Clarence Clarity

Trois ans entre deux albums, c'est pas si long, ce serait même le laps de temps habituel pour la majorité. Le problème, c'est quand celui qui met trois ans à sortir son disque tease la sortie à intervalles réguliers, rendant l'attente encore plus longue. Et à ce petit jeu, Clarence Clarity est très fort. Voire le meilleur. Bâtard va.

Alors que l'on croyait l'album sortir en 2017, puis au premier trimestre suivant, c'est finalement à l'automne 2018 que sort THINK : PEACE, un arbre qui cache une forêt. Je vais vous expliquer cette métaphore sylvestre un peu plus tard.

Après un premier album plus qu'enthousiasmant, c'est avec une envie mélangée d'appréhension que l'on attaque ce THINK:PEACE, ne sachant pas vraiment au final ce qu'on attend, ni ce qu'on redoute. Veut-on un No Now bis ? Son exact opposé ? De la continuité dans le changement ? Le plus simple, c'est de s'écouter l'album, tout en ayant écouter en boucle les trois titres sortis quelques semaines auparavant. Le roi du tease on vous dit. Surtout que l'un des titres teasé ne se retrouve même pas sur l'album ! Mais vous comprendrez pourquoi.

Avec "Next Big Thing", l'un des singles susnommés, on se prend à craindre à retrouver là un Clarence en pilotage automatique, qui fait (bien) ce qu'il sait (très bien) faire. Fort heureusement, ce titre s'avère être l'un des plus faibles de l'album. Ce qui annonce déjà de la qualité de l'album !

On peut le dire d'entrée, Clarence Clarity frappe très fort avec ce disque. On y retrouve le joyeux bordel, ces sonorités bien représentative de sa patte déglinguée. Lui qui produit presque plus pour les autres que pour lui même (Rina Sawayama, pour ne citer que la plus connue), il arrive à bien distinguer ces deux parties, et les titres ne sont pas interchangeable. On n'imagine pas du tout Rina sur "W€ Chang£", C'est vraiment du pur Clarence, qui se plaît à rendre sales et bancales des pop songs qui n'ont rien demandées à personne. Il s'amuse à nous induire en erreur en singeant ses propres titres ("Nayseyer Godslayer" devient "Naysayer, Magic Obeyer", "Vapid Feels Are Vapid" mute en "Vapid Feels Ain't Vapid") et surtout il joue sur les cassures, les changements surprenants, il brouille les pistes et les sons d'une manière, il faut bien le dire, assez stupéfiante. Replacée dans le contexte de l'album, "Next Big Thing" ferait presque office de pause, tant son classicisme (pour du Clarence Clarity) jure avec le reste, bien plus expérimental, comme le gentiment effrayant "Fold'em/Silver Lake Reservoir".

Il y a une chose à savoir, avec THINK:PEACE. Cet album, car c'est bien un album à part entière, fait partie d'un grand tout. D'où l'arbre, la forêt et les écureuils du début. Quelque chose de plus grand, de moins digeste peut être, mais c'est bien là que Clarence montre qu'il est bien à part. Je vous disais qu'on a attendu trois ans depuis No Now et qu'il n'était resté inactif. Et il le prouve, avec Leave Earth. Ce projet, cette playlist, aussi intitulé Leave Earth 2016-2018, est une sorte de rétrospective, de laquelle il a sorti son album. C'est sa vision, c'est l'album qu'il a voulu faire, mais il aurait pu prendre une autre forme. Et tout simplement, il nous invite à créer notre propre album, à piocher dans cette playlist évolutive qui va s'enrichir avec le temps, comme il l'a fait lui-même. Ce mec a tout compris.

Comme on peut le constater un peu partout, le format album est pris de vitesse par l'aléatoire, par les playlists randoms, on entend dire que les gens ne savent plus écouter un disque en entier (quelle connerie), Et lui il mixte tout ça pour rendre l'auditeur actif, pour qu'il fasse l'album dont il a envie, tout en proposant le sien. Même s'il annonce vouloir désormais se consacrer à la production pour les autres, Clarence Clarity nous livre un double chant du cygne. Il ne faut pas croire sur paroles ce type qui maîtrise les effets d'annonce et profitons de ce qu'on a là. Pour la suite, on a bien le temps de voir venir !