Klaus Schulze
Moondawn |
Label :
Brain |
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Il y a certains disques que l'on ne peut décrire qu'à grand renfort de superlatifs. Moondawn, de Klaus Schulze est de ceux-là. Monolithique, magnifique, labyrinthique, magique, onirique, autant de hics pour qualifier un des travaux les plus aboutis du sieur Schulze. Mais tout d'abord, quelques présentations s'imposent. Avant d'arriver à cette "masterpiece", Schulze avait déjà fait un bout de chemin dans le monde de la musique planante. Etudiant en philosophie et musique contemporaine en 67, il joue à divers instruments avec des formations de musique psyché berlinoise avant de se fixer à la batterie. Il trouve par la suite un poste de batteur chez Tangerine Dream qui l'introduit à la musique électronique planante. Il se séparera d'eux après un album et partira fonder Ash Ra Tempel avec deux collègues, avec qui il publiera également un seul album avant de partir débuter sa propre carrière solo. Schulze commence donc ses prouesses de claviériste en 1971 et produit toute une tripotée d'albums (l'homme est productif) planants et "cosmiques" où de longues plages s'étendent sur des rondelles parfois doubles, véritables nuages de sons synthétiques dans lesquels on se perd volontiers pour en ressortir relâché, une expression sereine sur le visage...
Moondawn ne déroge pas à la règle. Une plage par face, de respectivement 27 et 25 minutes. Mais là où cet album marque une évolution dans sa musique, c'est qu'en plus des séquences monotones de claviers et de séquenceurs Klaus s'offre les services du batteur virtuose Harald Grosskopf d'Ash Ra Tempel (qui avait alors succédé à Schulze dans le groupe, sans rancune !). Le résultat est une intensité encore accrue des morceaux. La liste des appareils biscornus utilisés par l'allemand est affolante pour l'époque : "Big Moog ARP 2600, ARP Odyssey, EMS Synthia, Farfisa Syntorchester, Farfisa Professional duo et claviers Crumar", à classer aux côtés des bestiaux de Kraftwerk, David Vorhaus (de White Noise) et Tangerine Dream.
Plusieurs phases distinctes se succèdent sur l'album. Les premières secondes de "Floating" présentent un sample d'un homme déclamant un texte religieux en arabe sur fond de cliquetis électroniques, laissant peu à peu place à une chorale méditative, passant lentement d'une note à une autre, imperturbable, tandis que s'étendent de longues notes d'orgue plaçant le décor pour la fresque épique qui va suivre. Peu à peu, les voix sont délaissées au profit d'un subtil arpège de synthé qui, au bout de 7 minutes de contemplation passive, arrive avec les premières percussions. Au premier abord, celles-ci ne forment qu'un léger beat lancinant, mais bientôt quelques breaks percent et s'imposeront à partir de 9 minutes comme le seul élément réellement mouvant du paysage sonore de Schulze. Tandis que les arpèges synthétiques se succèdent, la batterie ne cesse de balancer ses breaks hypnotiques au milieu du tintement répétitif du charleston. Puis peu à peu, la chorale revient, se mêle avec elle l'orgue pour former petit à petit une pâte sonore à la fois dense et aérienne. Et là, à 15 minutes, une mélodie nouvelle apparaît sous la forme de notes simples qui viennent se placer en première ligne du mixage tandis que le soufflé sonore dégonfle et recule en arrière-plan. Et ainsi va le morceau, en variations d'intensité, jusqu'à sa conclusion en fade-out qui nous laisse rêveurs, assommés et fin prêts pour la deuxième plage.
Si "Floating" était un voyage spatial, alors "Mindphaser" est sa destination. On imagine le paysage d'une planète vierge, sur une plage où l'on entend (comme sur "Leb'Wohl" de Neu! Sorti l'année précédente) les vagues s'échouer sur les rochers d'un paysage orageux. Le tonnerre perçant au loin, Schulze laisse s'étaler de longues et tristes notes pour peindre sa planète désolée. Naufragé sur ce monde musical en ruine où rien ne subsiste sinon l'amertume, on erre sans but, accompagné par les violons synthétiques qui nous servent d'unique point de repère. 10 minutes que cela dure et pourtant jamais l'ennui ne pointe le bout de son nez, tant l'immersion est totale. Là où "Floating" était balloté par une batterie erratique et furieuse, "Mindphaser" pose lentement ses bases et prend son temps pour créer son monde hanté. Et soudainement, à 12 minutes, au beau milieu de sa contemplation désertique, Schulze fait jaillir un accord d'orgue menaçant tandis que la batterie se lance dans un solo inattendu. Abasourdi par ce changement total d'intensité, on ne peut que rester planté là à écouter le mur d'orgue et les roulements de toms et de cymbale. Peu après, les claviers interviennent de nouveau et viennent reprendre leur place habituelle au sein du son de Schulze, créant un effet épique malsain, comme si l'on assistait à une messe satanique. Il est encore une fois étonnant de constater la justesse du placement de la batterie au milieu des sons des moogs, petits et grands, alors que d'autres de ses contemporains échouaient à introduire de vrais beats dans leur musique. On peut mettre cette aisance sur la prime expérience de Schulze en tant que batteur.
Le disque est fini et si tout s'est bien passé on est hébété, encore à moitié en transe, à se demander encore une fois qu'est-ce qui vient de nous passer par les esgourdes. Et si l'on s'intéresse aux groupes contemporains de musique électronique, on peut d'autant plus retracer les influences d'untel ou d'un autre jusqu'aux trois géants de l'époque ; Kraftwerk, Tangerine Dream et bien sûr Klaus Schulze. Pour beaucoup en musique électronique, tout commence ici avec ce chef-d'œuvre et ses paysages à la profondeur infinie.
Le mieux est encore de laisser à Schulze lui-même l'opportunité de clore cette chronique, à propos de sa propre influence : "I did my music when electronics, synthesizer, computers, trance and techno were not around in music, not fashionable. At last, my music is now accepted and fulfilled by a new generation who does not have the prejudice of their parents; these kids grew up with electronic music of all sorts. It's normal, that these people: listeners, artists, or journalists look for the roots of this music. And what do they see? Kraftwerk, Tangerine Dream and me. We are indeed some of the few who made our music with 'exotic' electronic means, against a lot of opposition and laughter, but with no compromise. We paved the way, if I may say so." Dixit l'artiste.
Moondawn ne déroge pas à la règle. Une plage par face, de respectivement 27 et 25 minutes. Mais là où cet album marque une évolution dans sa musique, c'est qu'en plus des séquences monotones de claviers et de séquenceurs Klaus s'offre les services du batteur virtuose Harald Grosskopf d'Ash Ra Tempel (qui avait alors succédé à Schulze dans le groupe, sans rancune !). Le résultat est une intensité encore accrue des morceaux. La liste des appareils biscornus utilisés par l'allemand est affolante pour l'époque : "Big Moog ARP 2600, ARP Odyssey, EMS Synthia, Farfisa Syntorchester, Farfisa Professional duo et claviers Crumar", à classer aux côtés des bestiaux de Kraftwerk, David Vorhaus (de White Noise) et Tangerine Dream.
Plusieurs phases distinctes se succèdent sur l'album. Les premières secondes de "Floating" présentent un sample d'un homme déclamant un texte religieux en arabe sur fond de cliquetis électroniques, laissant peu à peu place à une chorale méditative, passant lentement d'une note à une autre, imperturbable, tandis que s'étendent de longues notes d'orgue plaçant le décor pour la fresque épique qui va suivre. Peu à peu, les voix sont délaissées au profit d'un subtil arpège de synthé qui, au bout de 7 minutes de contemplation passive, arrive avec les premières percussions. Au premier abord, celles-ci ne forment qu'un léger beat lancinant, mais bientôt quelques breaks percent et s'imposeront à partir de 9 minutes comme le seul élément réellement mouvant du paysage sonore de Schulze. Tandis que les arpèges synthétiques se succèdent, la batterie ne cesse de balancer ses breaks hypnotiques au milieu du tintement répétitif du charleston. Puis peu à peu, la chorale revient, se mêle avec elle l'orgue pour former petit à petit une pâte sonore à la fois dense et aérienne. Et là, à 15 minutes, une mélodie nouvelle apparaît sous la forme de notes simples qui viennent se placer en première ligne du mixage tandis que le soufflé sonore dégonfle et recule en arrière-plan. Et ainsi va le morceau, en variations d'intensité, jusqu'à sa conclusion en fade-out qui nous laisse rêveurs, assommés et fin prêts pour la deuxième plage.
Si "Floating" était un voyage spatial, alors "Mindphaser" est sa destination. On imagine le paysage d'une planète vierge, sur une plage où l'on entend (comme sur "Leb'Wohl" de Neu! Sorti l'année précédente) les vagues s'échouer sur les rochers d'un paysage orageux. Le tonnerre perçant au loin, Schulze laisse s'étaler de longues et tristes notes pour peindre sa planète désolée. Naufragé sur ce monde musical en ruine où rien ne subsiste sinon l'amertume, on erre sans but, accompagné par les violons synthétiques qui nous servent d'unique point de repère. 10 minutes que cela dure et pourtant jamais l'ennui ne pointe le bout de son nez, tant l'immersion est totale. Là où "Floating" était balloté par une batterie erratique et furieuse, "Mindphaser" pose lentement ses bases et prend son temps pour créer son monde hanté. Et soudainement, à 12 minutes, au beau milieu de sa contemplation désertique, Schulze fait jaillir un accord d'orgue menaçant tandis que la batterie se lance dans un solo inattendu. Abasourdi par ce changement total d'intensité, on ne peut que rester planté là à écouter le mur d'orgue et les roulements de toms et de cymbale. Peu après, les claviers interviennent de nouveau et viennent reprendre leur place habituelle au sein du son de Schulze, créant un effet épique malsain, comme si l'on assistait à une messe satanique. Il est encore une fois étonnant de constater la justesse du placement de la batterie au milieu des sons des moogs, petits et grands, alors que d'autres de ses contemporains échouaient à introduire de vrais beats dans leur musique. On peut mettre cette aisance sur la prime expérience de Schulze en tant que batteur.
Le disque est fini et si tout s'est bien passé on est hébété, encore à moitié en transe, à se demander encore une fois qu'est-ce qui vient de nous passer par les esgourdes. Et si l'on s'intéresse aux groupes contemporains de musique électronique, on peut d'autant plus retracer les influences d'untel ou d'un autre jusqu'aux trois géants de l'époque ; Kraftwerk, Tangerine Dream et bien sûr Klaus Schulze. Pour beaucoup en musique électronique, tout commence ici avec ce chef-d'œuvre et ses paysages à la profondeur infinie.
Le mieux est encore de laisser à Schulze lui-même l'opportunité de clore cette chronique, à propos de sa propre influence : "I did my music when electronics, synthesizer, computers, trance and techno were not around in music, not fashionable. At last, my music is now accepted and fulfilled by a new generation who does not have the prejudice of their parents; these kids grew up with electronic music of all sorts. It's normal, that these people: listeners, artists, or journalists look for the roots of this music. And what do they see? Kraftwerk, Tangerine Dream and me. We are indeed some of the few who made our music with 'exotic' electronic means, against a lot of opposition and laughter, but with no compromise. We paved the way, if I may say so." Dixit l'artiste.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_Wazoo |
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