanter à l'unisson que la vie a beau manquer de sens, on est plus fort à plusieurs pour l'affronter. Alors enfin, on prend notre courage à deux mains, on se jette à l'eau et on se souvient qu'on sait nager, parce que Maman nous a appris à le faire il y a des années et des années. Et on nage, on nage, malgré les déchets qui flottent à la surface et croupissent au fond. On ne s'arrête que pour reprendre des forces, et imaginer le tourbillon des possibles qui nous attend une fois qu'on décidera de reprendre la route.
Dear future self
I used to be fine because you always seemed so far away
But now I feel our paths getting closer each day
It's rather strange
Alors oui, dans tout ça il y a de quoi être un peu perdu. Pour sûr ça ne dure qu'une petit demi-heure, mais on y retrouve un KKB qui a changé d'allure, avec son sérieux soudain, ce changement de son, les larmes qui perlent derrière le sourire. Mais le temps aidant, peut-être se met-on à voir les choses un chouïa différemment. Je parle d'expérience, du temps j'en ai eu un peu : j'ai commencé à écrire cette chronique il y a un peu plus d'un mois, le 24 octobre exactement. J'ai griffonné des trucs sur papier, j'en ai abandonné quelques uns ; j'ai commencé à la taper, je me suis arrêté, j'ai réécrit quelques lignes, puis l'ai laissée reposer. Un paragraphe par-ci par-là avant de retourner à l'angoisse de la page blanche. Et j'ai beaucoup, beaucoup écouté l'album. Je ne suis plus tout à fait identique à ce gars qui écrivait les premières lignes. Bon, j'ai pas encore de taff, ni mon fichu RSA, mais au moins j'ai mon permis. À force de me nourrir de l'énergie vitale de Kero Kero Bonito, je me suis mis à vivre à ses côtés, à m'habituer à ses étranges nouveautés abimées tant et si bien qu'elles me paraissent désormais plus familières que les kawaiieries passées. Et je me demande si Time 'n' Place c'est vraiment "les larmes derrière le sourire"... à vrai dire l'inverse me semble plus probable. Le sourire derrière les larmes, le soleil qui pointe timidement après l'averse (et hop, voilà l'arc-en-ciel de "Outside") ; non plus la mort qui s'infiltre dans la vie ni le réel qui fait irruption dans le rêve, mais peut-être davantage la vie qui renaît après le contact avec la mort, et où l'on s'autorise de nouveau à faire semblant.
Et puis on a beau dire que KKB a changé, le temps permet aussi de constater ce qui est resté pareil. Exemple : le groupe a toujours ce don de sculpter chacune de leur chanson de manière à en faire une image. Que ce soit via l'écrin sonore, les détails de la production ou la disposition des arrangements, voire les paroles d'une sincérité à toute épreuve ; de tout morceau de KKB ressort une image forte et quasi tangible. Il suffit d'écouter celui qui dans la tracklist pourrait passer (à tort !) pour le plus anodin : "Dump". La basse est aussi mécanique que les machines de la décharge, des bruitages faits au synthé illustrent la scène, des samples étouffés et bégayants étoffent davantage le paysage surchargé de déchets, la nappe dans le fond jette comme une chape de plomb sur cette fosse commune mais les petites mélodies éparses de synthé et les accords de guitare lentement égrainés confèrent un certaine vie au tas grouillant d'ordures. Et entre ces images, les transitions ne sont certainement pas anodines : "Dump" fait suite à "Flyway" ; après la chanson sur le départ des oiseaux, on part jeter la cage du perroquet à la décharge. Et après cela, l'absolue pureté des 30 premières secondes de "Make Believe" viennent chasser la saleté pour poser un espace vierge où le rêve règne en maître. Je ne vais pas encore toute les faire, j'ai déjà vomi un paragraphe sur le sujet plus haut.
Alors voilà, comme cette pochette bariolée et bordélique que je trouvais passablement laide à l'aube de notre relation et qui aujourd'hui m'évoque un instantané coloré, le souvenir d'une personne qui a voulu cristalliser son curriculum vitae au milieu de ces babioles rassemblées en vrac ; cet album a grandi en moi autant que j'ai grandi en lui, et avec lui. Oh certes, ça ne fait que deux mois... mais je pense que ce disque m'accompagne depuis bien plus longtemps, je l'avais dans ma peau avant de le rencontrer. Et maintenant qu'il est là, devant mes yeux et mes oreilles encore incrédules, je suis reconnaissant qu'il se soit incarné sous une si belle forme. Tant pis pour les clichés : avec Kero Kero Bonito, de l'autre côté de la Manche, je me sens un petit peu moins seul. Et le futur m'apparait moins sombre. C'est pas plus mal comme ça.
Life sure doesn't make sense
But on your boots you can bet
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Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_Wazoo |
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