Ted Niceley
E-Interview from Albuquerque [dimanche 05 octobre 2003] |
En direct des Etats Unis, le cultissime producteur Ted Niceley (Fugazi, Girls Against Boys, Noir Désir...) nous accorde une e-interview. Derrière son Mac, les pieds sur la table, affalé sur sa chaise, buvant un café et fumant une cigarette, le gentil Ted répond en direct à nos questions... (par X_Crikou et X_Poupin'X)
X : Bonjour Ted ! Comment ça va ?
Ted : Bien, et vous ? Il est tard en France ? Il est midi ici...
Ca va bien merci... Il est 20 heures... Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?
J'ai fait des gaufres ! Mais pas beaucoup en fait, j'ai un peu trop erré sur le net ce matin...
Tu as de la chance !
Pourquoi ?
J'aime les gaufres !
Les gaufres, c'est une tradition du dimanche aux USA.
Tu aimes cuisiner ?
J'adore ça !
Où est-ce que tu vis ?
Albuquerque, New Mexico.
Quel âge as-tu ?
Trop vieux pour que l'on en parle ! (rires...) J'ai vu les Beatles en concert quand j'étais petit...
Au début des années 80, tu jouais de la basse au sein de Nightman. Après quelques productions avec les Slicky Boys, tu as produit en 1988 le premier album de Fugazi. Es-tu devenu producteur par hasard ? Par dépit ?
(rires) Qu'est-ce que tu insinues par « dépit » ???
Tu n'aurais pas voulu être une rock'n roll star ?
J'ai été une rock'n roll star !
Avant de produire le premier Fugazi, j'étais bassiste et co-producteur de Tommy Keene. Et j'ai bel et bien connu tout le milieu de la musique en tant qu'artiste... on était signé sur Geffen. On est passé sur MTV avec Tommy Keene dans un Videos que probablement personne n'a jamais vu... Nous avons été numéro 1 au classement CMJ, à l'époque où ça voulait encore dire quelque chose... C'était en 1987. Et j'ai décidé d'arrêter de jouer de la musique et de devenir un producteur. Si tu regardes le passé de la plupart des producteurs, tu verras que la majorité ont été des bassistes... C'est une évolution naturelle.
Un producteur doit être un bon musicien pour être un bon producteur ?
Pas forcément. Par contre, si tu aides les artistes à faire des arrangements, alors oui, c'est tout de même bienvenue.
Le fait que tu joues de la basse influence ton travail de producteur ? Fugazi et Girls Against Boys sont deux groupes où la basse est primordiale. Coïncidence ?
Oui ! Les deux groupes ont d'excellents bassistes. Eli (Girls Against Boys) n'a jamais vraiment appris à jouer de la basse. Il jouait du clavier au départ, et il a commencé à jouer de la basse quand le groupe s'est formé ; en fait, la simplicité de son jeu a vraiment été un avantage.
Blindtest : Fugazi "Repeater" (Repeater 1989)
On a obtenu le son de batterie en passant la piste de batterie dans un casque placé dans une boîte à cookies dans laquelle nous avions mis un micro, et on a enregistré, en fermant la boite ! C'était une idée de Ian (Fugazi). Il a passé beaucoup de temps sur ce que j'appelle le son de guitare "Giant Claw" (c'est le nom d'un obscur film d'horreur japonais). Je crois qu'il a failli jeté sa guitare un paquet de fois ! La séquence des trois premiers morceaux sur Repeater est très excitante. Elle m'a beaucoup influencé sur la manière de séquencer un album... Un jour j'étais à Seattle pour faire un disque et je suis rentré dans un coffeeshop qui était en train de passer Repeater, l'enchainement sur "Brendan #3", et j'ai été impressionné tellement ça sonnait bien ! Finalement, l'expérimentation de Ian a bel et bien fait son effet !
Peux-tu expliquer ce qu'est un producteur et comment il s'investit dans le processus ?
Un producteur est quelqu'un qui, à mon avis, se doit avant tout d'être passionné de musique. Il doit aider les artistes en tirant le meilleur des chansons qu'ils veulent enregistrer. Ils s'attendent à avoir un point de vue objectif de notre part ; c'est parfois très difficile pour un artiste ou un groupe d'obtenir des points de vue objectifs sur leur musique. Par exemple, un groupe peut juger une chanson pas terrible, alors que le producteur la trouve très bonne. Il doit alors réussir à leur montrer que ce titre est vraiment bon, qu'il a juste besoin de quelques changements ou de nouveaux arrangements... Mais au final, le but est de les aider à prendre du recul sur leur musique.
A ton avis, pourquoi les gens te choisissent pour produire leurs albums ? Une compétence technique particulière, un son particulier, ou peut être une écoute, une sensibilité particulière ?
C'est vraiment dur de dire pourquoi les gens vous choisissent pour faire leurs disques, ou pourquoi ils ne vous choisissent pas... La plupart du temps, les gens sont intéressés car ils ont apprécié un disque que tu as produit. Ils aiment le son, et ils pensent que peut être ce son leur conviendrait. Lorsque j'ai travaillé avec Noir Désir pour la première fois, ils m'avaient contacté à cause du disque des Dirty Hands que j'ai produit en France, et aussi à cause de mon travail avec Fugazi.
Et toi, comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu travailles ?
Après une première rencontre, on laisse trainer quelques jours... puis ils me jouent leurs morceaux qui sont prêts à être enregistrés, et on commence à travailler doucement dessus, de façon à ce qu'ils puissent voir de quelle manière je travaille, et quelles sont mes intentions.
Personnellement, s'ils ont des bonnes chansons, j'accepte. Le fait que la musique soit bonne est très important à mes yeux. Quand j'entends quelque chose qui m'excite, je fonce !
L'intégrité est ta devise ?
Qu'est-ce que tu insinues ?
Tu pourrais travailler avec des artistes que tu n'apprécies pas musicalement, juste pour l'argent...
Je ne travaille pas sur un projet juste parce qu'il faut le faire. Tu ne peux pas arriver, écouter de la musique jour et nuit et travailler bien, si ce n'est pas de la bonne musique.
Blindtest : Girls Against Boys "Roxy" (Freak On Ica 1998).
Tu sais, je n'ai pas produit cet album !!! (rires)
Je sais, mais justement, pourquoi ?
C'est une bonne question...
Merci
Nous avons fait 3 albums ensemble. Avec le recul, je crois qu'ils ont pris toute l'affaire Geffen trop au sérieux. Ce n'était pas de la méchanceté. C'est juste qu'ils pensaient que travailler avec Nick Launey était une bonne idée, et moi aussi. De toute façon, je n'ai jamais voulu faire un disque avec eux s'ils n'étaient pas d'accord à 100%. GVSB se sont mis beaucoup de pression à l'époque. Geffen n'est pas responsable du fait que je n'ai pas travaillé sur ce disque. En fait, je crois même que cela les ennuyait d'une certaine manière.
Tu n'as pas subi de pression de la part de Geffen ?
Non, ils sont arrivés après l'évènement "House Of GVSB", album qui a eu beaucoup de succès et énormément de bonnes critiques. Du coup, l'album suivant allait être crucial. Quand le groupe a commencé à travailler sur le disque, on leur a mis une liste de producteurs sous les yeux. Geffen a suggéré de me mettre dans la liste, et de ne pas oublier de prendre mon cas en considération, entre autres à cause des autres productions que j'ai faite en dehors de GVSB. Les gens ont pris mon cas comme un nom sur la liste, sans statut particulier, au même titre que Flood par exemple.
Je voudrais tout de même ajouter, que le titre que tu m'as passé m'a paru excellent. Je crois que globalement Freak On Ica a été perçu comme trop travaillé. De toute façon, la tâche était très difficile, dans la mesure où la «police indé» n'a pas beaucoup apprécié que Girls Against Boys soit signé sur Geffen.
Tu as travaillé avec des artistes signés sur Epic, Capitol, Island, Touch And Go, Dischord... Penses-tu que l'on travaille dans les mêmes conditions de créativité avec une major et un label indépendant ?
Pour chaque disque, mon approche est la même. On a à la fois une contrainte de temps, de matériel, mais aussi de comment doit sonner le disque. La principale chose qui m'ait gêné avec le fait de ne pas produire un disque avec GVSB sur une major, est le fait que nous avions fait tous nos disques avec une certaine contrainte de temps et d'argent ; et avec Geffen ça n'aurait pas été le cas. Mais la méthode que j'utilise pour faire un disque reste toujours la même.
Tu n'as jamais subi de pressions de la part des labels ou des artistes pour obtenir un résultat spécifique ?
Le but est de travailler ensemble, de manière soudée. S'il y a une personne A&R impliquée (Artists And Repertoire ; il est le lien privilégié entre l'artiste et le label), nous parlons tous ensemble jusqu'à un certain point, tout le monde cherchant à faire ce qui est de mieux pour l'artiste, et la musique. Et heureusement, j'ai rarement vécu de situations tendues et délicates.
Blindtest : Sonic Youth "Schizophrenia" (Sister 1987)
Est-ce Sonic Youth ?
En effet.
Quel album ?
Schizophrenia, sur l'album Sister, 1987
Je n'ai pas aimé le son de cet album, mais je les ai vus en concert à cette époque, et c'était incroyable !!!
Steve Shelley a toujours dit qu'il voulait réenregistrer cet album pour refaire les parties de batterie qu'il juge médiocre. Que penses-tu de cette démarche de l'artiste, qui peut dénaturer un album qui reflète une période, un «contexte» ?
Je me suis toujours senti coupable de ne jamais avoir aimé écouter Sonic Youth avant Dirty, d'autant plus que les gens pensent que c'est leur plus mauvais album ! J'aime le son de Dirty, sa production... et je trouve que les chansons ont survécu à la machine major. J'aime beaucoup l'album Goo aussi, mais Dirty m'a vraiment impressionné.
Je peux comprendre ce que ressent Steve, surtout après les avoir vu jouer cette chanson en concert et après l'avoir écouté le lendemain sur l'album. J'ai eu la même réaction. D'ailleurs j'ai toujours voulu retravailler les productions de Fugazi que j'ai faites !!!! (rires)
Blindtest : Sonic Youth "Making The Nature Scene" (Confusion Is Sex 1983)
C'est les Yeah Yeah Yeah's ? (rires)
Ca a l'air vieux... Qui est-ce ?
Sonic Youth (encore)
Ma parole, vous adorez Sonic Youth les gars !
De nos jours, penses tu que produire un album avec un tel son brut est possible ?
Je crois que lorsqu'ils ont fait le disque, ils essayaient de ne pas avoir un son brut. En 1983, quand ils étaient sur un petit label indé, ils devaient avoir un budget serré. De plus, c'était encore un jeune groupe, et ils devaient sonner comme ça à l'époque. Regarde la différence qu'il y a entre cette chanson et leur musique actuelle.
De nos jours, les productions ont un son plus dynamique et propre qu'il y a 15 ans. Avec le recul, que penses-tu de tes premières productions ?
La plupart des disques pour lesquels je suis connu ont été réalisés dans des conditions précaires, dans une cave, avec un huit pistes, et même des consoles fabriquées maison ! Mais peu importe le son, et de toute façon le son n'est pas si mauvais que ça, car l'esprit a survécu. Ce sont de bons disques.
Aimerais tu reproduire tes premiers travaux, ou es-tu déçu de ne pas avoir bénéficié des moyens techniques actuels ?
Je ne voudrais pas... C'est bien comme ça... Bien sûr, de nos jours avec Protools... Protools n'est pas un mauvais outil, à condition de ne pas en abuser. Ceci dit je suis partant pour réengistrer la batterie sur Sister ! (rires)
L'industrie du disque permettrait-elle de sortir un disque avec ce genre de son ? Sans ce son, de disque ne serait pas aussi excitant, ou en tout cas ne sonnerait pas pareil.
Ce n'est pas une question de permettre ou de ne pas permettre. Je pourrais faire un disque comme ça aujourd'hui, si le groupe enregistré sonne comme ça...
Ce n'est pas du tout une question technologique. Hormis le fait que les groupes qui ont eu beaucoup d'influences ne sonnent plus comme ça.
Je ne pense pas que tu puisses être signé sur une major si ce titre est ton meilleur. Je ne veux pas paraître rabas joie, mais on est en 2003, pas en 1983. Aujourd'hui ce serait comme demander à quelqu'un de faire un disque qui sonne comme Ain't Nothing But a Hound Dog (Elvis Presley), ou Sergeant Pepper. J'ai regardé 24 Hour Party People la nuit dernière. Qui pourrait faire un disque qui sonne comme "Love Will Tear Us Apart" de nos jours ? Tu pourrais avoir une chanson qui a le même genre d'impact. Certains pourraient dire que "Smells Like Teen Spirit" est le "Love Will Tear Us Apart" d'une autre génération. Mais tu ne peux pas répéter le passé. C'est construit avec. Tu me suis ? C'est un souci de comment est le groupe. (il pense) Le Nirvana qui a fait Bleach n'est pas le Nirvana qui a fait Nevermind. Et ce n'était pas non plus dû à la maison de disques...
Blindtest : Slint "Good Morning Captain" (Spiderland 1991)
New Wet Kojak ?
C'est une blague ?
Qui est-ce ?
Slint
Ca sonne vraiment comme GVSB tu ne trouves pas ? (rires)
Production de Steve Albini ?
En effet.
On n'entend pas les voix, ça ne peut être que du Albini ! Tu es surpris que je n'ai pas reconnu Slint ?
Oui un peu, surtout que tu dises New Wet Kojak...
Et alors ??? (rires)
Comme tu peux voir, ça fait longtemps que je ne me suis pas immergé dans la musique... GVSB parlait beaucoup de Slint. Personnellement, il y a beaucoup de fois où je me suis forcé à ne pas écouter certains groupes pour ne pas me faire influencer par le style de production.
La production de ce genre de titres est à l'opposé de certaines surproductions actuelles. Ne penses-tu pas que l'on est en train de perdre cette recette ?
Surproductions ? Tu penses à quoi ?
Radio 4 ?
J'ai vu Radio 4 en concert, et j'ai trouvé qu'ils sonnaient comme un vieux groupe de punk, comme les Clash. Le son d'enregistrement est le son d'enregistrement. Si cette tension existe, elle sera toujours présente quelles que soient les circonstances. N'oublie pas que n'importe quel artiste ou groupe va progresser et affiner son style d'écriture au cours de sa carrière. Prends les premiers GVSB par exemple, et Venus Luxure...
Quel autre groupe est surproduit à ton avis ?
Et bien écoutes ça !
Blindtest : Radio 4 "Dance To The Underground" (Gotham ! 2002)
C'est Radio 4 ?
Et oui ! Que penses tu de cette production ? Il y a un décalage entre le son de l'album et le son live.
Ils ne sonneront jamais aussi bien que pendant le bon concert que j'ai vu... Tu aimes la manière avec laquelle la piste de batterie a été décalée ? Elle n'est pas dans le tempo. Je ne dis pas que c'est mauvais...
Que penses tu du travail de DFA, producteurs de Radio 4, Raptures... ?
Je ne les connais pas... J'ai vu Radio 4 en première partie de GVSB à New York l'année dernière. J'ai trouvé qu'ils sonnaient comme la batterie sur Sandanista ou London Callin (The Clash), un son très années 80. En tout cas le morceau de Radio 4 que tu m'as passé sonne très bien... j'aurais juste préféré que la batterie soit plus dans le temps...
Tu apprécies le son punk des années 80 ?
Je vis avec mon temps ! Je n'ai jamais vraiment eu de période musicale favorite. J'essaie toujours de me tourner vers l'avenir, et de rester au courant de l'actualité.
Des groupes favoris peut être ?
Je n'ai pas vraiment de liste de mes groupes préférées... Je ne veux pas paraître bizarre, mais ce que j'aime, j'aime ! J'aime des groupes genre... Vous devez sûrement détester certains groupes que j'écoute, comme U2, Depeche Mode, Radiohead. The The est un de mes préférés
Sans fausse modestie, j'aime vraiment le groupe, à qui j'ai trouvé le nom d'ailleurs, The Future Kings of Spain.
Nous ne détestons pas ces groupes !
Il faut que je sois honnête, je ne reste pas à écouter de la musique 24h/24 7J/7 (rires...). J'écoute la radio plus qu'autre chose, la radio parlée j'entends. J'écoute parfois la radio normale aussi. J'ai travaillé longtemps dans un magasin de disques réputé à Washington, à l'époque où je jouais de la musique, et j'en ai tellement écouté, que du coup maintenant j'écoute la radio...
Tu comptes produire d'autres genres de musiques, comme du jazz ou de l'electro... ?
Pas vraiment non. Mais si quelqu'un m'envoie quelque chose et que j'aime bien, pourquoi pas ? Je n'aime pas trop me savoir limité à un style particulier. Bon en même temps, je ne vais pas sortir dans la rue en disant que je veux faire un album de rap par exemple. A propos, j'avais bien aimé les Bad Boys de Marseille
IAM ?
Pardon ?
C'est le nom du groupe.
Ah oui ! J'ai beaucoup aimé la vidéo qu'ils ont tourné à Redhook dans le New Jersey.
Tu as des projets pour le futur ? Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Actuellement, je suis en train d'écouter des groupes... Il y a de bons groupes en France en ce moment ?
...
Aucun bons groupes de rock ? Qu'est-ce que tu écoutes en ce moment ?
Français ?
Non, en général
GVSB ! (rires)
Cool, tu as aimé le dernier GVSB ?
J'adore !!!
Parfait !
Pour conclure, avec quels groupes (passé/présent/futur) aimerais-tu travailler ?
..... C'est dur... Laisse moi réfléchir... J'aimerai bien faire un autre album avec Fugazi !
Nous aussi !
Je ne suis pas très bon sur ce genre de questions... Dans deux heures, je te donnerai la liste d'un million de groupes !
Bon d'accord... allez c'est fini !
C'était un réel plaisir, merci de m'avoir accordé une interview : )
Merci à toi Ted ! Bon alors, quand est-ce que tu déménages en France ?
J'ai raté ma chance en 1993 avec Noir Désir... J'adore Bordeaux !!! Entre 1992 et 1996, j'ai dû y passer 12 mois... J'ai vraiment apprécié vivre là bas, j'en garde de très bons souvenirs...
Ted : Bien, et vous ? Il est tard en France ? Il est midi ici...
Ca va bien merci... Il est 20 heures... Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?
J'ai fait des gaufres ! Mais pas beaucoup en fait, j'ai un peu trop erré sur le net ce matin...
Tu as de la chance !
Pourquoi ?
J'aime les gaufres !
Les gaufres, c'est une tradition du dimanche aux USA.
Tu aimes cuisiner ?
J'adore ça !
Où est-ce que tu vis ?
Albuquerque, New Mexico.
Quel âge as-tu ?
Trop vieux pour que l'on en parle ! (rires...) J'ai vu les Beatles en concert quand j'étais petit...
Au début des années 80, tu jouais de la basse au sein de Nightman. Après quelques productions avec les Slicky Boys, tu as produit en 1988 le premier album de Fugazi. Es-tu devenu producteur par hasard ? Par dépit ?
(rires) Qu'est-ce que tu insinues par « dépit » ???
Tu n'aurais pas voulu être une rock'n roll star ?
J'ai été une rock'n roll star !
Avant de produire le premier Fugazi, j'étais bassiste et co-producteur de Tommy Keene. Et j'ai bel et bien connu tout le milieu de la musique en tant qu'artiste... on était signé sur Geffen. On est passé sur MTV avec Tommy Keene dans un Videos que probablement personne n'a jamais vu... Nous avons été numéro 1 au classement CMJ, à l'époque où ça voulait encore dire quelque chose... C'était en 1987. Et j'ai décidé d'arrêter de jouer de la musique et de devenir un producteur. Si tu regardes le passé de la plupart des producteurs, tu verras que la majorité ont été des bassistes... C'est une évolution naturelle.
Un producteur doit être un bon musicien pour être un bon producteur ?
Pas forcément. Par contre, si tu aides les artistes à faire des arrangements, alors oui, c'est tout de même bienvenue.
Le fait que tu joues de la basse influence ton travail de producteur ? Fugazi et Girls Against Boys sont deux groupes où la basse est primordiale. Coïncidence ?
Oui ! Les deux groupes ont d'excellents bassistes. Eli (Girls Against Boys) n'a jamais vraiment appris à jouer de la basse. Il jouait du clavier au départ, et il a commencé à jouer de la basse quand le groupe s'est formé ; en fait, la simplicité de son jeu a vraiment été un avantage.
Blindtest : Fugazi "Repeater" (Repeater 1989)
On a obtenu le son de batterie en passant la piste de batterie dans un casque placé dans une boîte à cookies dans laquelle nous avions mis un micro, et on a enregistré, en fermant la boite ! C'était une idée de Ian (Fugazi). Il a passé beaucoup de temps sur ce que j'appelle le son de guitare "Giant Claw" (c'est le nom d'un obscur film d'horreur japonais). Je crois qu'il a failli jeté sa guitare un paquet de fois ! La séquence des trois premiers morceaux sur Repeater est très excitante. Elle m'a beaucoup influencé sur la manière de séquencer un album... Un jour j'étais à Seattle pour faire un disque et je suis rentré dans un coffeeshop qui était en train de passer Repeater, l'enchainement sur "Brendan #3", et j'ai été impressionné tellement ça sonnait bien ! Finalement, l'expérimentation de Ian a bel et bien fait son effet !
Peux-tu expliquer ce qu'est un producteur et comment il s'investit dans le processus ?
Un producteur est quelqu'un qui, à mon avis, se doit avant tout d'être passionné de musique. Il doit aider les artistes en tirant le meilleur des chansons qu'ils veulent enregistrer. Ils s'attendent à avoir un point de vue objectif de notre part ; c'est parfois très difficile pour un artiste ou un groupe d'obtenir des points de vue objectifs sur leur musique. Par exemple, un groupe peut juger une chanson pas terrible, alors que le producteur la trouve très bonne. Il doit alors réussir à leur montrer que ce titre est vraiment bon, qu'il a juste besoin de quelques changements ou de nouveaux arrangements... Mais au final, le but est de les aider à prendre du recul sur leur musique.
A ton avis, pourquoi les gens te choisissent pour produire leurs albums ? Une compétence technique particulière, un son particulier, ou peut être une écoute, une sensibilité particulière ?
C'est vraiment dur de dire pourquoi les gens vous choisissent pour faire leurs disques, ou pourquoi ils ne vous choisissent pas... La plupart du temps, les gens sont intéressés car ils ont apprécié un disque que tu as produit. Ils aiment le son, et ils pensent que peut être ce son leur conviendrait. Lorsque j'ai travaillé avec Noir Désir pour la première fois, ils m'avaient contacté à cause du disque des Dirty Hands que j'ai produit en France, et aussi à cause de mon travail avec Fugazi.
Et toi, comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu travailles ?
Après une première rencontre, on laisse trainer quelques jours... puis ils me jouent leurs morceaux qui sont prêts à être enregistrés, et on commence à travailler doucement dessus, de façon à ce qu'ils puissent voir de quelle manière je travaille, et quelles sont mes intentions.
Personnellement, s'ils ont des bonnes chansons, j'accepte. Le fait que la musique soit bonne est très important à mes yeux. Quand j'entends quelque chose qui m'excite, je fonce !
L'intégrité est ta devise ?
Qu'est-ce que tu insinues ?
Tu pourrais travailler avec des artistes que tu n'apprécies pas musicalement, juste pour l'argent...
Je ne travaille pas sur un projet juste parce qu'il faut le faire. Tu ne peux pas arriver, écouter de la musique jour et nuit et travailler bien, si ce n'est pas de la bonne musique.
Blindtest : Girls Against Boys "Roxy" (Freak On Ica 1998).
Tu sais, je n'ai pas produit cet album !!! (rires)
Je sais, mais justement, pourquoi ?
C'est une bonne question...
Merci
Nous avons fait 3 albums ensemble. Avec le recul, je crois qu'ils ont pris toute l'affaire Geffen trop au sérieux. Ce n'était pas de la méchanceté. C'est juste qu'ils pensaient que travailler avec Nick Launey était une bonne idée, et moi aussi. De toute façon, je n'ai jamais voulu faire un disque avec eux s'ils n'étaient pas d'accord à 100%. GVSB se sont mis beaucoup de pression à l'époque. Geffen n'est pas responsable du fait que je n'ai pas travaillé sur ce disque. En fait, je crois même que cela les ennuyait d'une certaine manière.
Tu n'as pas subi de pression de la part de Geffen ?
Non, ils sont arrivés après l'évènement "House Of GVSB", album qui a eu beaucoup de succès et énormément de bonnes critiques. Du coup, l'album suivant allait être crucial. Quand le groupe a commencé à travailler sur le disque, on leur a mis une liste de producteurs sous les yeux. Geffen a suggéré de me mettre dans la liste, et de ne pas oublier de prendre mon cas en considération, entre autres à cause des autres productions que j'ai faite en dehors de GVSB. Les gens ont pris mon cas comme un nom sur la liste, sans statut particulier, au même titre que Flood par exemple.
Je voudrais tout de même ajouter, que le titre que tu m'as passé m'a paru excellent. Je crois que globalement Freak On Ica a été perçu comme trop travaillé. De toute façon, la tâche était très difficile, dans la mesure où la «police indé» n'a pas beaucoup apprécié que Girls Against Boys soit signé sur Geffen.
Tu as travaillé avec des artistes signés sur Epic, Capitol, Island, Touch And Go, Dischord... Penses-tu que l'on travaille dans les mêmes conditions de créativité avec une major et un label indépendant ?
Pour chaque disque, mon approche est la même. On a à la fois une contrainte de temps, de matériel, mais aussi de comment doit sonner le disque. La principale chose qui m'ait gêné avec le fait de ne pas produire un disque avec GVSB sur une major, est le fait que nous avions fait tous nos disques avec une certaine contrainte de temps et d'argent ; et avec Geffen ça n'aurait pas été le cas. Mais la méthode que j'utilise pour faire un disque reste toujours la même.
Tu n'as jamais subi de pressions de la part des labels ou des artistes pour obtenir un résultat spécifique ?
Le but est de travailler ensemble, de manière soudée. S'il y a une personne A&R impliquée (Artists And Repertoire ; il est le lien privilégié entre l'artiste et le label), nous parlons tous ensemble jusqu'à un certain point, tout le monde cherchant à faire ce qui est de mieux pour l'artiste, et la musique. Et heureusement, j'ai rarement vécu de situations tendues et délicates.
Blindtest : Sonic Youth "Schizophrenia" (Sister 1987)
Est-ce Sonic Youth ?
En effet.
Quel album ?
Schizophrenia, sur l'album Sister, 1987
Je n'ai pas aimé le son de cet album, mais je les ai vus en concert à cette époque, et c'était incroyable !!!
Steve Shelley a toujours dit qu'il voulait réenregistrer cet album pour refaire les parties de batterie qu'il juge médiocre. Que penses-tu de cette démarche de l'artiste, qui peut dénaturer un album qui reflète une période, un «contexte» ?
Je me suis toujours senti coupable de ne jamais avoir aimé écouter Sonic Youth avant Dirty, d'autant plus que les gens pensent que c'est leur plus mauvais album ! J'aime le son de Dirty, sa production... et je trouve que les chansons ont survécu à la machine major. J'aime beaucoup l'album Goo aussi, mais Dirty m'a vraiment impressionné.
Je peux comprendre ce que ressent Steve, surtout après les avoir vu jouer cette chanson en concert et après l'avoir écouté le lendemain sur l'album. J'ai eu la même réaction. D'ailleurs j'ai toujours voulu retravailler les productions de Fugazi que j'ai faites !!!! (rires)
Blindtest : Sonic Youth "Making The Nature Scene" (Confusion Is Sex 1983)
C'est les Yeah Yeah Yeah's ? (rires)
Ca a l'air vieux... Qui est-ce ?
Sonic Youth (encore)
Ma parole, vous adorez Sonic Youth les gars !
De nos jours, penses tu que produire un album avec un tel son brut est possible ?
Je crois que lorsqu'ils ont fait le disque, ils essayaient de ne pas avoir un son brut. En 1983, quand ils étaient sur un petit label indé, ils devaient avoir un budget serré. De plus, c'était encore un jeune groupe, et ils devaient sonner comme ça à l'époque. Regarde la différence qu'il y a entre cette chanson et leur musique actuelle.
De nos jours, les productions ont un son plus dynamique et propre qu'il y a 15 ans. Avec le recul, que penses-tu de tes premières productions ?
La plupart des disques pour lesquels je suis connu ont été réalisés dans des conditions précaires, dans une cave, avec un huit pistes, et même des consoles fabriquées maison ! Mais peu importe le son, et de toute façon le son n'est pas si mauvais que ça, car l'esprit a survécu. Ce sont de bons disques.
Aimerais tu reproduire tes premiers travaux, ou es-tu déçu de ne pas avoir bénéficié des moyens techniques actuels ?
Je ne voudrais pas... C'est bien comme ça... Bien sûr, de nos jours avec Protools... Protools n'est pas un mauvais outil, à condition de ne pas en abuser. Ceci dit je suis partant pour réengistrer la batterie sur Sister ! (rires)
L'industrie du disque permettrait-elle de sortir un disque avec ce genre de son ? Sans ce son, de disque ne serait pas aussi excitant, ou en tout cas ne sonnerait pas pareil.
Ce n'est pas une question de permettre ou de ne pas permettre. Je pourrais faire un disque comme ça aujourd'hui, si le groupe enregistré sonne comme ça...
Ce n'est pas du tout une question technologique. Hormis le fait que les groupes qui ont eu beaucoup d'influences ne sonnent plus comme ça.
Je ne pense pas que tu puisses être signé sur une major si ce titre est ton meilleur. Je ne veux pas paraître rabas joie, mais on est en 2003, pas en 1983. Aujourd'hui ce serait comme demander à quelqu'un de faire un disque qui sonne comme Ain't Nothing But a Hound Dog (Elvis Presley), ou Sergeant Pepper. J'ai regardé 24 Hour Party People la nuit dernière. Qui pourrait faire un disque qui sonne comme "Love Will Tear Us Apart" de nos jours ? Tu pourrais avoir une chanson qui a le même genre d'impact. Certains pourraient dire que "Smells Like Teen Spirit" est le "Love Will Tear Us Apart" d'une autre génération. Mais tu ne peux pas répéter le passé. C'est construit avec. Tu me suis ? C'est un souci de comment est le groupe. (il pense) Le Nirvana qui a fait Bleach n'est pas le Nirvana qui a fait Nevermind. Et ce n'était pas non plus dû à la maison de disques...
Blindtest : Slint "Good Morning Captain" (Spiderland 1991)
New Wet Kojak ?
C'est une blague ?
Qui est-ce ?
Slint
Ca sonne vraiment comme GVSB tu ne trouves pas ? (rires)
Production de Steve Albini ?
En effet.
On n'entend pas les voix, ça ne peut être que du Albini ! Tu es surpris que je n'ai pas reconnu Slint ?
Oui un peu, surtout que tu dises New Wet Kojak...
Et alors ??? (rires)
Comme tu peux voir, ça fait longtemps que je ne me suis pas immergé dans la musique... GVSB parlait beaucoup de Slint. Personnellement, il y a beaucoup de fois où je me suis forcé à ne pas écouter certains groupes pour ne pas me faire influencer par le style de production.
La production de ce genre de titres est à l'opposé de certaines surproductions actuelles. Ne penses-tu pas que l'on est en train de perdre cette recette ?
Surproductions ? Tu penses à quoi ?
Radio 4 ?
J'ai vu Radio 4 en concert, et j'ai trouvé qu'ils sonnaient comme un vieux groupe de punk, comme les Clash. Le son d'enregistrement est le son d'enregistrement. Si cette tension existe, elle sera toujours présente quelles que soient les circonstances. N'oublie pas que n'importe quel artiste ou groupe va progresser et affiner son style d'écriture au cours de sa carrière. Prends les premiers GVSB par exemple, et Venus Luxure...
Quel autre groupe est surproduit à ton avis ?
Et bien écoutes ça !
Blindtest : Radio 4 "Dance To The Underground" (Gotham ! 2002)
C'est Radio 4 ?
Et oui ! Que penses tu de cette production ? Il y a un décalage entre le son de l'album et le son live.
Ils ne sonneront jamais aussi bien que pendant le bon concert que j'ai vu... Tu aimes la manière avec laquelle la piste de batterie a été décalée ? Elle n'est pas dans le tempo. Je ne dis pas que c'est mauvais...
Que penses tu du travail de DFA, producteurs de Radio 4, Raptures... ?
Je ne les connais pas... J'ai vu Radio 4 en première partie de GVSB à New York l'année dernière. J'ai trouvé qu'ils sonnaient comme la batterie sur Sandanista ou London Callin (The Clash), un son très années 80. En tout cas le morceau de Radio 4 que tu m'as passé sonne très bien... j'aurais juste préféré que la batterie soit plus dans le temps...
Tu apprécies le son punk des années 80 ?
Je vis avec mon temps ! Je n'ai jamais vraiment eu de période musicale favorite. J'essaie toujours de me tourner vers l'avenir, et de rester au courant de l'actualité.
Des groupes favoris peut être ?
Je n'ai pas vraiment de liste de mes groupes préférées... Je ne veux pas paraître bizarre, mais ce que j'aime, j'aime ! J'aime des groupes genre... Vous devez sûrement détester certains groupes que j'écoute, comme U2, Depeche Mode, Radiohead. The The est un de mes préférés
Sans fausse modestie, j'aime vraiment le groupe, à qui j'ai trouvé le nom d'ailleurs, The Future Kings of Spain.
Nous ne détestons pas ces groupes !
Il faut que je sois honnête, je ne reste pas à écouter de la musique 24h/24 7J/7 (rires...). J'écoute la radio plus qu'autre chose, la radio parlée j'entends. J'écoute parfois la radio normale aussi. J'ai travaillé longtemps dans un magasin de disques réputé à Washington, à l'époque où je jouais de la musique, et j'en ai tellement écouté, que du coup maintenant j'écoute la radio...
Tu comptes produire d'autres genres de musiques, comme du jazz ou de l'electro... ?
Pas vraiment non. Mais si quelqu'un m'envoie quelque chose et que j'aime bien, pourquoi pas ? Je n'aime pas trop me savoir limité à un style particulier. Bon en même temps, je ne vais pas sortir dans la rue en disant que je veux faire un album de rap par exemple. A propos, j'avais bien aimé les Bad Boys de Marseille
IAM ?
Pardon ?
C'est le nom du groupe.
Ah oui ! J'ai beaucoup aimé la vidéo qu'ils ont tourné à Redhook dans le New Jersey.
Tu as des projets pour le futur ? Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Actuellement, je suis en train d'écouter des groupes... Il y a de bons groupes en France en ce moment ?
...
Aucun bons groupes de rock ? Qu'est-ce que tu écoutes en ce moment ?
Français ?
Non, en général
GVSB ! (rires)
Cool, tu as aimé le dernier GVSB ?
J'adore !!!
Parfait !
Pour conclure, avec quels groupes (passé/présent/futur) aimerais-tu travailler ?
..... C'est dur... Laisse moi réfléchir... J'aimerai bien faire un autre album avec Fugazi !
Nous aussi !
Je ne suis pas très bon sur ce genre de questions... Dans deux heures, je te donnerai la liste d'un million de groupes !
Bon d'accord... allez c'est fini !
C'était un réel plaisir, merci de m'avoir accordé une interview : )
Merci à toi Ted ! Bon alors, quand est-ce que tu déménages en France ?
J'ai raté ma chance en 1993 avec Noir Désir... J'adore Bordeaux !!! Entre 1992 et 1996, j'ai dû y passer 12 mois... J'ai vraiment apprécié vivre là bas, j'en garde de très bons souvenirs...
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