La Tène
"La Tène, une musique de Champions." [vendredi 24 mars 2017] |
Convié au Sonic Protest, votre serviteur a le privilège de rencontrer les vétérans de la scène expérimentale franco-suisse de La Tène (groupe récent mais membres émérites) à la Marbrerie de Montreuil. Je les rencontrerai après leur passage sur scène, une prestation époustouflante qui me laisse par terre, au figuré - et pas loin du sens propre.
L'interview se déroule dans le brouhaha général : les backstages ne parviennent pas à étouffer le son massif de Orgue Agnès qui emboîte le pas à la Tène sur scène, et l'ambiance est bon enfant. On ne se prend pas au sérieux plus que ça. Entre érudition et déconnade, l'interview se permet quelques dérapages plus ou moins contrôlés, l'un des trois membres préfèrera rester dans l'ombre et laisser ses deux compères me conter fleurette à sa place. Avec Cyril Bondi (batterie), Alexis Degrenier (vielle à roue) et D'incise (harmonium indien), on parlera tour à tour d'improvisations qui n'en sont pas, de répétition, de folklore qui n'en est pas, de faux empreints à de vraies traditions, répétition, de Pétain, d'androïdes, de productivité, de répétition et surtout, surtout de la sociologie du champion.
Propos recueillis par Wazoo
L'interview se déroule dans le brouhaha général : les backstages ne parviennent pas à étouffer le son massif de Orgue Agnès qui emboîte le pas à la Tène sur scène, et l'ambiance est bon enfant. On ne se prend pas au sérieux plus que ça. Entre érudition et déconnade, l'interview se permet quelques dérapages plus ou moins contrôlés, l'un des trois membres préfèrera rester dans l'ombre et laisser ses deux compères me conter fleurette à sa place. Avec Cyril Bondi (batterie), Alexis Degrenier (vielle à roue) et D'incise (harmonium indien), on parlera tour à tour d'improvisations qui n'en sont pas, de répétition, de folklore qui n'en est pas, de faux empreints à de vraies traditions, répétition, de Pétain, d'androïdes, de productivité, de répétition et surtout, surtout de la sociologie du champion.
Propos recueillis par Wazoo
Wazoo : Alors c'était pas scripté à la base, j'avais prévu de pas le dire si jamais le concert était nul mais du coup : super concert !
Cyril Bondi, pointant mon antisèche : C'est marqué là.
Vraiment incroyable. Vous l'avez senti comment ?
Alexis Degrenier : C'était cool. Malgré quelques petits blèmes de son, y avait des micros qui pétaient un peu, mais ça va.
En ce moment vous êtes en pleine tournée ? Vous êtes venus spécialement pour la date du Sonic Protest ?
Alexis : On a cherché autour en fait. On a eu la date du Sonic Protest, puis deux dates qui se sont rajoutées, on joue au moins à Nantes et à Bruxelles pour les prochains jours.
La tournée se passe comment ? Vous avez sorti vous premier album l'année dernière [ndlr : chroniqué en ces pages, n'hésite pas à aller y jeter un œil curieux manant], je suppose que vous ne tournez que depuis récemment.
Alexis : On a tourné ensemble à plusieurs reprises – on commence à se connaître depuis un moment déjà. Et par rapport à notre tournée... on a joué dans des salles très différentes, vraiment ; par exemple on a fait des gros festivals l'année dernière au moment de la sortie de l'album, après on a pu jouer dans des petites salles. Les dates sont très différentes à chaque fois.
Cyril : Finalement c'est une musique qui s'y prête – ça on l'a découvert au cours de nos expériences – entre des dates comme celle-ci où on a une grosse salle où on peut bien envoyer et d'autres peut-être un peu plus intimistes... ça marche ! Notre son fonctionne bien dans divers contextes.
C'est une des interrogations que j'avais avant de venir ; j'ai beaucoup apprécié le son que vous aviez sur votre album, et comme le studio permet vraiment de le contrôler à la perfection j'appréhendais un peu le rendu live. En fin de compte j'ai trouvé ça encore plus puissant qu'en studio donc autant pour mes inquiétudes.
Alexis : Bah après on joue quand même assez différemment selon les lieux, même si on garde la structure de fond ; ça peut dépendre du public, de la quantité de gens dans la foule, l'action du jeu varie quand même pas mal.
Cyril : Y a quand même l'envie d'un son assez généreux tu vois, on cherche en général la limite de ce que la salle peut permettre. On est pas dans un registre hyper acoustique...
Alexis : ...mais en évitant aussi de tomber dans l'extrême opposé, dans le noise, cette idée de limite est plutôt bien, on essaie de se situer un peu à cet endroit là.
Comment en êtes vous arrivés à jouer ensemble tous les trois ? Vous avez tous un CV assez chargé et divers, en solo ou en groupe – D'incise et Cyril vous jouez ensemble dans Diatribes notamment...
Cyril : Oui nous on travaille ensemble depuis très longtemps maintenant – une bonne grosse dizaine d'années voire plus – dans des projets très différents, expérimentaux, du minimal, enfin voilà pas forcément propre à ce qu'on fait avec la Tène. Et Alexis...
Alexis : J'ai aussi un gros parcours dans ces musiques là oui.
Cyril : Après Alexis a un label appelé Drone Sweet Drone, sur lequel il a d'abord sorti un solo de D'incise, puis un de mes albums, ensuite on a tourné à Nantes où il habitait à l'époque, et c'est comme ça qu'on s'est rencontré et commencé à enregistrer ensemble. Mais plutôt des musiques expérimentales à ce moment là, il y a eu ensuite une sorte de déclic, une envie de faire autre chose de complètement différent.
Alexis : On a des parcours complètement parallèles. Par exemple D'incise fait aussi de la musique électronique mais il a beaucoup écouté de musiques traditionnelles, de musique jamaïcaine... À côté de ça moi j'ai écouté énormément de musiques traditionnelles – j'ai fait des études de musicologie étant plus jeune –, toi Cyril tu as joué dans Plaistow, dans le jazz répétitif.
Cyril : L'envie de la rencontre est partie presque plus d'une envie concept, par exemple jouer de la musique plus généreuse – notamment en comparaison à ce qu'on faisait avec D'incise – y avait l'envie d'envoyer plus. Après c'est ce que t'as entendu, la répétition, des gestes de batteur très définis, sans break, sans réflexe ridicule de batteur ; j'essaie de garder une ligne. On est d'abord parti de ces consignes de jeu, plutôt que de l'idée d'un résultat.
Sans avoir parcouru la moitié de vos carrières respectives – Alexis je te connais via Tanz Mein Herz mais vous deux plutôt via votre face jazz ou improvisation, plutôt free – je me demandais si ça a nécessité un coup à prendre pour jouer de façon si répétitive, si monolithique.
Cyril : Dans les projets que je ne fais pas avec D'incise – ce qui fait relativement peu, on travaille énormément ensemble – j'ai toujours essayé de tirer vers ce rapport là. Je suis fasciné par ce concept de répétition, cette idée de geste répété et de ce que ça génère ; et dans notre travail sur Diatribes ce qu'on bosse en ce moment c'est autour de la répétition. Donc finalement la Tène c'est une étape complètement logique dans notre parcours. C'est même une concentration d'un truc qu'on travaille tous de manières différentes depuis plusieurs années. C'est beau ce que je viens de dire !
Alexis : C'est sexy ouais.
Je mettrai des notes à chacun à la fin.
Alexis : Tu pourras marquer : Cyril 5 étoiles. Sexe étoiles.
À propos des musiques traditionnelles, qui est une face qui m'intéresse tout particulièrement dans votre musique (étant passionné moi-même) ; j'ai découvert votre musique via le morceau qui était inclus dans la compile FOLK de la Souterraine, "La Thouraz di Sopra", et j'étais très intéressé par leur démarche de moderniser...
Alexis : Leur démarche à qui ?
Wazoo : Celle de la Souterraine.
Alexis : C'est pas leur démarche à eux. Il faut déjà clarifier ça. Eux ils font des compiles, ils organisent des concerts quoi. Bon je suis un peu cash, mais c'est pas leur démarche, il font de la comm. Tu peux le marquer j'ai aucun problème avec ça ! [ndlr : dont acte] Ce sont les groupes qui sont à l'intérieur qui ont des démarches parallèles...
Ce sont eux qui se sont concertés pour mettre en place le projet ?
Alexis : Non même pas, faut pas voir ça comme un travail collectif, c'est une vraie compile. Ils ont pioché là où ils trouvaient des projets qui leur convenait ; comme des gens comme La Nòvia, qui est un collectif qui travaille depuis 15 ans et qui s'est un peu plus montré depuis qu'ils sont dans la compile. Mais ça fait 15 ans, 20 ans, 25 ans pour certains qu'ils font ça. Sinon quant au terme de "moderniser", je pense que ça s'actualise en soi, je ne crois pas qu'il y ait de désir de moderniser mais après il y a les techniques d'amplification qui jouent...
Oui ce que je veux dire c'est que c'est modernisé par la force des choses.
Alexis : Par exemple nous on a un son amplifié, on joue avec d'autres instruments ; on a un harmonium, de la batterie, avec des effets, ce qui fait qu'on a un son un peu plus commun, connu surtout !
Pour ce qui est de la partie folklorique, je me demandais quelle part de ce que vous faites est basée sur la recherche de mélodies traditionnelles.
Alexis : On pioche vraiment des très petits bouts en fait, on travaille aussi sur d'autres projets avec cette approche, et à chaque fois on s'attache à juste un motif qui s'étend, se détend, revient ; cette idée de répéter un motif jusqu'à son extinction. Les motifs traditionnels qu'on utilise c'est plus des couleurs qu'on a dans l'instrumentarium. Pour le dernier morceau par exemple – qu'on a pas joué là – on est parti d'une mélodie qui s'appelle le Marchand de [truc en -o, bouffé par le bruit ambiant], mais au final y plus du tout de thème, on est parti de deux ou trois éléments qu'il y avait dedans et on en retire des micro-fragments.
Cyril : C'est une inspiration, mais je n'ai pas l'impression qu'on représente une musique traditionnelle. Finalement, l'idée d'une musique traditionnelle tu peux aussi la retrouver dans le jazz – ou n'importe quelle musique en fait. Tu reproduis quelque chose qui existe déjà, tu y mets quelque chose qui t'appartient, c'est le but du jeu. Moi de l'expérience que j'ai du jazz, j'ai l'impression d'avoir pris des éléments de jazz et d'en avoir fait ma propre musique – avec la Tène c'est exactement le même propos. Et de par l'instrumentarium qui n'a rien à voir avec un instrumentarium traditionnel ; ce sont des instruments anciens, mais pas classiques pour interpréter ce type de répertoire. L'idée de la Tène, des noms qu'on donne aux morceaux, etc, c'est un jeu avec les traditions.
C'est vous qui les avez inventés, ces titres ?
Cyril : Ce sont des vrais noms de lieux dits paumés, trouvés sur des cartes de montagne, ce genre de trucs ! On invente des traditions à partir de bouts de tradition.
Alexis : Et en fait cet assemblage il permet surtout pour moi de créer des espaces au sein desquels on évolue, à partir d'un simple motif joué et modulé différemment. On crée des espaces, dans la résonance des répétitions – jusqu'à la saturation de cet espace.
Je trouve ça assez fascinant la façon dont vous vous passez les variations, le rôle de faire varier s'échange de façon très naturelle ; l'un d'entre vous va se "bloquer" dans une boucle qui va se répéter et ce sera le job de quelqu'un d'autre de varier...
Alexis : Ouais y a un peu de ça ! Ce qui est passionnant d'après mon ressenti c'est que ça se fait de plus en plus naturellement ; maintenant on se regarde presque plus... On arrive à être surpris de certaines fulgurances, qui arrivent à force de jouer, d'être dans une aisance de jeu.
Cyril : Par rapport à la notion de durée, comme on travaille sur des formats plutôt longs [ndlr : 20 minutes par morceau à peu près], on doit justement réagir assez peu à ce qui se passe ; si y en a un qui évolue, les deux autres doivent être là pour tenir la machine. L'évolution se fait par paliers.
Plus globalement, vous sentez qu'il y a une évolution dans votre alchimie depuis vos débuts ? Vous improvisez différemment ?
Alexis : Est-ce qu'on improvise vraiment ? Honnêtement si on improvise ça va être "ah bah tiens à tel moment je vais rajouter cette note", en fait c'est très limité en termes d'improvisation.
Y a une trame de base ouais.
Alexis : C'est vraiment des microvariations.
Cyril : J'ai l'impression que plus on joue, plus on arrive à écouter ce qui se passe. Au début, techniquement tu te dis "il faut que je fasse ça et ça", maintenant y a une sorte de liberté dans l'écoute, j'ai l'impression que c'est plus ça ; on arrive plus facilement à faire varier la trame. Par rapport à mon postulat de base, j'espère de faire très peu bouger ce que je joue.
Alexis : Moi par exemple ce soir dans les interactions ce que j'ai fait c'est rester plus longtemps sur une note, parce qu'on voyait que Cyril était dans un ton énergique, dans un truc très corporel, il se fatiguait ; on joue l'un avec l'autre, on s'amuse même à se titiller ! J'appelle plus ça de l'improvisation, on part sur des minutages précis. On est des androïdes en fait.
C'est la révélation ça, le gros buzz de l'interview.
Alexis : Nous sommes venus conquérir la Terre, nous sommes des colons...
Cyril : C'est le moment où l'interview a basculé.
Alexis : … on est nés dans un cimetière... bon, hum.
C'est ce qui s'appelle avoir une micro-variation dans une interview. Sinon, concernant spécifiquement le studio, je me demandais à quel point les performances qu'on entend sont enregistrées live, si elles contiennent des rajouts, des overdubs, combien de temps il vous faut pour arriver à ce résultat...
Alexis : Non c'est du pur live, y a rien. À part du chant, mais on le met pas. On chante sur notre musique mais on le garde pas ! Après y a des Pour le nombre de prises, bien sûr la première était la bonne n'est-ce pas ?
Cyril : C'est des prises longues déjà, alors quand tu te merdes ça fait vraiment chier tout le monde !
Alexis : Héhé, mais y en a pas tant, par exemple pour "La Marche de Fahy" y a dû avoir quoi, 5 prises ?
Cyril : Ouais mais voilà, 5 prises t'es mort à la fin !
Donc avec ces 5 prises, la dernières est la bonne et PAF! on la garde telle quelle ?
Cyril : Dans le travail qu'on a fait, dans le studio qu'on a à Genève...
Alexis : Tiens ça c'est classe, "le studio qu'on a à Genève-euh"
Cyril : On a du temps, on a le temps de faire évoluer le truc ; le travail de compo et d'enregistrement est assez proche finalement. C'est moins genre "au bout de 5 prises on prend la meilleure" mais plutôt qu'on a l'occasion de travailler ensemble jusqu'à aboutir à la bonne prise.
Alexis : Le dernier morceau qu'on a joué ce soir, qui sera sur le prochain disque ; on était pas satisfait d'un autre morceau et là on l'a enregistré en quasi une journée...
Cyril : Oui tu vois on enregistre, et on se rend qu'un truc ne va pas – même pas à la réécoute, simplement en le jouant – et donc on fait évoluer ça vers la bonne prise, vers le morceau qui nous plait vraiment. Donc ça s'avère être la dernière prise. C'est plutôt ce rapport là.
Alexis : Et puis la drogue.
Cyril : Oui c'est hyper important.
Alexis : J'te rappelle quand même que c'est un site de rock, faut être rock.
Ah bah oui, si tu avais les yeux révulsés sur scène Alexis c'est évidemment parce que tu étais sous l'emprise.
Cyril : Si tu voyais la batterie de médocs qu'il prend tu t'étonnerais pas !
[Là un mec paraît gueuler au loin, insulter des gens, que se passe-t-il diable sur la scène de la Marbrerie ?]
J'avais une question qui suivait, mais qui partait du principe que vous improvisiez, du coup elle ne marche plus, mais je peux quand même la retourner pour vous la poser quand même ! Vouerca/Fahy est sorti l'année dernière et je me demandais comment vous envisagiez le rythme de parution ?
Alexis : On est un peu speed.
Cyril : On aimerait même être encore plus speed !
C'est ça qui m'interrogeait, pour caricaturer qu'est-ce qui vous empêche de dire "bah tiens demain on va aller en studio, on va enregistrer un truc et hop ça fera un album".
Alexis : On va faire en fonction de la production de vinyles et des labels en fait.
Ouais c'est ça qui va vous poser une limite.
Cyril : Par exemple là on a un album qui va sortir en septembre, encore 2 morceaux... Mais en fait au début je pensais que ça allait être comme tu dis ; on se retrouve, on joue, on garde le bon et on sort des albums à la pelle. Mais dans les faits on prend chaque fois des directions un peu différentes et dans une certaine mesure on doit voir comment elles s'inscrivent dans ce que la Tène devient. On a notamment fait une session studio qui ne nous plaisait pas du tout – où on a essayé d'utiliser d'autres types de répétitions mais ça marchait pas tout le temps. Donc il faut qu'on ait ce travail sur ce qu'on a envie de faire ensemble – et je trouve qu'on arrive de plus en plus à le définir.
Alexis : Là si tu veux on a un deuxième album qui sort en septembre mais on est déjà en train de penser au troisième. Il sera différent, mais on sait déjà ce que ça va être.
Cyril : L'envie en tout cas c'est d'être productif.
Il y a une démarche qui diffère vraiment de Vouerca/Fahy ou bien est-ce que c'est sa propre entité, dépendante de l'état d'esprit d'une session studio à un instant T.
Alexis : Je pense pas que ça se joue là-dessus. Y a de légères différences mais je pense qu'on reste sur la même logique.
Cyril : On a des idées et on essaie de les pousser jusque dans les limites de ce qui est possible. J'ai l'impression qu'on reste dans un cadre, mais au sein de ce cadre on va être capable d'en faire des milliards des morceaux comme ça ! Je me sens pas limité, on va sans doute toujours être en train de créer des nouvelles choses – du moment que ça marche sur 20 minutes.
Alexis : Jusqu'à ce qu'on puisse sortir un coffret hyper cher. On a des t-shirts à vendre maintenant !
Cyril : Ils sont pas là dans le merch', mais on a 6 t-shirts à vendre – à peu près 150 balles l'unité bien sûr. On les a chopé à l'auberge "La Tène", et y a marqué "La Tène c'est la fête". Et c'est pas des t-shirts c'est des marcels noirs.
Alexis : Des gros débardeurs noirs ouais. Et ils sont beau hein.
C'est eux qui vont vous rendre riches !
Alexis : Mais-euh on est déjà riches.
L'air de rien vous avez écoulé tout votre stock de vinyles !
Cyril : Ouais là on a sorti la deuxième édition.
Alexis : Et elle est tout aussi belle, je la préfère même à la première.
J'avoue préférer celle du premier...
Alexis : Alors va voir sur Discogs ; il faut savoir que sur Discogs on vend nos vinyles d'occasion ! Tu trouveras.
Je vous ferai pas de pognon c'est dommage.
Alexis : Ouais mais bon. [des potes à la Tène entrent dans les backstage, s'entame une brève discussion sur si on a le droit de fumer ou non]
C'est une interview de rock indé, vous pouvez fumer hein. Enfin bref je voulais aussi vous demander si vous n'aviez pas d'autres groupes à me recommander qui comme vous ont une approche qui s'attache à "faire vivre le folklore"...
Alexis : C'est mieux de dire musique traditionnelle que folklore. Folklore ça fige un côté "image d'épinal", Pétain et compagnie... 'fin bref. Non mais c'est vrai hein ! La folklorisation c'est un peu la mort des traditions.
D'accord, j'ai fait l'amalgame – je te demanderai des ouvrages qui en parlent.
Alexis : Le mien ! Folklore et tradition.
Cyril : Le folklore c'est un truc très politique. C'est les bretelles...
Alexis : … les cartes postales "Nos régions ont du talent" sur des camemberts. La folklorisation c'est ça. Quand je parlais de Pétain c'était à juste titre parce que c'est vraiment lui l'auteur de la folklorisation ; pour montrer que la France est forte...
Cyril : C'est des sentiments nationaux de merde, hein, c'est rassembler tout un peuple qui n'a rien à voir ensemble derrière des clichés – qui n'ont rien à voir avec les traditions d'ailleurs.
Alexis : Mais pour revenir à la question, niveau groupes y a par exemple Sourdure, la Nòvia, y a lui (indique un des deux types de Orgue Agnès qui vient de rentrer dans les backstages), pas l'autre hein, l'autre il est con. Y a des gens dans le Béarn qui se sont regroupés en un collectifs qui s'appelle Pagans. Y a pas mal de choses ! Mais pas tant que ça quand même...
Cyril : Quand même ! Et des générations de gens assez jeunes.
[Soudain une intervention extérieure fait dérailler l'interview, ce qui suit – retranscrit approximativement – est réservé aux champions, exclusivement]
Gwen (responsable de communication du festival, qui passe dans le coin) : Faut l'dire si vous en avez marre hein !
Alexis (avec un ton affecté) : Attends, on est sur la politique des masses là.
On parlait de Pétain, mais pas de problème : un commentaire là-dessus ?
Cyril : Je suis en train de parler de la sociologie du champion. Je fais une thèse sur...
Alexis : Sur le chant diphoniiiqueuuuh
Cyril : Non, sur la sociologie du champion.
Alexis : Hahaha ah oui c'est vrai putain ! C'est arrivé aujourd'hui ça.
Cyril : Comment ça c'est arrivé aujourd'hui, c'est un gros travail que je fais sur la notion de champion, qui est en fait dans le but de réveiller le champion qui est en chacun de nous.
Le coaching motivationnel à l'américaine, là ?
Cyril : Ah bah voilà on se comprend toi et moi, on va parler de ça plutôt...
Alexis : Il veut révéler le champion qui est en toi.
Cyril : C'est ça. D'ailleurs on fait de la musique de champion. [éclat de rire général]
Déjà en termes d'endurance !
Cyril : Alors toi tu vois le champion en termes de performance ; moi je vois le champion...
Le champion comme l'être qui s'est révélé dans toute sa potentialité...
Cyril : C'est une révélation tu vois ? La révélation du champion.
L'avènement du surhomme presque : ose le dire.
Cyril : Non non non non, parce que le surhomme c'est déjà d'autres références ; avec moi on restera sur la terminologie du CHAMPION.
Alexis : Par exemple Question Pour Un Champion...
Cyril : Oui, d'ailleurs dans mon troisième album y a un featuring avec Julien Lepers...
Alexis : Qui chante.
Cyril : Non, qui pose une question, mais toujours la même. Je suis je suis je suis je suis je suis...
Alexis (en choeur) : Je suis je suis je suis je suis...
Cyril : Voilà.
Encore cette idée de répétition.
Cyril : La boucle est bouclée.
Alexis : Tout ce qu'on vient de dire là, tu mettras bien : "Cyril a dit que..."
Ce sera difficile à retranscrire mais je m'y attèlerai avec force et honneur.
Cyril : T'as ton titre déjà prêt d'ailleurs : "La Tène, musique de Champions."
Eh ça tombe bien, notre façon de procéder c'est qu'on prend une citation et on en fait le titre. Ce sera donc "La Tène, musique de Champion."
Alexis (en proie à des sueurs froides) : Non-non-non-non-non...! Marque plutôt euh... "La Tène, musique de D'incise", le mec qui parle pas du tout de l'interview.
W (s'adressant à l'incriminé) : On sait très bien que c'est toi qui tire les ficelles dans l'ombre. Sans transition je voulais aussi vous conseiller une compile sortie sur le label Discrepant – si vous connaissez...
Alexis : Ouais, qui a sorti plein de choses, notamment des trucs de Laurent Jeanneau, Kink Gong. Y a des trucs chouettes !
Le disque en question s'appelle Antologia de Musica Atipica Portuguesa [encore un truc chroniqué ici, c'est fou comme le monde est petit], c'est vraiment incroyable, de la musique traditionnelle revue par des artistes électroacousticiens du pays.
Alexis : Y a de très bonnes choses dessus oui.
Dernière question ! L'occasion de faire un instant autopromo, parler en dehors de la Tène de vos projets respectifs, sur lesquels vous bossez en ce moment, dont vous aimeriez parler un peu, tout ça.
Cyril : Alors moi je suis sur ma thèse en ce moment donc ça limite, mais toi Alexis tu fais des choses.
Alexis : Moi ouais je suis sur des travaux de Terry Riley avec les gars de la Nòvia.
Stylééé.....
Alexis : On sera à Paris au Centre Georges Pompidou le 6 mai. Après concernant La Tène le deuxième album arrive, on a des dates... D'autres choses qu'on a envie de faire. Notamment La Toune. Ce sera du hip-hop, bien sûr.
Cyril : J'ai un nouveau groupe, mais on a pas encore de nom donc je peux pas en dire grand chose. Qu'est-ce que je peux te raconter...
Et ça consiste en quoi ?
Cyril : Je travaille en duo avec un mec... mais ce serait difficile de t'expliquer vraiment exactement de quoi il en retourne...
Bah t'es un champion ou t'es pas un champion ?
Cyril : Ah si je pouvais l'appeler Champion, je serais assez content. D'incise a un groupe aussi !
D'incise (dont on découvre du même coup le timbre de voix) : Je fais un projet qui s'appelle Tresque. C'est un peu la Tène mais en mieux, c'est à dire sans eux quoi.
Cyril : Connard !
D'incise : Une sorte de projet proto-techno, techno organique, aussi hyper répétitif...
Cyril : Recommandé par Laurent Garnier !
D'incise : Des disques vont sortir bientôt. Y a aussi un rapport autour de la musique techno comme musique traditionnelle, dans la répétition tout ça.
Ah ça me fait penser à un duo Allemand qui s'appelle Black Merlin, qui fait de la techno assez ambient, avec une grosse présence de Field Recordings, leur album se passait en Indonésie, y avait des samples de musique gamelan, de divers enregistrements d'eau, de nature, de scènes de vie locale... Je note pour Tresque !
Cyril : C'est pas de la musique de champion.
C'était le mot de la fin ! D'ailleurs, un mot de la fin à nous balancer, quelqu'un ?
Cyril : Ah moi j'en ai déjà balancé trop des mots de la fin. Champion, euh...
Alexis : Un mot de la fin... Tu connais une salle à Villejuif où on peut jouer ?
T'as absolument envie d'aller jouer à Villejuif ?
Alexis : J'ai envie de trouver une date là bas, il le faut.
Moi je suis dégoûté, je vous ai raté à Lille alors que je suis Lillois.
Alexis : T'es d'où à Lille ?
Caulier.
Alexis : Ah, t'es pas de mon fief Marcq. Mais ouais on a joué à la Malterie, c'était chouette. Le plafond était bas !
Cyril : Elle était cool cette salle.
Souvent des concerts assez intenses dans une atmosphère presque claustro.
Alexis : Les mecs de la salle sont super sympas en plus. Sauf un. Faut toujours dire ça : "sauf un". Mais tu dis jamais qui.
C'était le mot de la fin. Sauf un. Un mot de D'incise ?
D'incise : Fin.
Cyril Bondi, pointant mon antisèche : C'est marqué là.
Vraiment incroyable. Vous l'avez senti comment ?
Alexis Degrenier : C'était cool. Malgré quelques petits blèmes de son, y avait des micros qui pétaient un peu, mais ça va.
En ce moment vous êtes en pleine tournée ? Vous êtes venus spécialement pour la date du Sonic Protest ?
Alexis : On a cherché autour en fait. On a eu la date du Sonic Protest, puis deux dates qui se sont rajoutées, on joue au moins à Nantes et à Bruxelles pour les prochains jours.
La tournée se passe comment ? Vous avez sorti vous premier album l'année dernière [ndlr : chroniqué en ces pages, n'hésite pas à aller y jeter un œil curieux manant], je suppose que vous ne tournez que depuis récemment.
Alexis : On a tourné ensemble à plusieurs reprises – on commence à se connaître depuis un moment déjà. Et par rapport à notre tournée... on a joué dans des salles très différentes, vraiment ; par exemple on a fait des gros festivals l'année dernière au moment de la sortie de l'album, après on a pu jouer dans des petites salles. Les dates sont très différentes à chaque fois.
Cyril : Finalement c'est une musique qui s'y prête – ça on l'a découvert au cours de nos expériences – entre des dates comme celle-ci où on a une grosse salle où on peut bien envoyer et d'autres peut-être un peu plus intimistes... ça marche ! Notre son fonctionne bien dans divers contextes.
C'est une des interrogations que j'avais avant de venir ; j'ai beaucoup apprécié le son que vous aviez sur votre album, et comme le studio permet vraiment de le contrôler à la perfection j'appréhendais un peu le rendu live. En fin de compte j'ai trouvé ça encore plus puissant qu'en studio donc autant pour mes inquiétudes.
Alexis : Bah après on joue quand même assez différemment selon les lieux, même si on garde la structure de fond ; ça peut dépendre du public, de la quantité de gens dans la foule, l'action du jeu varie quand même pas mal.
Cyril : Y a quand même l'envie d'un son assez généreux tu vois, on cherche en général la limite de ce que la salle peut permettre. On est pas dans un registre hyper acoustique...
Alexis : ...mais en évitant aussi de tomber dans l'extrême opposé, dans le noise, cette idée de limite est plutôt bien, on essaie de se situer un peu à cet endroit là.
Comment en êtes vous arrivés à jouer ensemble tous les trois ? Vous avez tous un CV assez chargé et divers, en solo ou en groupe – D'incise et Cyril vous jouez ensemble dans Diatribes notamment...
Cyril : Oui nous on travaille ensemble depuis très longtemps maintenant – une bonne grosse dizaine d'années voire plus – dans des projets très différents, expérimentaux, du minimal, enfin voilà pas forcément propre à ce qu'on fait avec la Tène. Et Alexis...
Alexis : J'ai aussi un gros parcours dans ces musiques là oui.
Cyril : Après Alexis a un label appelé Drone Sweet Drone, sur lequel il a d'abord sorti un solo de D'incise, puis un de mes albums, ensuite on a tourné à Nantes où il habitait à l'époque, et c'est comme ça qu'on s'est rencontré et commencé à enregistrer ensemble. Mais plutôt des musiques expérimentales à ce moment là, il y a eu ensuite une sorte de déclic, une envie de faire autre chose de complètement différent.
Alexis : On a des parcours complètement parallèles. Par exemple D'incise fait aussi de la musique électronique mais il a beaucoup écouté de musiques traditionnelles, de musique jamaïcaine... À côté de ça moi j'ai écouté énormément de musiques traditionnelles – j'ai fait des études de musicologie étant plus jeune –, toi Cyril tu as joué dans Plaistow, dans le jazz répétitif.
Cyril : L'envie de la rencontre est partie presque plus d'une envie concept, par exemple jouer de la musique plus généreuse – notamment en comparaison à ce qu'on faisait avec D'incise – y avait l'envie d'envoyer plus. Après c'est ce que t'as entendu, la répétition, des gestes de batteur très définis, sans break, sans réflexe ridicule de batteur ; j'essaie de garder une ligne. On est d'abord parti de ces consignes de jeu, plutôt que de l'idée d'un résultat.
Sans avoir parcouru la moitié de vos carrières respectives – Alexis je te connais via Tanz Mein Herz mais vous deux plutôt via votre face jazz ou improvisation, plutôt free – je me demandais si ça a nécessité un coup à prendre pour jouer de façon si répétitive, si monolithique.
Cyril : Dans les projets que je ne fais pas avec D'incise – ce qui fait relativement peu, on travaille énormément ensemble – j'ai toujours essayé de tirer vers ce rapport là. Je suis fasciné par ce concept de répétition, cette idée de geste répété et de ce que ça génère ; et dans notre travail sur Diatribes ce qu'on bosse en ce moment c'est autour de la répétition. Donc finalement la Tène c'est une étape complètement logique dans notre parcours. C'est même une concentration d'un truc qu'on travaille tous de manières différentes depuis plusieurs années. C'est beau ce que je viens de dire !
Alexis : C'est sexy ouais.
Je mettrai des notes à chacun à la fin.
Alexis : Tu pourras marquer : Cyril 5 étoiles. Sexe étoiles.
À propos des musiques traditionnelles, qui est une face qui m'intéresse tout particulièrement dans votre musique (étant passionné moi-même) ; j'ai découvert votre musique via le morceau qui était inclus dans la compile FOLK de la Souterraine, "La Thouraz di Sopra", et j'étais très intéressé par leur démarche de moderniser...
Alexis : Leur démarche à qui ?
Wazoo : Celle de la Souterraine.
Alexis : C'est pas leur démarche à eux. Il faut déjà clarifier ça. Eux ils font des compiles, ils organisent des concerts quoi. Bon je suis un peu cash, mais c'est pas leur démarche, il font de la comm. Tu peux le marquer j'ai aucun problème avec ça ! [ndlr : dont acte] Ce sont les groupes qui sont à l'intérieur qui ont des démarches parallèles...
Ce sont eux qui se sont concertés pour mettre en place le projet ?
Alexis : Non même pas, faut pas voir ça comme un travail collectif, c'est une vraie compile. Ils ont pioché là où ils trouvaient des projets qui leur convenait ; comme des gens comme La Nòvia, qui est un collectif qui travaille depuis 15 ans et qui s'est un peu plus montré depuis qu'ils sont dans la compile. Mais ça fait 15 ans, 20 ans, 25 ans pour certains qu'ils font ça. Sinon quant au terme de "moderniser", je pense que ça s'actualise en soi, je ne crois pas qu'il y ait de désir de moderniser mais après il y a les techniques d'amplification qui jouent...
Oui ce que je veux dire c'est que c'est modernisé par la force des choses.
Alexis : Par exemple nous on a un son amplifié, on joue avec d'autres instruments ; on a un harmonium, de la batterie, avec des effets, ce qui fait qu'on a un son un peu plus commun, connu surtout !
Pour ce qui est de la partie folklorique, je me demandais quelle part de ce que vous faites est basée sur la recherche de mélodies traditionnelles.
Alexis : On pioche vraiment des très petits bouts en fait, on travaille aussi sur d'autres projets avec cette approche, et à chaque fois on s'attache à juste un motif qui s'étend, se détend, revient ; cette idée de répéter un motif jusqu'à son extinction. Les motifs traditionnels qu'on utilise c'est plus des couleurs qu'on a dans l'instrumentarium. Pour le dernier morceau par exemple – qu'on a pas joué là – on est parti d'une mélodie qui s'appelle le Marchand de [truc en -o, bouffé par le bruit ambiant], mais au final y plus du tout de thème, on est parti de deux ou trois éléments qu'il y avait dedans et on en retire des micro-fragments.
Cyril : C'est une inspiration, mais je n'ai pas l'impression qu'on représente une musique traditionnelle. Finalement, l'idée d'une musique traditionnelle tu peux aussi la retrouver dans le jazz – ou n'importe quelle musique en fait. Tu reproduis quelque chose qui existe déjà, tu y mets quelque chose qui t'appartient, c'est le but du jeu. Moi de l'expérience que j'ai du jazz, j'ai l'impression d'avoir pris des éléments de jazz et d'en avoir fait ma propre musique – avec la Tène c'est exactement le même propos. Et de par l'instrumentarium qui n'a rien à voir avec un instrumentarium traditionnel ; ce sont des instruments anciens, mais pas classiques pour interpréter ce type de répertoire. L'idée de la Tène, des noms qu'on donne aux morceaux, etc, c'est un jeu avec les traditions.
C'est vous qui les avez inventés, ces titres ?
Cyril : Ce sont des vrais noms de lieux dits paumés, trouvés sur des cartes de montagne, ce genre de trucs ! On invente des traditions à partir de bouts de tradition.
Alexis : Et en fait cet assemblage il permet surtout pour moi de créer des espaces au sein desquels on évolue, à partir d'un simple motif joué et modulé différemment. On crée des espaces, dans la résonance des répétitions – jusqu'à la saturation de cet espace.
Je trouve ça assez fascinant la façon dont vous vous passez les variations, le rôle de faire varier s'échange de façon très naturelle ; l'un d'entre vous va se "bloquer" dans une boucle qui va se répéter et ce sera le job de quelqu'un d'autre de varier...
Alexis : Ouais y a un peu de ça ! Ce qui est passionnant d'après mon ressenti c'est que ça se fait de plus en plus naturellement ; maintenant on se regarde presque plus... On arrive à être surpris de certaines fulgurances, qui arrivent à force de jouer, d'être dans une aisance de jeu.
Cyril : Par rapport à la notion de durée, comme on travaille sur des formats plutôt longs [ndlr : 20 minutes par morceau à peu près], on doit justement réagir assez peu à ce qui se passe ; si y en a un qui évolue, les deux autres doivent être là pour tenir la machine. L'évolution se fait par paliers.
Plus globalement, vous sentez qu'il y a une évolution dans votre alchimie depuis vos débuts ? Vous improvisez différemment ?
Alexis : Est-ce qu'on improvise vraiment ? Honnêtement si on improvise ça va être "ah bah tiens à tel moment je vais rajouter cette note", en fait c'est très limité en termes d'improvisation.
Y a une trame de base ouais.
Alexis : C'est vraiment des microvariations.
Cyril : J'ai l'impression que plus on joue, plus on arrive à écouter ce qui se passe. Au début, techniquement tu te dis "il faut que je fasse ça et ça", maintenant y a une sorte de liberté dans l'écoute, j'ai l'impression que c'est plus ça ; on arrive plus facilement à faire varier la trame. Par rapport à mon postulat de base, j'espère de faire très peu bouger ce que je joue.
Alexis : Moi par exemple ce soir dans les interactions ce que j'ai fait c'est rester plus longtemps sur une note, parce qu'on voyait que Cyril était dans un ton énergique, dans un truc très corporel, il se fatiguait ; on joue l'un avec l'autre, on s'amuse même à se titiller ! J'appelle plus ça de l'improvisation, on part sur des minutages précis. On est des androïdes en fait.
C'est la révélation ça, le gros buzz de l'interview.
Alexis : Nous sommes venus conquérir la Terre, nous sommes des colons...
Cyril : C'est le moment où l'interview a basculé.
Alexis : … on est nés dans un cimetière... bon, hum.
C'est ce qui s'appelle avoir une micro-variation dans une interview. Sinon, concernant spécifiquement le studio, je me demandais à quel point les performances qu'on entend sont enregistrées live, si elles contiennent des rajouts, des overdubs, combien de temps il vous faut pour arriver à ce résultat...
Alexis : Non c'est du pur live, y a rien. À part du chant, mais on le met pas. On chante sur notre musique mais on le garde pas ! Après y a des Pour le nombre de prises, bien sûr la première était la bonne n'est-ce pas ?
Cyril : C'est des prises longues déjà, alors quand tu te merdes ça fait vraiment chier tout le monde !
Alexis : Héhé, mais y en a pas tant, par exemple pour "La Marche de Fahy" y a dû avoir quoi, 5 prises ?
Cyril : Ouais mais voilà, 5 prises t'es mort à la fin !
Donc avec ces 5 prises, la dernières est la bonne et PAF! on la garde telle quelle ?
Cyril : Dans le travail qu'on a fait, dans le studio qu'on a à Genève...
Alexis : Tiens ça c'est classe, "le studio qu'on a à Genève-euh"
Cyril : On a du temps, on a le temps de faire évoluer le truc ; le travail de compo et d'enregistrement est assez proche finalement. C'est moins genre "au bout de 5 prises on prend la meilleure" mais plutôt qu'on a l'occasion de travailler ensemble jusqu'à aboutir à la bonne prise.
Alexis : Le dernier morceau qu'on a joué ce soir, qui sera sur le prochain disque ; on était pas satisfait d'un autre morceau et là on l'a enregistré en quasi une journée...
Cyril : Oui tu vois on enregistre, et on se rend qu'un truc ne va pas – même pas à la réécoute, simplement en le jouant – et donc on fait évoluer ça vers la bonne prise, vers le morceau qui nous plait vraiment. Donc ça s'avère être la dernière prise. C'est plutôt ce rapport là.
Alexis : Et puis la drogue.
Cyril : Oui c'est hyper important.
Alexis : J'te rappelle quand même que c'est un site de rock, faut être rock.
Ah bah oui, si tu avais les yeux révulsés sur scène Alexis c'est évidemment parce que tu étais sous l'emprise.
Cyril : Si tu voyais la batterie de médocs qu'il prend tu t'étonnerais pas !
[Là un mec paraît gueuler au loin, insulter des gens, que se passe-t-il diable sur la scène de la Marbrerie ?]
J'avais une question qui suivait, mais qui partait du principe que vous improvisiez, du coup elle ne marche plus, mais je peux quand même la retourner pour vous la poser quand même ! Vouerca/Fahy est sorti l'année dernière et je me demandais comment vous envisagiez le rythme de parution ?
Alexis : On est un peu speed.
Cyril : On aimerait même être encore plus speed !
C'est ça qui m'interrogeait, pour caricaturer qu'est-ce qui vous empêche de dire "bah tiens demain on va aller en studio, on va enregistrer un truc et hop ça fera un album".
Alexis : On va faire en fonction de la production de vinyles et des labels en fait.
Ouais c'est ça qui va vous poser une limite.
Cyril : Par exemple là on a un album qui va sortir en septembre, encore 2 morceaux... Mais en fait au début je pensais que ça allait être comme tu dis ; on se retrouve, on joue, on garde le bon et on sort des albums à la pelle. Mais dans les faits on prend chaque fois des directions un peu différentes et dans une certaine mesure on doit voir comment elles s'inscrivent dans ce que la Tène devient. On a notamment fait une session studio qui ne nous plaisait pas du tout – où on a essayé d'utiliser d'autres types de répétitions mais ça marchait pas tout le temps. Donc il faut qu'on ait ce travail sur ce qu'on a envie de faire ensemble – et je trouve qu'on arrive de plus en plus à le définir.
Alexis : Là si tu veux on a un deuxième album qui sort en septembre mais on est déjà en train de penser au troisième. Il sera différent, mais on sait déjà ce que ça va être.
Cyril : L'envie en tout cas c'est d'être productif.
Il y a une démarche qui diffère vraiment de Vouerca/Fahy ou bien est-ce que c'est sa propre entité, dépendante de l'état d'esprit d'une session studio à un instant T.
Alexis : Je pense pas que ça se joue là-dessus. Y a de légères différences mais je pense qu'on reste sur la même logique.
Cyril : On a des idées et on essaie de les pousser jusque dans les limites de ce qui est possible. J'ai l'impression qu'on reste dans un cadre, mais au sein de ce cadre on va être capable d'en faire des milliards des morceaux comme ça ! Je me sens pas limité, on va sans doute toujours être en train de créer des nouvelles choses – du moment que ça marche sur 20 minutes.
Alexis : Jusqu'à ce qu'on puisse sortir un coffret hyper cher. On a des t-shirts à vendre maintenant !
Cyril : Ils sont pas là dans le merch', mais on a 6 t-shirts à vendre – à peu près 150 balles l'unité bien sûr. On les a chopé à l'auberge "La Tène", et y a marqué "La Tène c'est la fête". Et c'est pas des t-shirts c'est des marcels noirs.
Alexis : Des gros débardeurs noirs ouais. Et ils sont beau hein.
C'est eux qui vont vous rendre riches !
Alexis : Mais-euh on est déjà riches.
L'air de rien vous avez écoulé tout votre stock de vinyles !
Cyril : Ouais là on a sorti la deuxième édition.
Alexis : Et elle est tout aussi belle, je la préfère même à la première.
J'avoue préférer celle du premier...
Alexis : Alors va voir sur Discogs ; il faut savoir que sur Discogs on vend nos vinyles d'occasion ! Tu trouveras.
Je vous ferai pas de pognon c'est dommage.
Alexis : Ouais mais bon. [des potes à la Tène entrent dans les backstage, s'entame une brève discussion sur si on a le droit de fumer ou non]
C'est une interview de rock indé, vous pouvez fumer hein. Enfin bref je voulais aussi vous demander si vous n'aviez pas d'autres groupes à me recommander qui comme vous ont une approche qui s'attache à "faire vivre le folklore"...
Alexis : C'est mieux de dire musique traditionnelle que folklore. Folklore ça fige un côté "image d'épinal", Pétain et compagnie... 'fin bref. Non mais c'est vrai hein ! La folklorisation c'est un peu la mort des traditions.
D'accord, j'ai fait l'amalgame – je te demanderai des ouvrages qui en parlent.
Alexis : Le mien ! Folklore et tradition.
Cyril : Le folklore c'est un truc très politique. C'est les bretelles...
Alexis : … les cartes postales "Nos régions ont du talent" sur des camemberts. La folklorisation c'est ça. Quand je parlais de Pétain c'était à juste titre parce que c'est vraiment lui l'auteur de la folklorisation ; pour montrer que la France est forte...
Cyril : C'est des sentiments nationaux de merde, hein, c'est rassembler tout un peuple qui n'a rien à voir ensemble derrière des clichés – qui n'ont rien à voir avec les traditions d'ailleurs.
Alexis : Mais pour revenir à la question, niveau groupes y a par exemple Sourdure, la Nòvia, y a lui (indique un des deux types de Orgue Agnès qui vient de rentrer dans les backstages), pas l'autre hein, l'autre il est con. Y a des gens dans le Béarn qui se sont regroupés en un collectifs qui s'appelle Pagans. Y a pas mal de choses ! Mais pas tant que ça quand même...
Cyril : Quand même ! Et des générations de gens assez jeunes.
[Soudain une intervention extérieure fait dérailler l'interview, ce qui suit – retranscrit approximativement – est réservé aux champions, exclusivement]
Gwen (responsable de communication du festival, qui passe dans le coin) : Faut l'dire si vous en avez marre hein !
Alexis (avec un ton affecté) : Attends, on est sur la politique des masses là.
On parlait de Pétain, mais pas de problème : un commentaire là-dessus ?
Cyril : Je suis en train de parler de la sociologie du champion. Je fais une thèse sur...
Alexis : Sur le chant diphoniiiqueuuuh
Cyril : Non, sur la sociologie du champion.
Alexis : Hahaha ah oui c'est vrai putain ! C'est arrivé aujourd'hui ça.
Cyril : Comment ça c'est arrivé aujourd'hui, c'est un gros travail que je fais sur la notion de champion, qui est en fait dans le but de réveiller le champion qui est en chacun de nous.
Le coaching motivationnel à l'américaine, là ?
Cyril : Ah bah voilà on se comprend toi et moi, on va parler de ça plutôt...
Alexis : Il veut révéler le champion qui est en toi.
Cyril : C'est ça. D'ailleurs on fait de la musique de champion. [éclat de rire général]
Déjà en termes d'endurance !
Cyril : Alors toi tu vois le champion en termes de performance ; moi je vois le champion...
Le champion comme l'être qui s'est révélé dans toute sa potentialité...
Cyril : C'est une révélation tu vois ? La révélation du champion.
L'avènement du surhomme presque : ose le dire.
Cyril : Non non non non, parce que le surhomme c'est déjà d'autres références ; avec moi on restera sur la terminologie du CHAMPION.
Alexis : Par exemple Question Pour Un Champion...
Cyril : Oui, d'ailleurs dans mon troisième album y a un featuring avec Julien Lepers...
Alexis : Qui chante.
Cyril : Non, qui pose une question, mais toujours la même. Je suis je suis je suis je suis je suis...
Alexis (en choeur) : Je suis je suis je suis je suis...
Cyril : Voilà.
Encore cette idée de répétition.
Cyril : La boucle est bouclée.
Alexis : Tout ce qu'on vient de dire là, tu mettras bien : "Cyril a dit que..."
Ce sera difficile à retranscrire mais je m'y attèlerai avec force et honneur.
Cyril : T'as ton titre déjà prêt d'ailleurs : "La Tène, musique de Champions."
Eh ça tombe bien, notre façon de procéder c'est qu'on prend une citation et on en fait le titre. Ce sera donc "La Tène, musique de Champion."
Alexis (en proie à des sueurs froides) : Non-non-non-non-non...! Marque plutôt euh... "La Tène, musique de D'incise", le mec qui parle pas du tout de l'interview.
W (s'adressant à l'incriminé) : On sait très bien que c'est toi qui tire les ficelles dans l'ombre. Sans transition je voulais aussi vous conseiller une compile sortie sur le label Discrepant – si vous connaissez...
Alexis : Ouais, qui a sorti plein de choses, notamment des trucs de Laurent Jeanneau, Kink Gong. Y a des trucs chouettes !
Le disque en question s'appelle Antologia de Musica Atipica Portuguesa [encore un truc chroniqué ici, c'est fou comme le monde est petit], c'est vraiment incroyable, de la musique traditionnelle revue par des artistes électroacousticiens du pays.
Alexis : Y a de très bonnes choses dessus oui.
Dernière question ! L'occasion de faire un instant autopromo, parler en dehors de la Tène de vos projets respectifs, sur lesquels vous bossez en ce moment, dont vous aimeriez parler un peu, tout ça.
Cyril : Alors moi je suis sur ma thèse en ce moment donc ça limite, mais toi Alexis tu fais des choses.
Alexis : Moi ouais je suis sur des travaux de Terry Riley avec les gars de la Nòvia.
Stylééé.....
Alexis : On sera à Paris au Centre Georges Pompidou le 6 mai. Après concernant La Tène le deuxième album arrive, on a des dates... D'autres choses qu'on a envie de faire. Notamment La Toune. Ce sera du hip-hop, bien sûr.
Cyril : J'ai un nouveau groupe, mais on a pas encore de nom donc je peux pas en dire grand chose. Qu'est-ce que je peux te raconter...
Et ça consiste en quoi ?
Cyril : Je travaille en duo avec un mec... mais ce serait difficile de t'expliquer vraiment exactement de quoi il en retourne...
Bah t'es un champion ou t'es pas un champion ?
Cyril : Ah si je pouvais l'appeler Champion, je serais assez content. D'incise a un groupe aussi !
D'incise (dont on découvre du même coup le timbre de voix) : Je fais un projet qui s'appelle Tresque. C'est un peu la Tène mais en mieux, c'est à dire sans eux quoi.
Cyril : Connard !
D'incise : Une sorte de projet proto-techno, techno organique, aussi hyper répétitif...
Cyril : Recommandé par Laurent Garnier !
D'incise : Des disques vont sortir bientôt. Y a aussi un rapport autour de la musique techno comme musique traditionnelle, dans la répétition tout ça.
Ah ça me fait penser à un duo Allemand qui s'appelle Black Merlin, qui fait de la techno assez ambient, avec une grosse présence de Field Recordings, leur album se passait en Indonésie, y avait des samples de musique gamelan, de divers enregistrements d'eau, de nature, de scènes de vie locale... Je note pour Tresque !
Cyril : C'est pas de la musique de champion.
C'était le mot de la fin ! D'ailleurs, un mot de la fin à nous balancer, quelqu'un ?
Cyril : Ah moi j'en ai déjà balancé trop des mots de la fin. Champion, euh...
Alexis : Un mot de la fin... Tu connais une salle à Villejuif où on peut jouer ?
T'as absolument envie d'aller jouer à Villejuif ?
Alexis : J'ai envie de trouver une date là bas, il le faut.
Moi je suis dégoûté, je vous ai raté à Lille alors que je suis Lillois.
Alexis : T'es d'où à Lille ?
Caulier.
Alexis : Ah, t'es pas de mon fief Marcq. Mais ouais on a joué à la Malterie, c'était chouette. Le plafond était bas !
Cyril : Elle était cool cette salle.
Souvent des concerts assez intenses dans une atmosphère presque claustro.
Alexis : Les mecs de la salle sont super sympas en plus. Sauf un. Faut toujours dire ça : "sauf un". Mais tu dis jamais qui.
C'était le mot de la fin. Sauf un. Un mot de D'incise ?
D'incise : Fin.
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