Kayoko Yoshizawa
Yaneura Ju |
Label :
Nippon Crown Music |
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L'année a définitivement débuté pour les faiseurs de pop japonaise. Depuis le mois dernier ça s'est enchaîné, avec en vrac la pop/house/rap (oui oui) rutilante de Suiyobi no Campanella, la pop'n'roll de SHISHAMO (dans le genre classique mais charismatique), le foutoir spectaculaire de la glorieuse allumée Seiko Oomori, la pondeuse d'openings YUKI, bientôt la pop millimétrée du futur de maison book girl... j'en passe, et le défilé n'est pas près de s'arrêter. Au milieu de tout cela, l'underdog rétro, l'espiègle mélodiste Kayoko Yoshizawa qui depuis son formidable grenier nous pond avec une régularité et une constance remarquable des EPs et albums de plus en plus accomplis, et qui vient avec son nouveau Yaneura Ju (que reverso me traduit par "une bête de mansarde", à comprendre comme "le monstre du grenier" plutôt que comme "trop de la balle cette mansarde !"), de sortir rien de moins que son meilleur album, surpassant au passage ses collègues du pays d'une bonne coudée.
Dans le marché bondé de la Jpop, ce qui distingue Kayoko de ses pairs c'est aussi bien son style à la fois éclectique et sobre, que sa capacité à composer des morceaux (et dans le cas du petit nouveau des albums) léchés et cohérents. Je m'attarderai particulièrement sur son style – et quel style ! Kayoko n'est pas de celles dont on tombe amoureux au premier coup d'oeil, elle n'est ni très expansive/extravertie, ni particulièrement originale à proprement parler (pas comme une Jun Togawa, une Sheena Ringo ou encore plus récemment Seiko Oomori qui marquent plus immédiatement les esprits). Pourtant le charme est bien là, seulement il offre à l'auditeur de passage un visage assez ordinaire, il inspire la sympathie sans déchaîner les passions. Avec Kayoko, ce genre de choses prend du temps. Il faudra bien lui accorder quelques moments privilégiés de votre vie, en faire votre coloc pour un temps, avant qu'elle ne dévoile tout son talent et ne vienne facétieusement butiner vos oreilles en fleur.
Kayoko a toujours versé dans un style très rétro, loin des fulgurances hystérico-éclatées de son temps, préférant aller puiser dans des genres plus classiques pour habiller ses morceaux. Ce qui a le double effet paradoxal de lui donner des airs désuets, passée de mode, tout en la rendant remarquable précisément par son évitement de la zeitgeist musicale de la scène Jpop. Mais une écoute attentive de ses morceaux rend limpide la logique du choix de la chanteuse : elle n'a pas besoin de ça. Pas besoin des artifices de production de notre ère, son songwriting se suffit à lui-même. Et voilà la le plus grand talent de Miss Yoshizawa ; mélodiste née, elle semble parfaitement incapable de composer une chanson médiocre. Evitant l'écueil du coq-à-l'âne gratuit dans lequel nombre de ses contemporains sautent à pieds joints pour mieux nous chatouiller la glande du grand spectacle, Kayoko compose dans les règles de l'art, avec une discipline et une rigueur qu'on devine absolues tant le moindre des morceaux de Yaneura Ju est un bijou taillé et poli avec un soin méticuleux. Chaque vers et refrain, chaque pont et pré-refrain se savoure comme un met des plus délicats – ce d'autant plus qu'ils sont habillés avec un goût sûr – j'y reviendrai. Chacune de ces 10 pistes est l'occasion pour Kayoko d'aborder un style et une ambiance différente – en gardant toujours un pied fermement ancré dans la pop.
Après nous avoir posé un préambule faux-jazz en trompe-l'oeil, la demoiselle décolle en trombe pour un voyage qui inclura western morriconien effréné, folk épurée à la Ichiko Aoba (et mon cœur défaille), récréation ludico-bucolique, scène de taxi entre film d'espionnage de charme et générique de Titi & Grominet, pop exotique sous l'soleil, funk rappé, valse parisienne de grand roman... avec en guise de conclusion l'ending d'animé parfait. J'ai souvent utilisé cette dernière comparaison de manière péjorative et réductrice, c'est tout l'inverse ici ; matez moi c'te climax émotionnel qui vise le cœur sans la moindre pitié...
Je pourrais presque m'arrêter là, après tout je viens principalement vers Kayoko pour écouter des chansons pop racées qui tuent, et c'est ce que j'ai eu en abondance. Mais il me reste encore à préciser en quoi Yaneura Ju est un accomplissement tout particulier – certes au sein de la scène Jpop mais surtout dans la carrière de l'artiste elle-même. La pochette déjà nous indiquait qu'on était pas en présence d'une collection de chansons comme les autres, et pour cause : Kayoko n'y figure pas en personne ! À la place, illustrant son titre, un mystérieux dessin affichant une lueur blanche qui paraît pulser, déchirant la nuit. Une lumière émise d'un grenier.... Est-ce là notre chanteuse qui illumine les alentours de sa créativité aveuglante, depuis sa petite mansarde ? Quoiqu'il en soit, après deux albums dont les pochettes respiraient une certaine épure, avec une Kayoko qui posait l'air pensive, le changement est bienvenu, comme si la disparition d'une image explicite d'elle-même annonçait qu'elle venait aujourd'hui proposer plus qu'une simple collection de chansons à son nom : une vision d'ensemble regroupée sous un visuel évocateur. Alors bon mon fantasme s'arrête là puisqu'aux dernières nouvelles je ne bite rien au japonais, donc si concept il y a il me passe complètement au dessus de la tête. En revanche musicalement l'unité est bien là. Quand bien même Kayoko explore un large spectre stylistique, comme elle l'a toujours fait, l'album sonne comme un tout franchement cohérent – ce qui est une première ! Les arrangements sont classieux et mesurés ; ils débordent de personnalité et d'énergie mais collent toujours parfaitement à la composition qu'ils habillent (voire parfois lui donnent un contexte bienvenue, comme cette intro gentiment cacophonique à la flûte sur la 4ème piste, qu'on identifie rapidement comme étant une classe d'enfants qui répètent sur leur instrument ; tant et si bien que lorsque la maîtresse débarque et lance le morceau, chaque " break " de flûte nous renvoie l'image attendrissante de ces élèves qui s'exécutent en chœur) de telle manière qu'on a jamais l'impression d'avoir besoin d'un sas de décompression entre chaque virage stylistique.
Et hop, tout est dit. Pourquoi Yaneura Ju est l'album le plus ambitieux et accompli de la carrière de Kayoko Yoshizawa, pourquoi il se distingue dans la scène Jpop (même si vous êtes a priori révulsés par le style et diabétiques, je vous conseille d'y jeter une oreille, ça me semble très accessible pour des oreilles occidentales), pourquoi je l'écoute en boucle sans me lasser, pourquoi j'attends le suivant l'année prochaine avec une impatience à peine contenue, pourquoi j'ai commencé à économiser depuis la mi-mars pour m'acheter un billet d'avion pour Tokyo, une bague de fiançailles et du courage.
Dans le marché bondé de la Jpop, ce qui distingue Kayoko de ses pairs c'est aussi bien son style à la fois éclectique et sobre, que sa capacité à composer des morceaux (et dans le cas du petit nouveau des albums) léchés et cohérents. Je m'attarderai particulièrement sur son style – et quel style ! Kayoko n'est pas de celles dont on tombe amoureux au premier coup d'oeil, elle n'est ni très expansive/extravertie, ni particulièrement originale à proprement parler (pas comme une Jun Togawa, une Sheena Ringo ou encore plus récemment Seiko Oomori qui marquent plus immédiatement les esprits). Pourtant le charme est bien là, seulement il offre à l'auditeur de passage un visage assez ordinaire, il inspire la sympathie sans déchaîner les passions. Avec Kayoko, ce genre de choses prend du temps. Il faudra bien lui accorder quelques moments privilégiés de votre vie, en faire votre coloc pour un temps, avant qu'elle ne dévoile tout son talent et ne vienne facétieusement butiner vos oreilles en fleur.
Kayoko a toujours versé dans un style très rétro, loin des fulgurances hystérico-éclatées de son temps, préférant aller puiser dans des genres plus classiques pour habiller ses morceaux. Ce qui a le double effet paradoxal de lui donner des airs désuets, passée de mode, tout en la rendant remarquable précisément par son évitement de la zeitgeist musicale de la scène Jpop. Mais une écoute attentive de ses morceaux rend limpide la logique du choix de la chanteuse : elle n'a pas besoin de ça. Pas besoin des artifices de production de notre ère, son songwriting se suffit à lui-même. Et voilà la le plus grand talent de Miss Yoshizawa ; mélodiste née, elle semble parfaitement incapable de composer une chanson médiocre. Evitant l'écueil du coq-à-l'âne gratuit dans lequel nombre de ses contemporains sautent à pieds joints pour mieux nous chatouiller la glande du grand spectacle, Kayoko compose dans les règles de l'art, avec une discipline et une rigueur qu'on devine absolues tant le moindre des morceaux de Yaneura Ju est un bijou taillé et poli avec un soin méticuleux. Chaque vers et refrain, chaque pont et pré-refrain se savoure comme un met des plus délicats – ce d'autant plus qu'ils sont habillés avec un goût sûr – j'y reviendrai. Chacune de ces 10 pistes est l'occasion pour Kayoko d'aborder un style et une ambiance différente – en gardant toujours un pied fermement ancré dans la pop.
Après nous avoir posé un préambule faux-jazz en trompe-l'oeil, la demoiselle décolle en trombe pour un voyage qui inclura western morriconien effréné, folk épurée à la Ichiko Aoba (et mon cœur défaille), récréation ludico-bucolique, scène de taxi entre film d'espionnage de charme et générique de Titi & Grominet, pop exotique sous l'soleil, funk rappé, valse parisienne de grand roman... avec en guise de conclusion l'ending d'animé parfait. J'ai souvent utilisé cette dernière comparaison de manière péjorative et réductrice, c'est tout l'inverse ici ; matez moi c'te climax émotionnel qui vise le cœur sans la moindre pitié...
Je pourrais presque m'arrêter là, après tout je viens principalement vers Kayoko pour écouter des chansons pop racées qui tuent, et c'est ce que j'ai eu en abondance. Mais il me reste encore à préciser en quoi Yaneura Ju est un accomplissement tout particulier – certes au sein de la scène Jpop mais surtout dans la carrière de l'artiste elle-même. La pochette déjà nous indiquait qu'on était pas en présence d'une collection de chansons comme les autres, et pour cause : Kayoko n'y figure pas en personne ! À la place, illustrant son titre, un mystérieux dessin affichant une lueur blanche qui paraît pulser, déchirant la nuit. Une lumière émise d'un grenier.... Est-ce là notre chanteuse qui illumine les alentours de sa créativité aveuglante, depuis sa petite mansarde ? Quoiqu'il en soit, après deux albums dont les pochettes respiraient une certaine épure, avec une Kayoko qui posait l'air pensive, le changement est bienvenu, comme si la disparition d'une image explicite d'elle-même annonçait qu'elle venait aujourd'hui proposer plus qu'une simple collection de chansons à son nom : une vision d'ensemble regroupée sous un visuel évocateur. Alors bon mon fantasme s'arrête là puisqu'aux dernières nouvelles je ne bite rien au japonais, donc si concept il y a il me passe complètement au dessus de la tête. En revanche musicalement l'unité est bien là. Quand bien même Kayoko explore un large spectre stylistique, comme elle l'a toujours fait, l'album sonne comme un tout franchement cohérent – ce qui est une première ! Les arrangements sont classieux et mesurés ; ils débordent de personnalité et d'énergie mais collent toujours parfaitement à la composition qu'ils habillent (voire parfois lui donnent un contexte bienvenue, comme cette intro gentiment cacophonique à la flûte sur la 4ème piste, qu'on identifie rapidement comme étant une classe d'enfants qui répètent sur leur instrument ; tant et si bien que lorsque la maîtresse débarque et lance le morceau, chaque " break " de flûte nous renvoie l'image attendrissante de ces élèves qui s'exécutent en chœur) de telle manière qu'on a jamais l'impression d'avoir besoin d'un sas de décompression entre chaque virage stylistique.
Et hop, tout est dit. Pourquoi Yaneura Ju est l'album le plus ambitieux et accompli de la carrière de Kayoko Yoshizawa, pourquoi il se distingue dans la scène Jpop (même si vous êtes a priori révulsés par le style et diabétiques, je vous conseille d'y jeter une oreille, ça me semble très accessible pour des oreilles occidentales), pourquoi je l'écoute en boucle sans me lasser, pourquoi j'attends le suivant l'année prochaine avec une impatience à peine contenue, pourquoi j'ai commencé à économiser depuis la mi-mars pour m'acheter un billet d'avion pour Tokyo, une bague de fiançailles et du courage.
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
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