Les Acteurs De L'Ombre

Tout ce qui m'a animé, je l'ai toujours mené avec passion et jusqu'au boutisme. [samedi 28 avril 2018]

Arno Vice a voulu en savoir plus sur Les Acteurs de l'Ombre, sur le mode de fonctionnement, le mode de vie d'un label en 2018. Rencontre avec le dissert Gérald Milani.



Arno : Je vais commencer par une question qui vous semblera peut-être naïve mais, entre les sites de partage de musique (Bandcamp ou Soundcloud par exemple) et les logiciels MAO de plus en plus performants, je me demande parfois quel est l’intérêt pour une formation de signer sur un label. Aujourd’hui, il existe tous les outils pour s’auto produire, promouvoir sa musique, et comme il est de plus en plus fréquent que les formations signées doivent faire des avances de frais pour fabriquer leur disque ou partir en tournée, la tentation de l’indépendance absolue doit être grande.
Par conséquent, quelle est la plus value de Les Acteurs de l’Ombre ? Quels sont vos points forts et qu’est-ce qui fait qu’outre la qualité de votre catalogue, vous vous démarquez des autres labels ? La qualité de vos contacts ? La possibilité d’accéder à d’excellents studios d’enregistrement ? La garantie de partir en tournée ?


Gérald Milani : Sacrée question... Bien sûr, un groupe peut très bien réussir en étant en autoproduction, mais la vérité est pourtant flagrante. Combien sont-ils à tirer leur épingle du jeu, face à la proportion de groupes signés réussissant ? Un groupe en autoprod qui veut réussir doit tout d’abord être bien entouré, avec des personnes compétentes à chaque poste et acharnés de travail. Le groupe doit avoir une identité propre et un concept poussé, tout un plan de carrière pensé sur 10 ans au moins, avec des objectifs clairs et beaucoup d’investissement.
L’avantage de passer par un label, c’est de bénéficier de son expérience, de son réseau en termes de promo ou de distribution et peut être aussi, de son budget plus conséquent. Nous n'apportons rien de plus que les autres labels mais quelque chose qui nous ressemble. Un label doit être à l’image de ceux qui le font vivre, ainsi notre rôle est très complet et complexe. Nous faisons aussi bien du management, de la production que de la mise en relation. En effet, certains de nos groupes ont besoin d’un vrai accompagnement au quotidien. Nous pouvons par exemple les conseiller sur une orientation artistique ou encore nous occuper de certains travaux graphiques. Maintenant, nous sommes même capables de produire nos propres vidéos et photos promotionnelles. En outre, nous pouvons mettre nos groupes en relation avec des bookers, des artistes graphiques ou des studios d’enregistrement avec lesquels nous avons l’habitude de travailler. D’un point de vue général, pour tous nos artistes, nous nous occupons du pressage des supports audio, de leur distribution physique et digitale, de la promotion et de son suivi, de la production de merchandising et goodies. Il peut arriver que nous financions en partie les coûts studios et graphiques.
Par contre, je t’arrête, nous ne faisons pas de promesses. Nous faisons notre possible avec les moyens que nous avons, et un groupe chez nous n’est pas assuré de tourner ou d’enregistrer dans un super studio.



Arno : Au lancement du label, quels étaient vos objectifs ? Faire un métier d’une passion ? Devenir acteur de la scène et non plus spectateur ? Aviez-vous des modèles inspirants, des personnes ou des structures qui vous ont donné envie de vous lancer dans l’aventure ?

C’était une idée qui me trottait dans la tête depuis quelques années déjà mais, pris dans la spirale infernale qu’étaient le webzine et l’orga de concert, je n’avais vraiment pas le temps d’y réfléchir. J’ai créé l’association en 2001 et ce n’est qu’en 2008 que le label a été lancé, suite a une mutation professionnelle où j’ai dû laisser la présidence de l’asso. J’ai profité de ce changement de localisation pour m’y mettre. Il se trouve que Vaerohn, membre de l’association, cherchait un label pour son projet Pensées Nocturnes. Cela collait parfaitement à l’identité que je voulais donner au label.
Il n’y a pas eu un label en particulier qui m’a poussé à me lancer, même si je les admire, surtout les Français avec lesquels j’ai grandi : Osmose, Holy Records et Adipocère. Cela m’a juste paru naturel, après avoir chanté dans des groupes, tenu un webzine et organisé des concerts pendant 10 ans, il me fallait boucler la boucle. Il n’y avait pas d’objectif particulier, tout ce qui m’a animé, je l’ai toujours mené avec passion et jusqu’au boutisme.

Arno : Pensez-vous avoir atteint ses objectifs et les ambitions initiales sont-elles toujours les mêmes aujourd’hui ? Ou est-ce que les années d’expériences accumulées vous ont amené à revoir votre cible ?

Je n’ai jamais eu de vraies ambitions pour le label, juste faire mieux chaque année. Et en ce sens, c’est une réussite puisque nous pouvons encore nous épanouir avec cette activité, je crois que jusqu’à présent l’objectif a juste été de se faire plaisir. Tout s’est fait petit à petit, et je suis loin d’être le seul acteur du label. Mes nouveaux acolytes sont arrivés de manière plutôt providentielle au fur et à mesure du temps à partir de 2012, ils se sont investis et appropriés le label. Chacun y a trouvé sa place et est en charge de fonctions précises dans notre manière de gérer le label et ses sorties. Ils ont permis de pérenniser nos activités et les rendent plus qualitatives. Nous sommes désormais une équipe de 12 passionnés, aux formations et univers professionnels différents, mettant leurs compétences au service du label bénévolement.
Aujourd’hui nous arrivons à une étape, ou nous choisissons de rester comme nous sommes, ou nous essayons de développer encore le label et le professionnaliser, et là ça passe par beaucoup de boulot. Rendez-vous dans quelques années pour en reparler.



Arno : Vous vous présentez comme étant un label de Black Métal, au sens assez large du terme car les groupes qui sont chez vous en ont des approches radicalement différentes. Pourquoi vous restreignez-vous à ce style ? C’est une éthique ? Vous ne vous retrouvez pas dans l’esprit des groupes Death, Grind, Hardcore, etc. ? Ou est-ce la volonté de vous tenir à une ligne de conduite stricte, avec un catalogue homogène, afin de devenir La référence du Black Métal en France ?
Et le pendant de cette question : si demain un bon groupe non estampillé Black vous contacte, vous en faites quoi ? Vous le signez quand même, vous l’aiguillez sur des labels (concurrents ou partenaires) ou vous lui adressez une fin de non-recevoir ?


Pour une signature sur LADLO le groupe doit avant tout plaire à l’équipe. Nous avons des goûts variés et chacun à son mot à dire. Comme tu peux le voir sur notre roster, nos groupes bien qu’évoluant dans l’univers du Black Métal ont tous une identité propre et une approche différente du style.


Nous ne sommes pas fermés à d'autres genres. Le septième album de Monolithe sorti en janvier dernier en est le meilleur exemple ou encore l’album de Spectrale. Mais il faudra toujours que la musique du groupe présente une dimension atmosphérique dans un écrin de qualité. Nous ne nous posons pas de limite, si ce n'est que le groupe doit plaire à l’ensemble de l’équipe. C’est déjà une contrainte non négligeable.
Nous avons besoin d’être touché par les émotions que véhicule sa musique. Nous tenons à produire des groupes qui nous bouleversent au plus profond de nous. Nous voyons la musique comme cathartique, elle est un prolongement de notre être, de notre âme. Nos groupes sont tous différents mais se rejoignent dans cet aspect.
Nous avons presque tous les jours des groupes qui nous contactent, et cela dans des styles parfois assez éloignés. Mais nous signons très rarement de cette manière, souvent c’est plus personnel. Cela peut être un groupe avec lequel nous sommes amis de longue date, un groupe que nous découvrons en live, un groupe qu’on nous conseille, que nous découvrons au cours de nos pérégrinations sur Internet.

Arno : Aujourd’hui quelles sont vos priorités en tant que label ? Prendre du volume en signant plus de groupes ? Diversifier votre activité ? Renforcer la promotion des formations déjà chez vous ?

L’objectif est toujours de nous améliorer et en tant que label associatif mené uniquement par des bénévoles, on a du boulot sur la planche que ce soit en termes administratif ou comptable. La priorité à l’heure actuelle n’est pas forcément de signer plus de groupes, mais plutôt de tenter de garder nos fers de lance (dont des labels plus importants graissent la patte). Pour cela, nous devons leur fournir un service de qualité et en constante progression. Nous devons toujours proposer plus et être à l’écoute de leurs envies. Dans l’idée, il nous faut continuer à travailler sur le rayonnement du label à l’étranger, que nous développions la distribution et que nous continuions à défendre nos groupes du mieux que nous le pouvons.
Diversifier notre activité ? Nous faisons déjà quelques concerts de temps en temps, peut être que nous pourrions développer cette activité, nous y pensons, tout comme faire du booking.

Arno : Lorsque vous signez un nouvel artiste ou que vous montez un concert, une tournée ou un festival, quels sont les risques pour vous ? Quelle est la marge de manœuvre entre « je signe ce qui me plaît » et « je signe ce qui a du potentiel » par exemple ? Ou encore « je veux voir ce groupe sur scène donc j’organise le concert » et « ce groupe ramène du monde en concert, donc j’en organise » ? J’espère que ma question est claire…
Et, à l’inverse, quels sont les risques à ne pas diversifier son activité, ou à ne pas signer une formation de qualité mais dont on estimerait qu’elle ne sera pas financièrement rentable ?


Déjà, si je peux me permettre, nous n’avons jamais monté de tournée. Ce sont les bookers de nos groupes qui s’en occupent, même si évidemment, nous les appuyons en termes de promotion. Les risques lorsque nous signons un artiste ou que nous organisons un concert sont totalement différents, n’impliquant pas les mêmes enjeux et pas vraiment comparables en termes de budget. Monter un festival coûte beaucoup plus cher que sortir une prod, les risques s’avèrent plus grands.
Dans le cas d’un festival, il va de soit que la rentabilité de l’évènement rentre en première ligne de compte. Pour cela, nous devons faire un compromis entre le coût pour faire jouer un groupe et l’intérêt potentiel qu’il peut susciter. La question se pose pour chaque groupe, mais il est aussi question de vase communiquant… Il va arriver que nous payons cher un groupe par rapport à leur notoriété et inversement mais c’est toujours par choix. Il faut aussi prendre en compte l’affiche globale pour en estimer la force, l’équilibre entre les groupes, la variété, les exclusivités… Quand on réfléchit au line up d’un festival, on ne le fait pas pour nous (tous les groupes ne vont pas forcément nous plaire / hormis dans le cas du LADLO Fest évidemment), mais pour les gens. On fait en sorte que notre affiche intéresse le plus grand nombre, ou tout du moins la cible que nous visons. Ce qui ne nous empêche pas pour autant de faire jouer des coups de cœur qui peut-être n’intéressent que nous.
Lorsqu’on signe un groupe, la démarche est tout autre. Nous le faisons parce que nous croyons en ce groupe, parce que nous avons envie de bosser avec lui, parce que nous avons envie de le faire connaître, parce que sa musique nous fait vibrer. Notre démarche est beaucoup moins mercantile, et la question de rentabilité passe au second plan. Toute fois, nous estimons en général le nombre de produits phonographiques que nous pouvons espérer vendre, je parle là du potentiel commercial d’une sortie. Nous pensons donc nos investissements en fonction de ce que nous prévoyons de récupérer, le risque est ainsi limité.

Arno : Les Acteurs de l’Ombre ont aujourd’hui une image de label solide, vous avez su asseoir votre réputation notamment grâce à la qualité de vos signatures et au soin apporté à l’image des groupes mais les bénéfices sont-ils à la hauteur de l’investissement ? D’un point de vue structurel, cela fonctionne comment chez vous ? Avec un mélange de salariés et de bénévoles ? Le Black Métal finit par payer un peu ou c’est encore une histoire d’amour et d’eau fraîche entre vous ?

Merci pour tes compliments. Comme nous choisissons nos groupes précautionneusement, en général ils présentent un concept et une musique de qualité, il est rare qu’ils proposent des visuels dénués d’intérêt. C'est un ensemble, une intelligence globale.
Romain notre graphiste maison travaille sur beaucoup de nos layouts box, digipacks, LP & tape. Il a permis au label d’avoir une image plus professionnelle, une sorte de charte graphique... Avant son arrivée en 2013, je demandais des coups de main à droite et à gauche, mais il n’y avait pas d’unité. D’autre part, chaque groupe est libre de proposer et choisir son artwork et un artiste. Nous mettons également nos groupes en relation avec des graphistes, bookers, studios lorsque cela est nécessaire. Nous avons une dimension accompagnement / management qui peut être plus ou moins grande suivant les groupes. Nous nous adaptons pour donner le meilleur de nous-même et permettre à chacun d'avoir toutes les cartes en main pour progresser.
Même si notre chiffre d’affaires est en permanente progression, nous n’avons jusqu’alors jamais pu salarier quelqu’un. Ainsi, nous sommes tous bénévoles. Difficile de gérer le plus professionnellement possible une activité aussi diversifiée qu’un label et avec des interlocuteurs pro, lorsqu’on le fait en plus de nos propres boulots, familles, occupations… Nos rôles sont assez bien définis : Je suis le manager, je vais impulser les actions et assurer un suivi des différents projets à mener. J’ai une vision globale sur le label en termes administratif, comptable et artistique. Jean est en charge des commandes clients et gestion des stocks, Noemy & Blandine travaillent sur la promo / communication. Romain est notre directeur artistique / infographiste. Il est aussi en lien avec les usines pour les pressages et diverses fabrications. Il est épaulé par Pablo pour toutes l’infographie (artwork, pub, flyer, layout, merch...). Alexandre est notre traducteur anglais / français et bosse aussi sur la promotion. Virginie et Lily nous aide à animer nos réseaux sociaux. Seb est notre webmaster et a réalisé notre nouveau site, Anne-Laure est dorénavant notre administratrice et photographe attitrée, Anthony nous a rejoint en qualité de chargé projet vidéo. Enfin, il y a Sarah pour la tenue et la préparation des stands lors de festival et qui est aussi notre trésorière. Sans oublier toutes les petites mains qui nous aident lors des week-ends label ou pour la tenue des stands estivaux.
Arno : Pourrions-nous parler de votre actualité ? Quelles sont les sorties à ne pas manquer ? Quels sont vos fers de lance ? Et pourriez-vous ajouter un mot sur les disques ou les signatures dont vous êtes les plus fiers si jamais il y en a ? Je pense à Au-dessus par exemple, ou encore à Arkhon Infaustus pour son grand retour…



Récemment nous avons sorti le troisième album de Aorlhac qui est une grosse tuerie épique, ainsi que l’album de Hyrgal, une ode Black Métal personnelle et noire de Clément (ex Svart Crown) et l’édition LP du premier album de Maïeutiste. Courant mai sortira la première édition LP du chef d’œuvre de Pensées Nocturnes Grotesque et, à l’occasion du Hellfest, nous sortirons comme chaque année notre sampler LADLO, mais également le nouvel album de Moonreich et la réédition de Castelum de Darkenhold en digipack avec 3 titres bonus.
Si tu me demandes en termes de notoriété, Regarde les hommes tomber, Au-dessus et Déluge sont les groupes actuellement sur notre roster qui remportent le plus de succès. Chacune de leur release a été rééditée une ou plusieurs fois et ils parcourent l’Europe grâce à des tournées toujours plus intéressantes. Nous pouvons aussi parler de The Great Old Ones qui sont depuis leur troisième album chez Season Of Mist. Nous sommes très fiers de notre rôle de découvreur de talent. En effet, la plupart de nos groupes sortent leur premier album sur LADLO.
Il n’y a aucune sortie du label dont je ne suis pas fier, mais si je devais n’en citer que quelques-unes, en plus des groupes précédemment cités, je dirais Arkhon Infaustus (pour des raisons évidentes), Monolithe (album magistral), Pensées Nocturnes (la naissance du label), Aorlhac (un des meilleurs albums de tous les temps) et Pénitence Onirique (spatial, atmosphérique et novateur). Chacune a permis au label de progresser et de se surpasser. Il y a des sorties que j’aurais adoré voir plus retentissantes : Maïeutiste, Wildernessking, Paramnesia et In Cauda Venenum.

Arno : Pour revenir un instant sur votre cœur de métier, quel est votre processus de recrutement pour les formations débutantes ? Vous avez des gens sur le terrain qui chassent les groupes locaux et vous proposent les plus prometteurs ? Ils vous contactent directement avec une démo ? Vous faites confiance au feeling et au hasard de la vie ?

Aujourd’hui pour choisir un artiste, il va de soi que nous avons certaines doléances mais c’est le cœur qui nous guide. Pour une signature sur LADLO le groupe doit avant tout plaire à l’équipe. Comme tu peux le voir sur notre roster, nos groupes bien qu’évoluant dans l’univers du Black Metal ont tous une identité propre et une approche différente du style. Mais il faut savoir que nous refusons 99% des groupes qui nous démarchent car nous sommes très sélectifs. Concernant la manière dont nous rencontrons les groupes, il n’y a pas de règle, je l’ai un peu expliqué plus haut. Et oui, c’est toujours le feeling qui nous guide.

Arno : Merci pour votre temps, et merci tout court pour le plaisir que je prends à écouter chacune de vos sorties.

Merci beaucoup pour ton soutien.






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