Ibibio Sound Machine
Doko Mien |
Label :
Merge |
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J'ai découvert Ibibio Sound Machine avec leur premier disque éponyme en 2014, qui était déjà un bel album plein de promesses. Depuis, chaque nouvel album m'apparaît meilleur que le précédent, d'où l'urgente nécessité de vous en parler. Formation londonienne emmenée par la chanteuse anglo-nigériane Eno Williams, Ibibio Sound Machine mélange savamment sonorités africaines et occidentales – funk, électro, disco, post-punk, jazz, soul : tout se retrouve dans un joyeux bazar carnavalesque. Vous avez certainement déjà entendu, sans le savoir, l'excellent titre "The Chant (Iquo Isang)", parfait exemple de leur savoir-faire, qui a été utilisé dans une pub pour une célèbre voiture espagnole diffusée généreusement à la télé et à la radio ces deux dernières années. Uyai (2017), leur deuxième album dont est notamment extrait ce titre, a permis au groupe d'accéder à plus de lumière et à la grande sympathie des critiques : foisonnant, original, coloré, fougueux, assurément réussi, je le trouvais néanmoins un peu confus. Doko Mien réunit toutes les qualités du précédent, mais me semble mieux construit et plus cohérent.
"I Need You to Be Sweet Like Sugar (Nnge Nte Suka)", en introduction, pose les bases du sons que l'on retrouvera à l'écoute de ce crû 2019 et défie toutes les classifications : texte tantôt en anglais, tantôt en ibibio, musique groovy entre funk/soul et post-punk (mélodiquement, on pense autant aux Talking Heads qu'à Sly and the Family Stone), hypnotique synthé à la Kraftwerk, cuivres triomphants, guitare blues, solo de gratte acide en final. Le morceau est suivi par les deux uppercuts dance de l'album : "Wanna Come Down" et "Tell Me (Doko Mien)". Le premier, très disco, est tout en rondeur, secoué par une ligne de basse redoutable et des cuivres magistraux. Le second, beaucoup plus synthétique, adopte un tempo beaucoup plus rapide : semblant tout droit sortir des plus folles boîtes hi-NRG des années 1980, c'est le titre que Donna Summer aurait aimé sortir pour relancer sa carrière au milieu des eighties. La 'Queen of Disco' n'est pas loin non plus sur la chanson, "She Work Very Hard" (oui, 'work' sans 's' pour le côté afro), dont le titre est une probable référence au dernier tube de Summer, "She Works Hard for the Money" ("she work very hard to get money", chante Eno Williams).
Les moments qui m'ont le plus enthousiasmé, cependant, sont les plus atmosphériques. Citons pour commencer "I Know That You're Thinking about Me" : superbe pièce entre ambient, soul, R&B et jazz. Une cigarette qui se consume lentement, un café noir dont la chaude fumée s'échappe de la tasse, une brise légère et tiède en été : voilà quelques images que le titre suscite. Tout aussi aérien, "I Will Run" évolue néanmoins dans un tout autre registre. Ce très joli mini-titre de deux minutes – presque une interlude – est très minimal aussi bien au niveau du texte (la phrase "I will run into your arms" répétée à l'envi) que de la musique, très froide, synthétique – seuls les chœurs féminins qui évoquent des chants africains viennent apporter un peu de chaleur. Enfin, terminons par le très enivrant "Guess We've Found a Way" : sur ce très beau morceau de soul psychédélique, la voix d'Eno Williams n'a jamais été aussi caressante et vaporeuse. L'ensemble baigne dans une atmosphère moite, délicate, et tout en réserve.
Bref, Doko Mien est une incontestable réussite. Là où Uyai, fruit d'une formation avide d'expérimentations, tentait des mélanges nouveaux et toujours plus surprenants, reconnaissons-le, souvent réussis, mais parfois au détriment d'une cohésion mélodique et musicale d'ensemble ("Joy (Idaresit)", par exemple, qui intègre sans éclat techno et musique indus à leur musique colorée), Doko Mien a conservé une ambition expérimentale, mais justement dosée, qui ne prend jamais le dessus sur la musicalité et l'harmonie. Avec ce troisième essai, les Londoniens d'Ibibio Sound Machine atteignent un nouveau palier de perfection.
"I Need You to Be Sweet Like Sugar (Nnge Nte Suka)", en introduction, pose les bases du sons que l'on retrouvera à l'écoute de ce crû 2019 et défie toutes les classifications : texte tantôt en anglais, tantôt en ibibio, musique groovy entre funk/soul et post-punk (mélodiquement, on pense autant aux Talking Heads qu'à Sly and the Family Stone), hypnotique synthé à la Kraftwerk, cuivres triomphants, guitare blues, solo de gratte acide en final. Le morceau est suivi par les deux uppercuts dance de l'album : "Wanna Come Down" et "Tell Me (Doko Mien)". Le premier, très disco, est tout en rondeur, secoué par une ligne de basse redoutable et des cuivres magistraux. Le second, beaucoup plus synthétique, adopte un tempo beaucoup plus rapide : semblant tout droit sortir des plus folles boîtes hi-NRG des années 1980, c'est le titre que Donna Summer aurait aimé sortir pour relancer sa carrière au milieu des eighties. La 'Queen of Disco' n'est pas loin non plus sur la chanson, "She Work Very Hard" (oui, 'work' sans 's' pour le côté afro), dont le titre est une probable référence au dernier tube de Summer, "She Works Hard for the Money" ("she work very hard to get money", chante Eno Williams).
Les moments qui m'ont le plus enthousiasmé, cependant, sont les plus atmosphériques. Citons pour commencer "I Know That You're Thinking about Me" : superbe pièce entre ambient, soul, R&B et jazz. Une cigarette qui se consume lentement, un café noir dont la chaude fumée s'échappe de la tasse, une brise légère et tiède en été : voilà quelques images que le titre suscite. Tout aussi aérien, "I Will Run" évolue néanmoins dans un tout autre registre. Ce très joli mini-titre de deux minutes – presque une interlude – est très minimal aussi bien au niveau du texte (la phrase "I will run into your arms" répétée à l'envi) que de la musique, très froide, synthétique – seuls les chœurs féminins qui évoquent des chants africains viennent apporter un peu de chaleur. Enfin, terminons par le très enivrant "Guess We've Found a Way" : sur ce très beau morceau de soul psychédélique, la voix d'Eno Williams n'a jamais été aussi caressante et vaporeuse. L'ensemble baigne dans une atmosphère moite, délicate, et tout en réserve.
Bref, Doko Mien est une incontestable réussite. Là où Uyai, fruit d'une formation avide d'expérimentations, tentait des mélanges nouveaux et toujours plus surprenants, reconnaissons-le, souvent réussis, mais parfois au détriment d'une cohésion mélodique et musicale d'ensemble ("Joy (Idaresit)", par exemple, qui intègre sans éclat techno et musique indus à leur musique colorée), Doko Mien a conservé une ambition expérimentale, mais justement dosée, qui ne prend jamais le dessus sur la musicalité et l'harmonie. Avec ce troisième essai, les Londoniens d'Ibibio Sound Machine atteignent un nouveau palier de perfection.
Très bon 16/20 | par Rebecca Carlson |
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