The Caretaker
Everywhere At The End Of Time [Part 1-3] |
Label :
Autoproduit |
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La mémoire est traître.
Les souvenirs s'étiolent naturellement, se dégradent, dévorés par le temps qui n'épargne rien. Quelques variables dans l'histoire : une vitesse de dégradation, une discrimination... Qu'est-ce qui partira en premier, et quand ? Personne n'a envie d'en parler, et si un parent s'enfonce dans la démence, on le placera dans une institution ad hoc, c'est moins douloureux ainsi. En parler, c'est une chose. Et l'écouter alors ? C'est ce que propose Leyland Kirby, dont l'alias The Caretaker laisse entendre qu'il en a vu, des choses. De qui prend-il soin ? Peut-être de bonnes âmes atteintes par Alzheimer, car sa vision de l'oubli est saisissante. Depuis ses premiers pas sous ce nom, Kirby a démontré une fascination pour la mémoire et sa fragilité qui s'est traduite musicalement par des manipulations de vieux disques de Dixieland, qu'il s'attèle à dégrader manuellement, en en découpant des séquences qu'il répète comme si on l'oubliait à mesure, en accentuant les crépitement originaux du vinyle, donnant l'impression d'être confortablement dans un fauteuil devant un feu de cheminée qui brûle paisiblement dans le salon, bercé par ses crépitements rassurants. Mais dans ce salon, le temps passe différemment, et si l'on regarde un peu autour de soi, on peut entrevoir des fantômes échappés d'un autre temps danser en couple, tournant dans la pièce en une boucle dont la répétition semble aussi bien accroître l'intensité de la scène que d'y faire naître la confusion. Où suis-je, où cours-je, dans quel état j'erre ?
Si Kirby a déjà longuement travaillé la question par le passé, il a depuis 2016 décidé d'aller encore plus loin. Mettre fin à The Caretaker, mais non sans lui offrir un bouquet final : un projet de 6 albums dont chaque étape constituerait un nouveau stade de démence. Une dégradation progressive en 6 points. On en vient donc à l'objet dont entend causer cette chronique, qui compile les 3 premiers stades, formant la moitié de ce qui commence à se dessiner comme son Magnum Opus.
De stade en stade, l'évolution se fait plus "claire", si j'ose dire, que dans tout autre travail de The Caretaker. Si le premier volume n'est pas vraiment intéressant à écouter en soi – les morceaux sont très peu retouchés, c'est du redondant pour un Kirby qui a déjà fait bien mieux dans cette méthode devenue classique – le second corse tout de suite les choses, offrant un travail bien plus conséquent et plus subtil, s'attachant à intensifier certains arrangements tout en en affaiblissant d'autres, travaillant à "fantômiser" l'atmosphère avec brio, troublant les pistes tout en les rendant paradoxalement plus douloureusement perçantes, urgentes, désespérées, comme une bougie qui s'accroche désespéremment à ses dernières flammèches en brûlant plus fortement qu'auparavant. Les pistes sont retranscrites dans leur intégralité, comme une dernière lueur de sanité pourtant déjà altérée. Mais la rupture, la vraie, la décisive, vient avec le troisième stade. Le lâcher prise du psychisme, pour faire place à la grande dévoration d'un néant affamé qui n'attendait que ça ; que les dernières défenses cèdent. Les morceaux coupent en plein milieu sans crier gare, ou sont nimbés de drones cotonneux, par moments le micro crachote, et bute comme si un doigt malicieux en tapotait l'extrémité, certains arrangements sont bousillés pour ne laisser qu'un ou deux instruments dans une tourmente intimiste, d'autres pistes ne contiennent plus rien d'autre qu'un écho lointain, quand ce n'est pas simplement un vide abyssal qui nous engouffre jusqu'à étouffer toute lumière. Une bonne partie des 16 (!) pistes de ce troisième stade sont issues de morceaux déjà présents dans les stades précédents, mais les originaux sont méconnaissables. La solitude s'empare définitivement de nous, et pourtant c'est si beau, si émouvant...
Et maintenant quoi ? Où va-t-on ? Le diagnostic de démence sénile est sans appel, les attaches lâchent les unes après les autres alors que l'on prend doucement mais inexorablement la mesure du néant dans lequel ces souvenirs fantômes résonnent de plus en plus faiblement. Et ma fascination de s'accroître pour ce vide trop familier, tandis que s'affirme la question : si ce troisième stade est vraiment la moitié du chemin, comment diable trouvera-t-on le moyen de se rendre jusqu'au 6ème ? Sans basculer dans le gouffre.
Les souvenirs s'étiolent naturellement, se dégradent, dévorés par le temps qui n'épargne rien. Quelques variables dans l'histoire : une vitesse de dégradation, une discrimination... Qu'est-ce qui partira en premier, et quand ? Personne n'a envie d'en parler, et si un parent s'enfonce dans la démence, on le placera dans une institution ad hoc, c'est moins douloureux ainsi. En parler, c'est une chose. Et l'écouter alors ? C'est ce que propose Leyland Kirby, dont l'alias The Caretaker laisse entendre qu'il en a vu, des choses. De qui prend-il soin ? Peut-être de bonnes âmes atteintes par Alzheimer, car sa vision de l'oubli est saisissante. Depuis ses premiers pas sous ce nom, Kirby a démontré une fascination pour la mémoire et sa fragilité qui s'est traduite musicalement par des manipulations de vieux disques de Dixieland, qu'il s'attèle à dégrader manuellement, en en découpant des séquences qu'il répète comme si on l'oubliait à mesure, en accentuant les crépitement originaux du vinyle, donnant l'impression d'être confortablement dans un fauteuil devant un feu de cheminée qui brûle paisiblement dans le salon, bercé par ses crépitements rassurants. Mais dans ce salon, le temps passe différemment, et si l'on regarde un peu autour de soi, on peut entrevoir des fantômes échappés d'un autre temps danser en couple, tournant dans la pièce en une boucle dont la répétition semble aussi bien accroître l'intensité de la scène que d'y faire naître la confusion. Où suis-je, où cours-je, dans quel état j'erre ?
Si Kirby a déjà longuement travaillé la question par le passé, il a depuis 2016 décidé d'aller encore plus loin. Mettre fin à The Caretaker, mais non sans lui offrir un bouquet final : un projet de 6 albums dont chaque étape constituerait un nouveau stade de démence. Une dégradation progressive en 6 points. On en vient donc à l'objet dont entend causer cette chronique, qui compile les 3 premiers stades, formant la moitié de ce qui commence à se dessiner comme son Magnum Opus.
De stade en stade, l'évolution se fait plus "claire", si j'ose dire, que dans tout autre travail de The Caretaker. Si le premier volume n'est pas vraiment intéressant à écouter en soi – les morceaux sont très peu retouchés, c'est du redondant pour un Kirby qui a déjà fait bien mieux dans cette méthode devenue classique – le second corse tout de suite les choses, offrant un travail bien plus conséquent et plus subtil, s'attachant à intensifier certains arrangements tout en en affaiblissant d'autres, travaillant à "fantômiser" l'atmosphère avec brio, troublant les pistes tout en les rendant paradoxalement plus douloureusement perçantes, urgentes, désespérées, comme une bougie qui s'accroche désespéremment à ses dernières flammèches en brûlant plus fortement qu'auparavant. Les pistes sont retranscrites dans leur intégralité, comme une dernière lueur de sanité pourtant déjà altérée. Mais la rupture, la vraie, la décisive, vient avec le troisième stade. Le lâcher prise du psychisme, pour faire place à la grande dévoration d'un néant affamé qui n'attendait que ça ; que les dernières défenses cèdent. Les morceaux coupent en plein milieu sans crier gare, ou sont nimbés de drones cotonneux, par moments le micro crachote, et bute comme si un doigt malicieux en tapotait l'extrémité, certains arrangements sont bousillés pour ne laisser qu'un ou deux instruments dans une tourmente intimiste, d'autres pistes ne contiennent plus rien d'autre qu'un écho lointain, quand ce n'est pas simplement un vide abyssal qui nous engouffre jusqu'à étouffer toute lumière. Une bonne partie des 16 (!) pistes de ce troisième stade sont issues de morceaux déjà présents dans les stades précédents, mais les originaux sont méconnaissables. La solitude s'empare définitivement de nous, et pourtant c'est si beau, si émouvant...
Et maintenant quoi ? Où va-t-on ? Le diagnostic de démence sénile est sans appel, les attaches lâchent les unes après les autres alors que l'on prend doucement mais inexorablement la mesure du néant dans lequel ces souvenirs fantômes résonnent de plus en plus faiblement. Et ma fascination de s'accroître pour ce vide trop familier, tandis que s'affirme la question : si ce troisième stade est vraiment la moitié du chemin, comment diable trouvera-t-on le moyen de se rendre jusqu'au 6ème ? Sans basculer dans le gouffre.
Très bon 16/20 | par X_Wazoo |
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