The Hotelier
Home, Like Noplace Is There |
Label :
Tiny Engines |
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Ouvrez les rideaux. Tel est le premier ordre qui nous est intimé dès la magnifique introduction de ce Home, Like Noplace Is There, second album de The Hotelier, sorti en 2014. Et il faut les ouvrir, en grand, tout comme nos oreilles et nos cœurs, car l'objet qu'on a entre les mains n'est ni plus ni moins qu'une œuvre magistrale sortie de l'imagination et des tripes d'une bande de jeunots originaires de Worcester (comme la sauce), jusque-là simple groupe de pop punk bercé à Samiam et autres Texas Is the Reason. Trois ans après leur premier effort (It Never Goes Out), Home, Like Noplace Is There allait propulser la bande du Massachussetts au beau milieu d'une vague qu'on a qualifiée d' "emo revival", aux côtés d'un Modern Baseball ou d'un The World Is a Beautiful Place & I Am No Longer Afraid to Die. Rangez d'ores et déjà vos préjugés, nous sommes très loin des formations ridicules et insupportables du début des années 2000, qui ont complètement travesti le qualificatif emo, souvent si controversé et incompris car aussi flou que le flou lui-même. Parlez de post-hardcore ou de pop punk, si vous préférez, car toutes ces familles peuvent se retrouver dans la musique d'un groupe comme The Hotelier, et l'étiquette est plus que secondaire, après tout. Mais il est fondamental de noter que contrairement à leurs traîtres d'aînés, cette nouvelle vague a parfaitement assimilé l'essence émotionnelle, rageuse et spontanée qui avait fait le succès des grands de ce genre, comme Mineral ou Sunny Day Real Estate.
Home, Like Noplace Is There est un disque qui semble être le fruit de plusieurs décennies de digestion musicale, tout en étant totalement ancré dans son époque. Le morceau d'ouverture, très sobrement intitulé "An Introduction to the Album", met la barre tellement haut qu'il est difficile d'imaginer meilleure suite : ambiance onirique faite d'arpèges lumineux et soutenue par le chant poussif et émouvant de Christian Holden, qui fera bientôt apparaître un piano discret et des chœurs grandioses en forme d'hymne, ou bien de valse populaire, lente et lancinante, avant l'entrée d'une batterie qui nous embarque dans le tourment ; et l'explosion. Et on reste subjugué. Étonné par tant de sensibilité et d'émotions dégagées en un condensé de 4 minutes 30. Soyons clairs : "An Introduction to the Album" est probablement l'un des morceaux les plus prodigieux de cette décennie, et mérite à lui seul qu'on se penche sur l'album, qu'on apprécie le style ou non. Cette introduction, si elle en est vraiment une, met les points sur les I avec une certaine grandiloquence : on aura droit, ici, à une émotion vraie, pas de la préfabriquée ; une émotion palpable et tangible au gré des riffs énergiques, des refrains salement accrocheurs et des passages d'accalmies proposés par le groupe. Au fil des titres, l'on reconnaîtra les diverses influences qui ont guidé la formation jusque-là : du pop punk le plus traditionnel, héritier de Lifetime et consorts ("The Scope of All of This Rebuilding", "In Framing"), à la pop folk ("Housebroken"), en passant par le screamo (le déluge de nerfs "Life in Drag") et l'emo déséquilibré et affreusement cliché des groupes de pleureuses des années 2000, qui se voit ici corrigé et remis à sa juste valeur ("Discomfort Revisited" en est le meilleur exemple).
Énergie punk débordant d'envie, cris non-maîtrisés déchirants et envolées mélodiques, plans sautillants, changements incessants de tempo et refrains à reprendre avec fureur, il n'y a absolument rien à jeter sur les 9 pistes qui composent Home, Like Noplace Is There ; si elles parlent presque toutes de la même chose (principalement de la quête d'identité et des relations humaines dévastatrices), dans la forme, chacune le dira de manière singulière, à sa façon.
Alternant douceur et agressivité, The Hotelier parvient merveilleusement à vomir son mal-être juvénile en 37 minutes, avec humilité et sans fioritures. Et certes, l'ensemble du disque pourrait sonner innocent, presque candide, mais demeure incroyablement impulsif et cohérent. D'une beauté simple et naturelle. On ne peut qu'en prendre plein la tête et les oreilles avec des titres comme "Your Deep Rest" (véritable leçon de ballade mid-tempo aigre-douce), le sublime et enivrant "Among the Wildflowers", peut-être point central de l'album, ou bien le magnifique "Dendron" qui vient parfaitement clôturer l'œuvre, toujours entre discrétion et puissance. Et après une ultime secousse d'émoi, sont reprises les premières notes de l'introduction, déformées, pour boucler la boucle, refermer la boîte de Pandore et les maux évacués de manière cathartique. Notons, également, un élément assez agréable pour être relevé : des textes brillamment travaillés, aux images évocatrices et aux métaphores bien propres à Holden, chanteur et bassiste de la formation. On est, encore une fois, bien loin des poncifs du pop punk ricain idiot ou narcissique. Les paroles ont ceci de folk qu'on a réellement l'impression qu'elles pourraient être entonnées à pleins poumons aussi bien par une fosse passionnée qu'autour d'un feu de camp. C'est aussi cet aspect très introspectif et cette pudeur mise à nue qui fait basculer le groupe dans le genre emo, presque fatalement, comme l'a indiqué le chanteur à la presse, non sans une ironie évidente.
La musique de The Hotelier, si elle n'a rien de fondamentalement original, transpire la sincérité et l'urgence, ce qui passe comme un véritable bol d'oxygène pour les amateurs de groupes dont les fantômes apparaîtront à l'écoute de Home, Like Noplace Is There. Outre ceux précédemment cités (Mineral et Sunny Day Real Estate en tête), on entendra par-ci par-là, aussi bien The Promise Ring que Hot Water Music (notamment avec les multiples embrouilles à la guitare, outrageusement simples mais diablement efficaces), The Get Up Kids et même des pionniers du style comme un The Hated rescapé des années 80. Si tout ceci fait indéniablement partie de l'ADN de The Hotelier, le groupe ne se contente pas de proposer ici un vulgaire patchwork de toutes ses inspirations, ni même de rendre simplement hommage à leurs pairs, et c'est bien là toute la force de Home, Like Noplace Is There : une œuvre singulière et extrêmement intime, les nerfs à vif et la chair en évidence, marquée d'hématomes qui ont beaucoup de choses à dire. Le groupe du Massachussetts dépasse le simple stade où il s'approprie des éléments et des codes du passé : il en fait quelque chose de thérapeutique et de personnel, avec un sens aigu de la mélodie et de l'émotion.
En résumé, et même s'il faut le réserver principalement aux inconditionnels du genre, Home, Like Noplace Is There est un parfait témoin générationnel d'une expression instinctive, d'un sentiment réfléchi que l'on a fait mûrir jusqu'à pouvoir lui donner des noms. Porté par le chant clair et les cris poignants de Christian Holden, agressif et fragile, The Hotelier redonne ses lettres de noblesse à une scène qui a pu être considérée successivement comme un vulgaire fossile non-identifié des années 90 ou un mouvement d'adolescents geignards et ostentatoirement ridicules. On pourra toujours en vouloir longtemps à ceux qui ont fait de l'emo (du vrai, celui qui était né du hardcore) ce truc infâme qui a été vendu au début des années 2000. Mais un album rafraîchissant et palliatif comme Home, Like Noplace Is There ne peut qu'être considéré comme une véritable cure de jouvence, et une pièce maîtresse qui en plus d'être extraordinaire, augure peut-être un renouveau sérieux pour le genre. Avant la prochaine maldonne ? Fermez les rideaux, fermez les yeux, respirez bien, jusqu'à la prochaine écoute.
Home, Like Noplace Is There est un disque qui semble être le fruit de plusieurs décennies de digestion musicale, tout en étant totalement ancré dans son époque. Le morceau d'ouverture, très sobrement intitulé "An Introduction to the Album", met la barre tellement haut qu'il est difficile d'imaginer meilleure suite : ambiance onirique faite d'arpèges lumineux et soutenue par le chant poussif et émouvant de Christian Holden, qui fera bientôt apparaître un piano discret et des chœurs grandioses en forme d'hymne, ou bien de valse populaire, lente et lancinante, avant l'entrée d'une batterie qui nous embarque dans le tourment ; et l'explosion. Et on reste subjugué. Étonné par tant de sensibilité et d'émotions dégagées en un condensé de 4 minutes 30. Soyons clairs : "An Introduction to the Album" est probablement l'un des morceaux les plus prodigieux de cette décennie, et mérite à lui seul qu'on se penche sur l'album, qu'on apprécie le style ou non. Cette introduction, si elle en est vraiment une, met les points sur les I avec une certaine grandiloquence : on aura droit, ici, à une émotion vraie, pas de la préfabriquée ; une émotion palpable et tangible au gré des riffs énergiques, des refrains salement accrocheurs et des passages d'accalmies proposés par le groupe. Au fil des titres, l'on reconnaîtra les diverses influences qui ont guidé la formation jusque-là : du pop punk le plus traditionnel, héritier de Lifetime et consorts ("The Scope of All of This Rebuilding", "In Framing"), à la pop folk ("Housebroken"), en passant par le screamo (le déluge de nerfs "Life in Drag") et l'emo déséquilibré et affreusement cliché des groupes de pleureuses des années 2000, qui se voit ici corrigé et remis à sa juste valeur ("Discomfort Revisited" en est le meilleur exemple).
Énergie punk débordant d'envie, cris non-maîtrisés déchirants et envolées mélodiques, plans sautillants, changements incessants de tempo et refrains à reprendre avec fureur, il n'y a absolument rien à jeter sur les 9 pistes qui composent Home, Like Noplace Is There ; si elles parlent presque toutes de la même chose (principalement de la quête d'identité et des relations humaines dévastatrices), dans la forme, chacune le dira de manière singulière, à sa façon.
Alternant douceur et agressivité, The Hotelier parvient merveilleusement à vomir son mal-être juvénile en 37 minutes, avec humilité et sans fioritures. Et certes, l'ensemble du disque pourrait sonner innocent, presque candide, mais demeure incroyablement impulsif et cohérent. D'une beauté simple et naturelle. On ne peut qu'en prendre plein la tête et les oreilles avec des titres comme "Your Deep Rest" (véritable leçon de ballade mid-tempo aigre-douce), le sublime et enivrant "Among the Wildflowers", peut-être point central de l'album, ou bien le magnifique "Dendron" qui vient parfaitement clôturer l'œuvre, toujours entre discrétion et puissance. Et après une ultime secousse d'émoi, sont reprises les premières notes de l'introduction, déformées, pour boucler la boucle, refermer la boîte de Pandore et les maux évacués de manière cathartique. Notons, également, un élément assez agréable pour être relevé : des textes brillamment travaillés, aux images évocatrices et aux métaphores bien propres à Holden, chanteur et bassiste de la formation. On est, encore une fois, bien loin des poncifs du pop punk ricain idiot ou narcissique. Les paroles ont ceci de folk qu'on a réellement l'impression qu'elles pourraient être entonnées à pleins poumons aussi bien par une fosse passionnée qu'autour d'un feu de camp. C'est aussi cet aspect très introspectif et cette pudeur mise à nue qui fait basculer le groupe dans le genre emo, presque fatalement, comme l'a indiqué le chanteur à la presse, non sans une ironie évidente.
La musique de The Hotelier, si elle n'a rien de fondamentalement original, transpire la sincérité et l'urgence, ce qui passe comme un véritable bol d'oxygène pour les amateurs de groupes dont les fantômes apparaîtront à l'écoute de Home, Like Noplace Is There. Outre ceux précédemment cités (Mineral et Sunny Day Real Estate en tête), on entendra par-ci par-là, aussi bien The Promise Ring que Hot Water Music (notamment avec les multiples embrouilles à la guitare, outrageusement simples mais diablement efficaces), The Get Up Kids et même des pionniers du style comme un The Hated rescapé des années 80. Si tout ceci fait indéniablement partie de l'ADN de The Hotelier, le groupe ne se contente pas de proposer ici un vulgaire patchwork de toutes ses inspirations, ni même de rendre simplement hommage à leurs pairs, et c'est bien là toute la force de Home, Like Noplace Is There : une œuvre singulière et extrêmement intime, les nerfs à vif et la chair en évidence, marquée d'hématomes qui ont beaucoup de choses à dire. Le groupe du Massachussetts dépasse le simple stade où il s'approprie des éléments et des codes du passé : il en fait quelque chose de thérapeutique et de personnel, avec un sens aigu de la mélodie et de l'émotion.
En résumé, et même s'il faut le réserver principalement aux inconditionnels du genre, Home, Like Noplace Is There est un parfait témoin générationnel d'une expression instinctive, d'un sentiment réfléchi que l'on a fait mûrir jusqu'à pouvoir lui donner des noms. Porté par le chant clair et les cris poignants de Christian Holden, agressif et fragile, The Hotelier redonne ses lettres de noblesse à une scène qui a pu être considérée successivement comme un vulgaire fossile non-identifié des années 90 ou un mouvement d'adolescents geignards et ostentatoirement ridicules. On pourra toujours en vouloir longtemps à ceux qui ont fait de l'emo (du vrai, celui qui était né du hardcore) ce truc infâme qui a été vendu au début des années 2000. Mais un album rafraîchissant et palliatif comme Home, Like Noplace Is There ne peut qu'être considéré comme une véritable cure de jouvence, et une pièce maîtresse qui en plus d'être extraordinaire, augure peut-être un renouveau sérieux pour le genre. Avant la prochaine maldonne ? Fermez les rideaux, fermez les yeux, respirez bien, jusqu'à la prochaine écoute.
Excellent ! 18/20 | par Pumpkin Ben |
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