Pavillon Rouge

Je me rends compte que les influences fluctuent au fil des albums et pourtant notre identité ne cesse de se consolider [lundi 17 octobre 2016]

C'est avec un échange de mails qu'Arno Vice a discuté avec Merwyn, du groupe Pavillon Rouge, discussion animée autour des influences & de la réception du public, mais aussi dans laquelle ils évoquent aussi bien Valmont que Patrick Sabatier, mais aussi la scène Métal & le fitness.

Interview menée par Arno Vice.



Arno : Voilà un peu plus d’un an que Legio Axis Ka est sorti. Pouvez-vous nous expliquer la signification du titre et, sans pour autant parler de bilan, cet album a-t-il eu l’impact que vous escomptiez, tant en termes de notoriété que de retombées scéniques ? Je n’ai lu que des bonnes critiques le concernant…

Mervyn : Salut ! Le titre de l’album rassemble les trois idées qui ont présidé à l'écriture de cet album : l’Ordre, le Bien et la Fraternité. Ce qu’il signifie n’est pas aussi important que les images qu’il évoque pour nous et pour notre entourage. J’en conviens, ce n'est pas un titre hyper clair et facile à interpréter, comme un titre d’Immortal ou de Rhapsody mais, tu t’en doutes, ce ne sont pas nos plus grandes sources d’inspiration.
Nous sommes très contents de l’impact qu’il a eu, et ce grâce au travail et à l’implication de notre label Dooweet. À mon avis, notre premier album, Solmeth Pervitine, méritait le même succès mais nous étions à cette époque sur un plus petit label et la promo n’a pas été aussi efficace. Legio Axis Ka a aussi plu par son côté un peu plus Black traditionnel (toutes proportions gardées), plus direct et plus cohérent. Dans tous les cas, il nous a permis de passer à la vitesse supérieure et nous en sommes ravis.



Vous évoluez dans un registre étiqueté « Black Métal Industriel » mais il me semble que vos compositions vont bien au-delà de ces genres. En effet, je perçois dans votre musique de l’EBM, de la Cold Wave ou encore un goût prononcé pour les ambiances cinématographiques rehaussées de nombreux samples. Ma question porte donc sur deux aspects complémentaires : quelles sont vos influences principales et comment en êtes-vous venus à faire cohabiter autant de styles ?

Mervyn : Je me rends compte que les influences fluctuent au fil des albums et pourtant notre identité ne cesse de se consolider. Les groupes qui m’ont donné envie de créer Pavillon Rouge sont Indochine, Hanoi Rocks, Crystalium, Blacklodge et l’Aborym de With no Human Intervention. Tu vois déjà à quel point c’est varié... Certaines de ces influences sont évidentes quand tu écoutes nos chansons, d’autres sont, dirons-nous, un peu plus opaques mais bel et bien là. On a pris à chacun de ces groupes les éléments qui nous faisaient tripper : les sonorités asiats et les synthés au top d’Indochine, l’énergie et la fraîcheur punk de Hanoi Rocks, la riffaille conquérante de Crystalium et les rythmiques indus de Blacklodge et d’Aborym.
Quant à savoir comment on en est venu à faire cohabiter tout ça dans notre premier album, pas facile à dire. On a juste créé la musique qu’on avait envie d’écouter, sans se poser de questions. Perso, j’ai toujours écouté des trucs qui n’avaient rien avoir, des tubes à la con, des chansons ringardes, des musiques extrêmes, etc. Les autres ont des goûts variés également, ils apportent leurs influences et on ne se refuse rien quand il s’agit de composer. Les seules limites que l’on se fixe sont celles imposées par nos goûts. Il en va de même pour les samples : jusqu'à maintenant on a souvent présenté des références « sérieuses » (Valmont, Lecontre de Lisle, Baudelaire etc.) et d’autres un peu moins (« American Psycho », « Point Break ») mais si demain j’ai envie de balancer un sample de « Rocky 4 » ou de Sabatier sur un morceau, je ne me le refuserai pas. Rassure-toi, on n’y est pas encore.
Pour Legio Axis Ka, d'autres influences sont venues se greffer à notre musique, comme par exemple Scooter pour l'efficacité et la puissance ultra dansante (la chanson « Droge Macht Frei » est un hommage à ce trio génial) ou Muse pour le côté « cosmico-grecque » de leurs paroles et de leur musique. Là encore ce sont des influences qui nous sont venues très spontanément, on ne peut pas dire que ces groupes soient très populaires dans le milieu Métal, c’était un risque à prendre et au final cela n’a pas nui à la cohérence de l’album.



Comparé à Solmeth Pervitine, Legio Axis Ka me semble avoir fait un focus plus important sur le travail des machines, notamment avec des titres totalement Electro tels que « Kosmos Ethikos » ou encore « Notre paradis ». Comme j’ai lu que vous prépariez un nouvel album, je me demandais s’il allait poursuivre dans cette voie ou au contraire si vous aviez toujours en tête de conserver le plus juste équilibre entre guitares et machines ?

Mervyn : Pour ce troisième album, nous nous sommes décidés à surbooster le côté Electro afin d’obtenir une nouvelle forme de Métal extrême : aérien, puissant, dansant et galvanisant. Une musique extrême mais qui fasse aimer la vie aux gens, qui leur donne envie d’attaquer leur putain de journée au top, de sortir de chez eux avec le sourire et le power ou bien de se défoncer en soirée mais avec force et joie, pas comme des tocards qui font ça par dépit, pour oublier la prétendue vacuité de leur existence. Sur notre musique, on a envie que les gens vivent, dansent, fassent du sport, conduisent leur bagnole limite avec la gaule, baisent, bien évidemment, ou même qu’ils se défoncent mais, putain, pas dans une cave ou sur un canapé…
Pour ça, il faut que la dimension Electro soit vraiment mise en avant, beaucoup plus que sur Legio Axis Ka, et c’est ce que nous prévoyons. Mais les guitares ne seront pas en reste puisque notre guitariste Mu Cephei a eu une incroyable inspiration pour les riffs et les leads. Nous allons trouver le compromis parfait, qu’il permette à cet album de plaire aussi bien à un métalleux, à un mélomane ou à un clubber qu’au premier connard venu. Je sais que ça va à l’encontre des fantasmes élitistes du milieu Métal, mais c’est ma vision de la musique...

Que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, vous pratiquez une forme de Black Métal plutôt atypique qui s’appuie néanmoins sur des sonorités traditionnelles, notamment au niveau du chant et des guitares. Comment le public et la presse perçoivent-ils généralement votre musique ? Comme une forme d’hérésie ou au contraire comme l’évolution salvatrice d’un genre usé jusqu’à la corde ? D’ailleurs, y a-t-il plutôt concordance ou discordance entre l’analyse journalistique et le ressenti des auditeurs ?

Mervyn : Pour ce qui est de la presse, tu l’as vu, les chroniques sont plutôt bonnes, surtout pour Legio Axis Ka qui est peut-être moins expérimental que le premier. D’ailleurs, c’est assez drôle, l’une des rares critiques vraiment négative pour ce deuxième album est venue de Jean, du fanzine In Extremis (que je salue au passage), qui lui reprochait d’être un peu trop Black tradi, et pas assez New Wave ! Et je pense qu’il a raison, cet album était moins original que le premier mais c’était ce que nous voulions.
Quant au public, franchement, je pense qu’on n’a pas à se plaindre. On est arrivé au bon moment. Quelques années plutôt on aurait essuyé les critiques les plus connes et les plus beaufs, comme seul le métalleux de base des années fin 90 / début 2000 savait en produire, mais là on a juste eu droit à quelques vagues moqueries sur nos influences ou sur le fait qu’on n’était pas un vrai groupe de Black Indus (parce que pas satanique, pas branché « usines » et pas doté d'un son de chiottes). A part ça, les avis que l’on récolte sont le plus souvent très positifs, quels que soient l’âge et l’expérience des gens. Notre musique nous a d’ailleurs permis de rencontrer pas mal de monde et de nous faire de très bons potes.

Avec votre prochain album, vous êtes-vous fixés des objectifs et, si oui, lesquels ? Est-ce que le fait de pratiquer une musique hybride est un frein pour s’implanter durablement dans une scène Métal que l’on sait fidèle mais parfois conservatrice ou, au contraire, cela est-il un atout pour toucher un public plus large, je pense principalement au public Indus ou EBM ?

Mervyn : Comme je le disais plus haut, j’aimerais vraiment que le prochain album soit plus « universel » que ce que nous avons fait auparavant. On a toujours eu un côté Pop, ne serait-ce que par la structure des morceaux avec couplet, pré-refrain, refrain etc. Mais, avec cet album, nous voulons davantage faire ressortir cet aspect-là tout en restant extrêmes, puissants et intenses.
La scène Métal est de moins en moins conservatrice, je trouve, et c’est plutôt une bonne chose pour nous. Je suis moins optimiste concernant la scène Indus, Goth et EBM. Ils sont en général très fermés au Métal (et à beaucoup d’autres trucs d'ailleurs) et franchement on n’est pas assez Dark, trop Rock’n Roll et trop solaire pour leur plaire. Sur le premier album, on avait repris « Sadist Sagitarius » de ce génial groupe Cinema Strange et ça avait juste éveillé le mépris ou l’incompréhension totale. J’ai beaucoup d’amis dans ce milieu, je suis toujours friand de musique « sombre » et de soirées Goth mais il faut reconnaître que ce n’est pas le public le plus ouvert du monde (attention, je ne considère pas la fermeture d’esprit et l’envie de ne pas trop se mélanger comme un crime, ils font ce qu’ils veulent!). Je nous vois vraiment mal jouer sur une affiche Goth par exemple, perso ça me plairait, mais je ne pense pas qu’on susciterait un enthousiasme historique ! A côté de ça, je vois que de plus en plus de gens « du quotidien » s’ouvrent au Métal et reconnaissent à quel point cette musique est forte et entraînante. Je bosse dans une salle de sport et mon métier me permet de voir cette évolution, les gens ne sont plus effrayés si tu passes un Rob Zombie, un Metallica ou même un Atari Teenage Riot. Certains me diront « oui mais ce sont des groupes commerciaux, si tu passes un Darkthrone ce ne sera pas la même ». En effet, sauf que Darkthrone me fait chier moi-même au dernier degré et que j’ai jamais eu aucune envie d’en passer où que ce soit.
Pour en revenir à notre album, justement, si certains de nos titres passent et font vibrer les gens en salle de fitness, on considèrera que notre objectif a été atteint.

Cela fait près de quinze ans que vous êtes acteurs de la scène extrême française. Avez-vous observé un changement de mentalité, une façon différente d’aborder la carrière de musicien ? J’ai par exemple l’impression que, même s’il est toujours très difficile de vivre de sa musique, les groupes se sont professionnalisés, au niveau des techniques de jeu et de production principalement…

Mervyn : Pavillon Rouge n’existe vraiment que depuis 2010. Avant, c’était juste un projet sans line up sérieux... Mais on a tous eu des groupes avant et, oui, on a pu assister à pas mal de changements. Au niveau des mentalités, l’évolution a été très positive. En même temps on partait de très bas au début des années 2000, le public Métal extrême était embourbé dans le ridicule le plus crasseux, c’était hyper ennuyeux de jouer ou d’écouter du Black Métal, aux concerts personne ne s’amusait, c’était juste un long concours de croix renversées et de moues chiantes et Panzer Division Marduk était considéré comme un grand album. Putain la tristesse... Une espèce de Wayne’s World version evil, sans blagues nulles et sans Alice Cooper... Mais le jovial Tom est arrivé, avec sa bonne humeur et sa gueule de con, et son Myspace a permis a plein de groupes originaux de se faire connaître. Même plus besoin d’enregistrer un album pour être considéré comme un groupe... C’était bien sûr la porte ouverte à tout et n’importe quoi mais, perso, ça m’a permis de voir qu’on était de plus en plus nombreux à vouloir faire de la musique « hybride » et qu’il y avait peut-être un public pour ça.
Aujourd’hui oui, tu as raison, on a plus facilement accès à une bonne technologie pour les albums. C’est assez fantastique mais cela rend la concurrence d’autant plus rude car le nombre de groupes a été multiplié par 10 000... Espérer gagner de l’argent avec la musique, Métal de surcroît, n’est donc pas très réaliste. L’idéal aujourd’hui, à mon avis, c’est d'arriver à faire la musique que tu as envie d’écouter sans perdre de thune.

Hormis Pavillon Rouge, avez-vous d’autres activités musicales ou extramusicales ? Votre créativité trouve-t-elle à s’exprimer pleinement dans une seule formation et par le vecteur musical ?

Mervyn : Dans la mesure où nous faisons absolument tout ce que nous voulons dans Pavillon Rouge, nous n’avons pas vraiment besoin de monter des projets parallèles, par exemple un groupe purement Black Métal ou un groupe d’Indus martial etc. Dès que nous avons une idée, qu’il s'agisse d’un riff, d’une mélodie de synthé ou d’un rythme cool, cela part dans les prochaines compos de Pavillon Rouge.
Mais j’aime participer à d’autres projets, ne serait-ce que pour tripper avec d’autres personnes, et là en ce moment je fais un peu d’Electro pour accompagner un pote sur ses chansons. J’ai aussi participé à l’album de nos amis de Deathcode Society. Shulgin officie également dans le groupe grenoblois Auspex et notre ami Sorthei assure la batterie pour le groupe Dépérir, au Québec.

Pour conclure sur une note plus générale, si vous aviez à me conseiller quelques disques et / ou quelques livres, j’irais acheter quoi ?

Mervyn : Ben si tu ne l’as pas déjà, je te conseille le premier album de Deathcode Society, un Black Métal intense et ultra technique, avec tous les éléments qu’on aime dans Anthems to the Welkin at Dusk mais avec un vrai son. Dans un registre plus léger, si tu as besoin de bonne humeur et de Rock’n Roll, je te dirais les deux derniers albums de Michael Monroe, Horns and Halos et Blackout States. Et pour ce qui est du Métal « mainstream », si tu aimes les chansons puissantes et les refrains au top, je pense que le dernier Korn en date, The Paradigm Shift, mérite de figurer dans ta discographie !
Pour les livres, je t’en conseillerais trois, toutes époques confondues : « Les liaisons dangereuses » de Laclos pour la splendeur de la langue, « Gilles » de Drieu la Rochelle pour la finesse de la pensée et des descriptions (entre autres) et « Le pouvoir du moment présent » d’Eckhart Tolle pour l’impact que cela aura sur ta vie.




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