Henry Flynt
You Are My Everlovin'/Celestial Power |
Label :
Edition Hundertmark |
||||
- Au secours ! Au blasphème ! Au meurtrier ! Que quelqu'un me vienne en aide !
- Allons bon, Docteur Rednek, qu'est-ce qui peut bien vous mettre dans un état pareil ?
- Mon ami c'est terrible c'est affreux, il se moque de tout ! Mon hillbilly, ma country, Henry Flynt l'a assassinée !
- Ce bon vieux Flynt ? Doc, une fois encore vous vous êtes emporté. Je connais bien Henry, le pauvre bougre n'a jamais fait de mal à personne.
- Mais... mes rythmes trépidants, mes choeurs nasillards, mon banjo, que leur est-il arrivé... ?
- Ne vous en faites donc pas Doc, la musique hillbilly n'est pas morte, elle a juste une drôle d'odeur.
Et de fait : personne n'aime tant les musiques de la profonde Amérique que Henry Flynt. L'homme est certes un intellectuel universitaire, un philosophe nihiliste et un musicien d'avant-garde, mais il est avant tout ce qu'il nomme une "folk creature", un homme du pays, élevé chez les rednecks et fasciné par le hillbilly, le blues et le rockabilly, comme par toutes les musiques dites "ethniques". Sa vie de musicien, il n'aura eu de cesse de la passer à tenter de faire naître sa propre vision du blues et du hillbilly. Une vision qu'il cristallisera en ces termes : "J'aspire à une beauté qui est extatique et perpétuelle tout en étant concrète, humaine et profondément émotive". Une vision qu'il rêve à la fois embrassée par l'académie musicologique (qui établit une hiérarchie claire entre la musique ethnique et celle de la musique classique occidentale) et par le grand public. Utopie qui, au vu de la "carrière" du bonhomme – il n'aura pu faire paraître quoi que ce soit qu'à la fin des années 80 alors même qu'il exerce depuis l'aube des 60's – est condamnée à rester dans le placard. Destin d'autant plus frustrant que, pour peu qu'on se penche sur la seule musique, débarrassée de grands discours ou d'encombrantes théories, le placard de Henry Flynt est des plus fascinants.
Dans ce qui demeurera son premier témoignage officiel (sans compter les disques d'archives qui feront surface dans les années 2000), "You Are My Everlovin'" nous accueille avec un épais drones aux vapeurs narcotiques évoquant immédiatement la musique indienne (un peu comme si une cithare s'était mise à vibrer en continu), drone qui partage la scène avec le violon électrique de Flynt. Et le centre de l'attention ici, c'est bien ce violon à la partition improbable. Rendu libre par l'absence de section rythmique, et appuyé par ce drone qui semble assouplir le temps, Henry joue (improvise?) des mélodies qui ont autant à voir avec le raga indien qu'avec les bons vieux thèmes de l'old-time redneck, ou encore avec une musique plus free. Flynt déconstruit ses acquis en usant aussi bien de techniques de jeu de musique classiques que de glissandos hérités des cow-boys. Ce type de travaux cross-genre sera à l'origine de son assimilation tardive sous l'étiquette "American Primitivism" (qu'on associe en général à John Fahey & Cie et qui s'applique à merveille chez Flynt), bien qu'il préfère se parer du label "New American Ethnic Music".
On entre dans "You Are My Everlovin'" comme on prend un train en marche ; de toute évidence la pièce ne nous a pas attendu pour démarrer, et d'ailleurs au bout de trois quarts d'heure (lorsque la prise de son s'achève) le morceau ne semble toujours pas terminer. Flynt est ici fidèle à son concept de beauté perpétuelle – que l'on peut retracer sans mal aux travaux du minimaliste La Monte Young, qui fréquenta et joua un temps avec Flynt. Le principe est le même sur la seconde piste, "Celestial Power", de trois quarts d'heure aussi. Sur cette dernière, si le violon est toujours de mise le drone a laissé sa place à une guitare électrique qui se contente de jouer des accords de façon saccadée et syncopée. Le violon quant à lui, se fait plus free qu'auparavant, le résultat est un morceau dont le psychédélisme évoque bien plus l'occident que l'orient.
Le génie du rêveur Henry Flynt en somme aura été de parvenir à ouvrir tout un genre, réputé pour être aussi... disons "conservateur" pour rester poli... que ceux qui le pratiquent, à de nouvelles formes musicales, et ce faisant à lui donner tout simplement une nouvelle jeunesse. Et la même remarque peut d'ailleurs être faite du côté indien du spectre : le mariage entre le raga (forme musicale théoriquement infinie) et le hillbilly (borné même par son essence, des chansons courtes narrant une histoire avec un début et une fin) fait du bien aux deux genres. Ainsi le hillbilly se voit étendu, allégé, "purifié" (dans un sens minimaliste hein, pas de hiérarchie ici) tout en évitant un quelconque immobilisme ; si la musique de Flynt est étirée et méditative, elle n'est pas pour autant dépourvue de narration, de pouvoir évocateur, de dramaturgie même ! Une musique aussi vivante qu'auparavant. Seulement un peu plus rêveuse, peut-être, portée par un nouveau souffle extatique...
- Allons bon, Docteur Rednek, qu'est-ce qui peut bien vous mettre dans un état pareil ?
- Mon ami c'est terrible c'est affreux, il se moque de tout ! Mon hillbilly, ma country, Henry Flynt l'a assassinée !
- Ce bon vieux Flynt ? Doc, une fois encore vous vous êtes emporté. Je connais bien Henry, le pauvre bougre n'a jamais fait de mal à personne.
- Mais... mes rythmes trépidants, mes choeurs nasillards, mon banjo, que leur est-il arrivé... ?
- Ne vous en faites donc pas Doc, la musique hillbilly n'est pas morte, elle a juste une drôle d'odeur.
Et de fait : personne n'aime tant les musiques de la profonde Amérique que Henry Flynt. L'homme est certes un intellectuel universitaire, un philosophe nihiliste et un musicien d'avant-garde, mais il est avant tout ce qu'il nomme une "folk creature", un homme du pays, élevé chez les rednecks et fasciné par le hillbilly, le blues et le rockabilly, comme par toutes les musiques dites "ethniques". Sa vie de musicien, il n'aura eu de cesse de la passer à tenter de faire naître sa propre vision du blues et du hillbilly. Une vision qu'il cristallisera en ces termes : "J'aspire à une beauté qui est extatique et perpétuelle tout en étant concrète, humaine et profondément émotive". Une vision qu'il rêve à la fois embrassée par l'académie musicologique (qui établit une hiérarchie claire entre la musique ethnique et celle de la musique classique occidentale) et par le grand public. Utopie qui, au vu de la "carrière" du bonhomme – il n'aura pu faire paraître quoi que ce soit qu'à la fin des années 80 alors même qu'il exerce depuis l'aube des 60's – est condamnée à rester dans le placard. Destin d'autant plus frustrant que, pour peu qu'on se penche sur la seule musique, débarrassée de grands discours ou d'encombrantes théories, le placard de Henry Flynt est des plus fascinants.
Dans ce qui demeurera son premier témoignage officiel (sans compter les disques d'archives qui feront surface dans les années 2000), "You Are My Everlovin'" nous accueille avec un épais drones aux vapeurs narcotiques évoquant immédiatement la musique indienne (un peu comme si une cithare s'était mise à vibrer en continu), drone qui partage la scène avec le violon électrique de Flynt. Et le centre de l'attention ici, c'est bien ce violon à la partition improbable. Rendu libre par l'absence de section rythmique, et appuyé par ce drone qui semble assouplir le temps, Henry joue (improvise?) des mélodies qui ont autant à voir avec le raga indien qu'avec les bons vieux thèmes de l'old-time redneck, ou encore avec une musique plus free. Flynt déconstruit ses acquis en usant aussi bien de techniques de jeu de musique classiques que de glissandos hérités des cow-boys. Ce type de travaux cross-genre sera à l'origine de son assimilation tardive sous l'étiquette "American Primitivism" (qu'on associe en général à John Fahey & Cie et qui s'applique à merveille chez Flynt), bien qu'il préfère se parer du label "New American Ethnic Music".
On entre dans "You Are My Everlovin'" comme on prend un train en marche ; de toute évidence la pièce ne nous a pas attendu pour démarrer, et d'ailleurs au bout de trois quarts d'heure (lorsque la prise de son s'achève) le morceau ne semble toujours pas terminer. Flynt est ici fidèle à son concept de beauté perpétuelle – que l'on peut retracer sans mal aux travaux du minimaliste La Monte Young, qui fréquenta et joua un temps avec Flynt. Le principe est le même sur la seconde piste, "Celestial Power", de trois quarts d'heure aussi. Sur cette dernière, si le violon est toujours de mise le drone a laissé sa place à une guitare électrique qui se contente de jouer des accords de façon saccadée et syncopée. Le violon quant à lui, se fait plus free qu'auparavant, le résultat est un morceau dont le psychédélisme évoque bien plus l'occident que l'orient.
Le génie du rêveur Henry Flynt en somme aura été de parvenir à ouvrir tout un genre, réputé pour être aussi... disons "conservateur" pour rester poli... que ceux qui le pratiquent, à de nouvelles formes musicales, et ce faisant à lui donner tout simplement une nouvelle jeunesse. Et la même remarque peut d'ailleurs être faite du côté indien du spectre : le mariage entre le raga (forme musicale théoriquement infinie) et le hillbilly (borné même par son essence, des chansons courtes narrant une histoire avec un début et une fin) fait du bien aux deux genres. Ainsi le hillbilly se voit étendu, allégé, "purifié" (dans un sens minimaliste hein, pas de hiérarchie ici) tout en évitant un quelconque immobilisme ; si la musique de Flynt est étirée et méditative, elle n'est pas pour autant dépourvue de narration, de pouvoir évocateur, de dramaturgie même ! Une musique aussi vivante qu'auparavant. Seulement un peu plus rêveuse, peut-être, portée par un nouveau souffle extatique...
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
NB: Pour plus d'infos sur la philosophie musicale de Henry Flynt, je vous conseille la lecture de son essai écrit en 1980 (et repris en 2002) : http://www.henryflynt.org/aesthetics/meaning_of_my_music.htm
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